Il larmoie, Crâne-pelé… Il est terrifié de voir sa paluchette mutilée. Il la tient devant lui comme un ostensoir.
— Tu vois, Banski je lui dis, toutes les grosses naves de ton espèce finissent par se faire contrer un jour ou l’autre. Si tu avais mené une petite vie d’honnête homme, tu serais un zig comme tout le monde, jouissant de ses dix doigts…
Lui, malgré mes petites transformations physiques, me reconnaît sans hésiter…
Je ricane…
— Une surprise, hein ? Maintenant, mon petit bonhomme, il ne te reste plus qu’une chose à faire, c’est te mettre à table comme un grand garçon avec ta serviette autour du cou.
Il est livide, ses chailles claquent comme si on lui avait glissé des castagnettes dans la margoulette.
— Remets-toi, Toto, je lui dis, et réponds à mes questions. Pour le compte de qui travailles-tu ?
— M. Muller…
— Bon, et M. Muller, pour le compte de qui travaille-t-il ?
Il paraît surpris.
— Mais je… Pour lui ! Il devait… C’est lui qui doit négocier la vente du détonateur… Et puis on lui a… A l’ambassade américaine…
Il hoquette. Il parle sans prendre garde à ce qu’il bafouille. Il regarde sa main, sa main ruisselante de sang. Sa main avec laquelle il ne pourra jamais plus presser la détente d’un feu.
Pour ce gros chourineur, tout est foutu… C’est son gagne-pain que je lui ai démoli.
— Quel est ce fameux disque dont il est tant question ?
— C’est la goupille de réglage du détonateur. Sans elle, il ne sert de rien…
— Et qui vous met des bâtons dans les roues ?
Il hausse les épaules.
— Sais pas…
Est-ce qu’il commence à récupérer, Banski, et pour cela fait de l’obstruction ?
Pas de ça, Lisette.
— Parle…
— Je ne sais pas !
— Parle ou je te bute !
— Mais je ne sais pas…
— La môme de Suisse, la petite téléphoniste, c’est toi qui l’as sucrée. Muller est d’accord sur ce point. Ça fait assez, avec ce que tu m’as fait hier soir, pour t’envoyer à l’abbaye de Monte-à-Regret, tu le sais… Et la môme, ce matin, devant l’ambassade, c’était toi, non ?
— Oui.
Cet aveu me porte à croire qu’effectivement il ne sait pas grand-chose de la fameuse bande rivale qui les contre…
— Pourquoi l’avez-vous butée ?
— Parce que… Elle devait être arrêtée par les poulets et qu’alors…
Je jubile d’avoir deviné juste…
Pas longtemps. Je vois les yeux de Banski se révulser d’effroi.
Je me retourne et, l’espace d’un éclair, j’aperçois l’homme aux cheveux gris.
Il est à l’extrémité du couloir, dans l’encadrement, et tient un revolver braqué. Il ferme un œil, son doigt se crispe sur la détente de l’arme.
Il s’en faut d’un millionième de seconde. Je me fous à plat ventre et les dragées volent au-dessus de mon crâne… C’est Banski qui se les collectionne dans le buffet.
J’entends une galopade dans l’escalier… Je me redresse, l’agresseur est parti… Sans doute croit-il m’avoir atteint, tout a été si rapide…
Je pousse un juron et m’élance à sa poursuite.
CHAPITRE XVII
IL EST QUESTION D’UNE GAMINE QUI FAIT ROUGIR LES MESSIEURS !
Tout cacao cessant, la vieille concierge est sortie sur le pas de sa loge et regarde le spectacle…
Il doit être assez curieux.
D’abord, c’est le débouché de Muller, puis le mien… J’ai mon feu à la main et je gueule : arrêtez ou je tire, suivant la formule consacrée. Mais il a de l’avance, Muller, et il ne s’arrête pas. Il sait que je ne pourrai pas le rattraper. En effet, au moment où je débouche de l’immeuble, il tourne le coin de la rue et se précipite dans une voiture.
