Frédéric Dard - Des dragées sans baptême

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Des dragées sans baptême: краткое содержание, описание и аннотация

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Lorsque votre chef vous demande à brûle-pourpoint ce que vous pensez d'un copain, on ne peut que la boucler un instant, ne serait-ce que pour se demander ce qui le pousse à poser une question pareille et aussi comment on va y répondre. Le grand patron est agité. Il est adossé au radiateur, ou plutôt, comme il mesure deux mètres, il est assis dessus. Il passe sans arrêt sa main fine sur son crâne en peau de fesse véritable. Ses yeux bleuâtres me considèrent avec intérêt. Je sens qu'à moins d'accepter de passer pour une truffe le moment est venu de me manifester. Je me racle le gosier.
— Wolf, je balbutie… Wolf… Ben, c'est un bon petit gars, non ?
— Non, San-Antonio : Wolf n'est pas un bon petit gars, et vous le savez aussi bien que moi…

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L’autre, le gnace aux semelles-ballons, me chope par un aileron et voilà ces branques qui me traînent dans la salle de bains. Ils m’asseyent sur une chaise en tubes ripolinés et m’y attachent solidement au moyen d’un cordon de nylon servant à étendre le linge.

— Voilà, m’expose alors le Rital, tu vas nous raconter ce que tu sais… Ou plutôt ce que tes patrons savent, car, en ce qui te concerne, on n’a plus grand-chose à redouter de toi…

« Je vais te proposer un petit marché. Tu nous parles gentiment, à la loyale, et je t’expédie d’une balle dans la trompette. Ou bien alors tu fais la mauvaise tête et on emploie les grands moyens… »

Il désigne son copain.

— Tu vois ce type ?

Je le regarde. Il n’a pas que ses semelles de curieuses, le bonhomme, sa gueule vaut le déplacement. Celui-ci, Angelino l’a dégauchi dans une pochette surprise.

Il a la tête toute biscornue comme si sa maman l’avait enfanté dans un moulin à légumes.

Son nez aurait tendance à rejoindre son oreille droite et ses yeux sont tellement rapprochés qu’ils se trouvent pratiquement dans la même orbite.

Ce type, c’est le rêve de Picasso…

— Tu le vois, reprend Ruti.

— Oui, je balbutie, et il en vaut la peine.

— C’est le champion des aveux spontanés… Avec lui on trouve toujours quelque chose à raconter. S’il s’en occupait, la statue de la Liberté elle-même s’accuserait d’avoir cassé le vase de Soissons…

L’autre paraît ravi de cette présentation. Ce sont ses titres de noblesse, à ce garçon…

Il se pavane, fait la roue…

— Par quoi qu’on commence ? demande-t-il à Ruti…

— Par la statue…

— Qu’est-ce que tu sais sur la statue ? me demande-t-il.

C’est devenu une espèce d’abominable interprète. Il parle le langage de la torture et, à travers ses lèvres boursouflées, les mots, en effet, se chargent d’un sens nouveau.

Je ne réponds rien. J’attends je ne sais quoi… Ou plutôt, je ne sais trop quoi : une inspiration, un retour de ma chance, cette fameuse chance dont je vous parlais il n’y a pas longtemps et qui, brusquement, vient d’interrompre la communication.

L’homme-de-travers me saisit la main gauche.

Il tient une lime à ongles et me l’enfonce sous un ongle. C’est un petit truc qui n’a l’air de rien, mais qui vous fait chanter.

Je pousse un petit cri qui semble plonger mon tourmenteur dans le ravissement. S’il pouvait découper en morceaux la moitié de la population parisienne, il serait aux anges, le sadique.

— Tu parles ?

Ses yeux siamois me fixent intensément. Un peu de sueur, due à l’excitation, emperle son front. Et il a un sourire qui foutrait des cauchemars au fantôme du docteur Petiot.

— Oui…

Un silence.

— Eh ben, vas-y, fait-il, on t’écoute…

J’attaque :

— La cigale ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue…

Il n’est pas fortiche en littérature.

Il considère Ruti et Verdurier en plissant son front buté.

— Qu’est-ce qu’il déconne ? demande-t-il.

Verdurier a un léger sourire.

— Il te prend pour une crème, dit-il. Si c’est toi, l’homme qui donne la parole à un fauteuil à roulettes, je laisse ma part au suivant.

Le bourreau à semelles-ballons produit avec son nez un petit bruit étrange, évoquant les premiers essais vocaux d’un jeune coq.

— Ah bon, grogne-t-il. Ah bon !..

