J’attends. Et alors je suis sidéré, en découvrant que ce mec refuse le combat et ne songe qu’à filer. Il lance son moteur. Le moteur a des ratés.
Alors une pensée extravagante me vient. Vous devez commencer à savoir que l’extravagance est mon violon d’Ingres.
En rampant, afin de parer une ruse éventuelle de l’aviateur, je vais récupérer mon bidon d’essence. Je le débouche, j’en asperge le fuselage de l’avion et je frotte mon briquet.
Il se produit une espèce de plouff ! Et de belles flammes drues et joyeuses s’élèvent, embrasant la nuit. Sur ces entrefaites l’avion décolle. Il part sur le terrain. L’air avive le foyer. Puis il quitte le sol et je regarde s’élever dans la grande nuit de velours la plus belle torche enflammée dont on puisse rêver. Je ne sais pas si c’est la réaction, mais je me marre. Je me marre comme je ne me suis jamais marré. Je suis plié en deux par l’hilarité, je pleure, je suffoque, je trépigne et puis… Et puis je m’arrête pile. J’ai la chique coupée. En examinant le père Stevens, toujours allongé, je découvre que sa petite valise aux plans a disparu.
- :-
Un instant, je me demande si je rêve. Je m’agenouille et, à la lumière de mon briquet, j’examine le savant. Il n’inventera plus de torpille à réaction, jamais. Le jerrican que je lui ai assené sur le but l’a rectifié pour toujours. Sans doute avait-il, contrairement à l’aviateur, le crâne décalcifié. Pourtant… Car il y a un pourtant. Et un drôle !
Moi, je ne l’ai frappé qu’une fois et sur le sommet du crâne, pas d’erreur sur ce point… Or, Stevens a le nez écrasé. Je regarde autour du corps et je découvre un gros caillou ensanglanté.
Bon, j’ai pigé. Quelqu’un s’est amené pendant que je m’expliquais dans l’avion avec l’avaleur de flammes. Ce quelqu’un lui a refilé la dose maximum et a fauché la précieuse valtouse…
Bref, je suis marron !
CHAPITRE XVI
UN PETIT CADEAU
Les coudes au corps, je fonce vers le coin du terrain où j’ai laissé la voiture. Mais le terrain est désert. Je découvre les traces de pneus dans l’herbe humide. Bon, Héléna a pu se dépêtrer de ma ceinture. Elle est venue du côté de l’avion et c’est elle qui a liquidé le vieux et embarqué les plans.
Je fais un ramdam épouvantable. Pendant cinq minutes je déballe mon stock d’imprécations. Il est copieux et varié. Il est justifié aussi ; enfin, je vous le demande, à quoi cela ressemble-t-il de se laisser fabriquer par une donzelle après qu’on vient de réussir un coup pareil ?
Je lève le nez. Au fin fond de l’horizon, un trait de feu zigzague. Demain, j’apprendrai par la presse le lieu où est tombé l’avion. La nuit commence à s’éclaircir. Sans charre, je crois qu’elle aura été l’une des mieux remplies de ma p… d’existence.
Je vais remoucher du côté de la cabane, histoire de prendre des nouvelles des amis. La carcasse de Schwartz barre le sentier. Le patron du « Champignon » a pris la bagnole comme cataplasme, tout à l’heure, et l’une des roues lui a écrasé la bouille. Quant à Boris Karloff, s’il n’est pas mort, c’est parce qu’il a pris beaucoup d’huile de foie de morue lorsqu’il était petit. La balle perdue de tout à l’heure s’est logée dans sa poitrine et il est dans le coma. Je comprends tout de suite que je ne peux rien pour lui ; personne ne peut plus rien pour lui, excepté le menuisier qui lui fera un pardessus en planches avec de belles poignées en métal argenté.
Je me dis que deux cadavres et demi ne sont pas des relations convenables pour un homme de mon âge et qu’il est temps de quitter cette lande macabre. Je relève le col de mon pardessus, car le froid de l’aube se fait durement sentir.
- :-
Une heure plus tard, grâce à l’obligeance d’un maraîcher, je suis dans le bureau du chef. Celui-ci a le visage bouffi de sommeil.