Lorsque j’arrive au coin de la rue, il est au coin du quai et, si je m’entêtais à cavaler au coin du quai, ce serait certainement pour le voir virer au coin du pont. Il m’a échappé. J’ai bien essayé de noter le numéro de sa guinde, mais ça m’a été impossible. Tout ce que je sais, c’est qu’il pilote une traction noire…
Bien entendu, ce petit rodéo n’a pas été sans ameuter les paisibles populations du quartier.
Je me retourne et dis aux assistants :
— Quelqu’un a-t-il pu noter le numéro de cette voiture ?
Tous hochent la tête. Une vieille dame tenant un affreux ratier en laisse dit qu’il doit commencer par un 6 ; un plombier zingueur s’inscrit en faux contre cette hypothèse en jurant que c’est par un 8 que le numéro commence… Pagaïe habituelle. Deux flics s’annoncent, autoritaires et tonitruants en commandant à tout ce trèfle d’aller à ses affaires ; mais faire circuler des badauds parisiens en pareil cas est plus périlleux que d’ôter un gigot à un tigre affamé.
Je prends les flics à part et leur chuchote mon identité à l’oreille. Je leur dis qu’ils envoient ce qu’il faut au 4, de la rue, pour le ramassage d’un ou peut-être deux macchabées…
Je rengaine mon soufflant et je reviens à ce que les journaleux en délire appelleront incessamment la maison tragique.
La concierge est au premier, acagnardée à la porte en train de regarder le cadavre de Banski, lequel se vide de son sang comme un tonneau ouvert. Je la prends par les épaules et elle pousse un glapissement d’effroi.
— N’ayez pas peur, mémère, je suis de la police, les agents vont rappliquer et emporter ces bonshommes…
Elle est grise comme une matinée de Toussaint, la pauvre.
— Cet appartement appartient à qui ?
— Hein ?
Elle s’arrache péniblement à son horrible extase…
— Ah… L’appartement… A M. Muller.
— Depuis longtemps ?
— Deux ou trois mois…
— Il l’habite seul ?
— Oui… Mais rarement, il était toujours en voyage, il est représentant.
Le terme me fait sourire. Représentant !
C’est le cas de le dire.
Je vois d’ici la carte de visite du mec.
« Muller, représentant en détonateurs. »
— Dites-moi, Muller, c’est bien l’homme aux cheveux gris qui fuyait tout à l’heure ?
— Oui…
— Il n’a pas d’autre adresse à Paris ?
— Je ne sais pas…
Je m’approche du corps de Banski et je le fouille. Je trouve une carte d’identité à son nom, du fric, un briquet, une lime à ongles et une clé d’hôtel.
Je chope la clé.
Sur la carte d’identité, à la rubrique « Domicile » il y a marqué : Marseille.
Pas grand-chose à espérer de ce côté-ci.
Il se fait un vaste remue-ménage dans l’escalier et une nuée de journalistes radinent en brandissant des appareils photographiques.
C’est toujours le moment que je choisis pour m’esbigner en loucedé ; moi, le style matamore, c’est pas mon fort.
Vous me verrez jamais tartariner devant du magnésium en prenant l’attitude de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os. Aussi, je les mets sans plus attendre…
Attablé devant un double rhum blanc, je songe mélancoliquement que je suis presque au point mort.
Les gars qui pourraient éclairer ma lanterne clabotent comme par enchantement les uns à la suite des autres, et maintenant les hommes eux-mêmes se mettent à lâcher la rampe.
Comme le chef doit ronger son coupe-papier, je lui relate ce nouvel incident…
— Bravo, me dit-il.
— Ah oui, vous trouvez ?
— Vous aviez vu juste en ce qui concerne le garçon de l’ambassade. Vous progressez. Je vais vous apprendre quelque chose, moi aussi…
— Sans blague !
Il ne relève pas l’ironie.
— Mme Fouex est morte empoisonnée, dit-il.
— Bon… donc, c’est bien à l’ambassade que la chose a commencé. C’est la mère Fouex qui a reçu Muller lorsque ce dernier est venu proposer le détonateur. Elle en a référé à son chef direct : le rouquin. Alors, l’un ou l’autre a eu l’idée de s’approprier l’invention et de la vendre pour son propre compte…
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