Il fouille ses poches et y cueille une paire de ciseaux. Ce sont de petits ciseaux qui étincellent, sous la lumière électrique, comme des instruments chirurgicaux.

Ils sont très pointus et parfaitement aiguisés.

— A quoi tu joues ? demande Ruti.

— Tu vas voir…

Verdurier a le regard brillant. Ce genre de spectacle ne lui déplaît pas. C’est beaucoup mieux qu’au Grand Guignol et ça revient moins cher.

— Tu devrais lui expliquer ce que tu comptes faire, conseille-t-il. Il a certainement assez d’imagination pour réaliser… Rien de tel pour vous amener à composition, tu sais.

Le sadique bigleux montre ses dents. Et il a des dents peu ordinaires aussi. Elles sont pointues comme des dents de requin. Pointues et espacées.

— Ben voilà, expose-t-il en actionnant les dents de ses ciseaux, comme font les coiffeurs. Y a un coin dans le bras où ça saigne moins qu’ailleurs. Je vais lui enfoncer mes ciseaux dans la viande et j’y découpe une guirlande dedans.

— Très drôle, souligne Verdurier.

Puis, s’adressant à moi :

— Il est farceur, hein ?

Je dois être un peu pâlichon. On le serait à moins.

Désespéré, je regarde autour de moi. Mais que puis-je faire, les bras liés à une chaise et les jambes entravées ?

Le bigleux se penche et me remonte ma manche. Son visage est à moins de dix centimètres du mien. Un sursaut de haine me secoue, signe évident que mon esprit combatif reprend le dessus. Il ne me reste qu’une arme, très précaire : mes dents. Je vais m’en servir. Je calcule bien mon affaire car si je la rate, il ne me ratera pas.

J’incline un peu la tête afin que mon front ne heurte pas son menton et je plonge, la bouche ouverte.

Je ne suis pas maladroit du tout. Je sens sous mes dents les cartilages du larynx. J’ai dans la bouche le goût âcre et fade de sa peau, sur les lèvres les picous de sa barbe.

Je ferme les yeux pour ne pas voir cette affreuse peau couleur de beurre rance. Je serre ma mâchoire de toutes mes forces. Le hurlement qu’il pousse se transmet dans toute ma tête en horribles vibrations. Mes incisives s’enfoncent inexorablement dans ses chairs. Du chaud, du fade, coule dans ma gorge. Je reconnais le goût du sang. Je le tiens trop serré pour qu’il puisse s’arracher de mon étreinte et il est trop contre moi, poitrine contre poitrine, pour tenter de me faire lâcher prise.

Les deux autres sont tellement ahuris qu’ils mettent du temps pour intervenir. Et le temps, s’il ne travaille pas précisément pour moi, travaille contre le bigleux.

Brusquement, il se produit un affreux craquement. Le bruit doit être imperceptible pour un témoin, mais il fait dans mon être une sorte de déflagration puissante. Cela s’affaisse sous mes dents. Le sang du bigleux dégouline le long de mes babouines.

Je serre fortement une bonne fois encore et alors je suis sur le point de défaillir. Ce qui se produit est atroce, dépasse tout ce qu’on peut imaginer de plus épouvantable : mes dents se rejoignent à travers la gorge de mon adversaire.

J’ouvre la bouche, mais il ne tombe pas. Ce sont les deux autres qui, en le tirant en arrière, l’arrachent à mon étreinte.

Il roule à terre. Une plaie béante déchire sa gorge. Le sang sort en bouillonnant de cet orifice.

CHAPITRE XVIII

RENDEZ-VOUS A SAINT-LAZARE

— Il est mort !

Je ne sais pas lequel des deux types présents a proféré ces mots.

Il l’a fait, en tout cas, avec la voix d’un somnambule brutalement éveillé.

Il y a de l’angoisse là-dedans et aussi beaucoup d’incrédulité. Qu’un type diminué, lié à un siège soit parvenu à tuer son bourreau, voilà qui les dépasse et les plonge dans un trouble enchantement.

Les regards qu’ils me décochent sont emplis d’admiration. Pendant un instant, ce qu’ils éprouvent à mon endroit confine à la ferveur.

Je crache à plusieurs reprises ce sang étranger qui m’emplit la bouche.

— Voilà le travail, je leur dis. Avez-vous d’autres spécialistes de la question à me soumettre ?

Cette boutade remet les choses au point.

— Y a pas, grommelle Ruti, tu es le flic le plus fortiche que j’aie jamais rencontré…

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