En attendant l’arrivée des renforts, je demande à mon collègue britannique :
— Mais dites donc, vous savez que je vous considérais comme le meurtrier de Ferdinand ?
— Ferdinand ?
— Le petit voleur égorgé rue des Abbesses…
— Ah ! s’exclama-t-il, je vois. Je l’avais suivi, mais je ne savais pas qu’il avait été tué ! C’est donc pour cela qu’à peine rentré chez lui, un autre de la bande en est ressorti.
Il me décrit l’homme, je reconnais feu Frankenstein.
— Pourtant le patron du café se trouvait devant sa porte, il l’aurait vu ressortir.
Joyce sourit.
— Il ne l’a pas vu ressortir parce qu’il s’est tourné de l’autre côté à ce moment-là.
Je me claque les cuisses. Parbleu ! Il faut bien que quelqu’un ait indiqué à ces espions les talents de Ferdinand. Le bougnat joue un drôle de jeu. J’irai lui dire deux mots à cette outre à pastis.
Mon regard tombe sur Héléna. C’est un petit astucieux, mon regard, les gars. Il tombera toujours de préférence sur la géographie d’une bath donzelle. Héléna m’adresse un petit clin d’œil bravache, pas un clin d’œil aguicheur, mais un clin d’œil mystérieux, qui veut dire : « Si on avait un petit entretien en tête à tête, on se dirait des choses formidables ».
Aussi, lorsque les flics sont là, je décide de prendre la môme avec moi, dans une des voitures…
Nous roulons lentement.
— Héléna, attaqué-je, nous allons nous séparer. Toute cette affaire n’aura pas duré un jour complet et pourtant j’ai l’impression que tu es une ennemie de toujours. J’ai pour toi cette affection qu’on porte à de vieux adversaires. Peut-être que tu es trop jolie après tout. Un flic n’est qu’un homme, non ?
« Ça me remue les tripes de savoir qu’on te liera à un piquet, un proche matin, et qu’une douzaine de tourlourous te balanceront une salve soignée… »
Elle baisse la tête.
— Peut-être que tu es trop jolie après tout. Un flic n’est qu’un homme, non ? Nous pouvons encore nous entendre… J’ai compris pourquoi vous vouliez à tout prix me liquider ce matin : c’était toi, l’instigatrice de l’attentat. Ceci pour la bonne raison que tu n’as pas dit à tes copains que tu avais récupéré les plans. J’étais le seul homme à le savoir. Il fallait que je sois liquidé avant d’avoir été interviewé par la presse. Tu tenais à garder pour toi tout le susucre, ma belle ? C’est pas vrai ?
Elle a un sourire. Le sourire qui me rend dingue.
Je la serre contre moi et, sans résister davantage à mon instinct, je l’embrasse vachement.
— Si tu as agi ainsi, reprends-je, c’est que tu as une âme de combinarde. En ce cas on peut s’entendre. Rends-moi les plans et tu es libre. C’est un marché valable, je suppose, qu’en dis-tu ?
Elle ne répond pas.
— Dans quelques minutes, lui dis-je, il sera trop tard.
« Je n’aurai plus aucun rapport — même sexuel — avec toi. »
— Tout cela, fait-elle, c’est du boniment…
Je la sens touchée par l’hésitation.
— Les douze flingues qui seront pointés vers ta petite mignonne personne, ce ne sera plus du boniment, Héléna… Décide-toi…
— Qui me dit que vous tiendrez parole ?
— Moi. C’est à prendre ou à laisser…
Elle me regarde. Puis elle me saisit la main et me la pose sur le haut de ses jambes. Je me dis qu’elle veut m’avoir aux sens, et ma dignité reprend le dessus.
— Pas de ça, chérie.
— Vous n’y êtes pas… Touchez mes bas.
Je palpe et je sens des rugosités insolites pour du nylon.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Les formules, murmure-t-elle.
— Eh bien ?
— Elles sont imprimées en braille sur mes bas.
Je pousse un petit sifflement admiratif.
— Beau, dis-je. Jamais entendu parler d’une astuce pareille. Alors c’était ces bas que le faux Stevens trimbalait dans sa petite valoche ?
— Oui.
Elle les ôte et je me rince l’œil comme un collégien. Des cuisses pareilles, bande de cloches, vous vous lèveriez la nuit pour en manger… Parole !
Je prends les bas qu’elle me tend. Ils sont tièdes comme un nid d’oiseau. Je les glisse dans ma poche.
Héléna reste silencieuse.
— Vous… vous tenez parole ?
— Et comment !
— Vous me laissez vraiment filer ?
En guise de réponse, j’arrête la voiture. Je lui cloque un dernier baiser sur les lèvres.
— Ta bouche sera le plus chouette souvenir de ma vie, poulette.
Elle descend…
— Vous n’allez pas me tirer dessus ?
— Tu me prends pour qui ?
— Adieu, balbutia-t-elle.
— Adieu !
Elle s’éloigne sur le trottoir en faisant claquer ses talons hauts. Elle ne doit pas avoir chaud, jambes nues.
Je tourne le bouton-radio et j’appelle la voiture qui me suit.
— Allô, Guillard ?
— Oui.
Tu aperçois sur le trottoir, près de la station de métro, la souris que j’ai embarquée ?
— Oui, commissaire.
— Je lui ai promis de la laisser filer : un marché, pour les besoins de la cause…
— Bon…
— Seulement, toi, tu ne lui as rien promis du tout, hein ?
— Compris, chef …
Je vois qu’il me double et stoppe à la hauteur d’Héléna. Alors, j’accélère pour ne pas voir la suite. J’ai tenu parole, non ? Je l’ai laissée se barrer ? Dame, je ne suis qu’un homme.
Comme l’homme que je suis se double d’un agent secret, il est également normal que j’aie passé ce petit message à Guillard.
Je mets à nouveau le contact.
— C’est fait ?
— C’est fait, monsieur le commissaire. Mais elle prend mal la chose.
« Vous parlez d’une donzelle ! »
— Présente-lui mes hommages !
On est galant ou on ne l’est pas. Tout ça, c’est une question d’éducation.
Moi, je le suis.
FIN