— Dieu soit loué ! s’écrie-t-il en m’apercevant ; je commençais à désespérer.
Je lui raconte la suite des événements. Il ponctue mon récit de petits hochements de tête.
— Vous êtes inouï ! conclut-il.
— Peut-être, admets-je, mais je suis également refait… Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les plans, or ceux-ci se sont envolés…
— Façon de parler, sourit le boss ; justement ils ne se sont pas envolés, grâce à vous, et nous avons l’espoir de remettre la main dessus. N’oubliez pas que nous avons des photographies d’Héléna ; je vais mettre toutes les polices sur sa piste, il faut qu’avant ce soir nous l’ayons retrouvée.
Je loue ces belles intentions.
— Que dites-vous du professeur Stevens, chef ?
Il se gratte le blair.
— Je ne sais pas. Je vais convoquer d’urgence ses collègues français chez le ministre de l’Intérieur ; certainement que l’ambassadeur britannique assistera à la conférence. C’est une affaire qui peut avoir sur le plan diplomatique d’énormes répercussions.Il semble soucieux. Je suis trop las, trop épuisé, pour compatir à ses tracas. Je me lève.
— Que pensez-vous faire ? me demande-t-il.
Alors là, j’explose.
— Écoutez, chef, j’ai passé une nuit complète à buter des gens et à recevoir des balles et des gnons. J’ai une sérieuse éraflure au mollet et il reste dans mes poumons assez de gaz d’éclairage pour faire fonctionner une douzaine de réverbères pendant trois mois. Vous ne pensez pas qu’étant donné le fait que je ne suis pas le bonhomme en bois des Galeries Barbès, j’ai besoin de me rebecqueter un peu ?
— Vous êtes un tel homme, fait-il, qu’on ne pense pas que vous puissiez avoir besoin de repos. Excusez-moi, San-Antonio.
Du moment qu’il le prend sur ce ton, je suis prêt à toutes les concessions. Parce que, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais avec des flatteries on obtient de bibi tout ce que l’on veut.
Chacun ses faiblesses, non ?
Je passe à l’infirmerie de la grande taule pour faire désinfecter ma blessure. C’est tout ce qu’il y a de superficiel, heureusement. L’infirmière, la mère Robichon, m’assure que dans deux jours ce sera cicatrisé. La mère Robichon, il faut bien le dire, c’est le genre de femelle tout ce qu’il y a d’optimiste lorsque c’est la peau des copains qui est en jeu. Elle en a tellement vu dans la boîte que, pour elle, un chargeur de mitraillette dans la viande est un truc presque bénin. Chose curieuse, cette virago du mercurochrome est une douillette. En vous pansant quarante centimètres de cicatrice, elle vous parle de sa maladie de reins, de son asthme et d’un tas de petites vacheries dont elle prétend souffrir. Avec ça, elle s’exprime avec la suprême distinction d’une marchande de poisson du Vieux-Port.
Au moment où elle me fait couler de l’alcool sur ma plaie, je pousse un léger soupir. Ça suffit pour déclencher cette vieille toupie.
— Poule mouillée ! hurle-t-elle, gonzesse ! Môme ! T’as donc pas plus de sang qu’un navet ?
Une chose met en rogne la mère Robichon, c’est lorsqu’on ne répond pas à ses sarcasmes par d’autres sarcasmes. Pour lui faire plaisir, j’y vais de mon numéro. Je la traite de vieux lavement, de tordue, d’endoffée. Et je conclus en lui affirmant qu’elle se décompose, que ça se voit et que ça se sent et que c’est uniquement par bonté d’âme qu’on la tolère dans la maison.
Alors c’est l’épanouissement. Elle est ravie ; elle se retient de rire ; je la laisse à son extase…
Il y a près de la boîte, un petit hôtel dont le patron est un vieux pote. J’y vais. Il vient de se réveiller et il me demande ce qu’il y a pour mon service. Je lui assure que s’il veut me faire cuire deux œufs sur une tranche de lard, me confier une bouteille de rhum et me préparer un pageot convenable, je serai le plus heureux des hommes.
Читать дальше