— Du tout ! C’est un garçon tout à fait remarquable et que j’ai eu l’occasion d’apprécier à plusieurs reprises.
Il se fait encore un étrange silence.
— Vous supposez qu’une fuite s’est produite ?
— J’en suis à peu près certain. C’est la seule façon d’expliquer certaines choses…
Je lui raconte l’agression dont a été victime Félicie et je lui explique comment je suis arrivé à la certitude absolue que deux bandes rivales gravitent autour de ce satané disque.
— Comprenez, chef, la bande de l’homme aux cheveux gris a été prévenue par quelqu’un de l’ambassade, des pourparlers engagés par l’autre bande. Et si les premiers ont décidé d’abattre la femme, c’est uniquement parce qu’ils savaient que la police française tendait un traquenard à la femme. Ils ont voulu éviter que nous ne remontions à la source, c’est-à-dire au disque…
— Oui, vous avez raison…
— Il me semble, hein ?
Je soupire :
— Bon… Je vais continuer…
— Vous tenez debout, oui ?
— Oui… Et pour ce qui est de ma congestion, on en reparlera une autre fois.
— A la bonne heure !
— Dites… Pouvez-vous demander une exhumation de la veuve Fouex ? Je voudrais qu’on fasse l’autopsie… Que ça se fasse rapidement, si possible…
— Vous croyez que sa mort n’est pas naturelle…
— Oui.
— Nous avons eu la même idée, déclare-t-il, car j’ai déjà fait les formalités pour l’exhumation, celle-ci a lieu cet après-midi.
Je reste sans voix. Il est fortiche, le chef… Il a une façon bien à lui de vous prouver qu’il est à fond dans la course.
— A bientôt.
C’est lui qui raccroche.
Je demeure pensif, sans quitter la cabine… Je ne me décide pas à en sortir… Et puis, soudainement, mon culot et mon pifomètre se mettent à fonctionner.
Je glisse un nouveau jeton dans la tirelire.
C’est le numéro de l’ambassade des Etats-Unis que je compose cette fois.
Quelqu’un décroche et grommelle « Hello ! » d’une voix entortillée dans du chewing-gum.
— Je voudrais parler au secrétaire de Johnson, dis-je d’une voix autoritaire.
— De la part de qui ?
— De son meilleur ami.
Un bref instant s’écoule. Puis j’entends la voix du grand type roux à lunettes qui demande avec un rien d’anxiété.
— Qui est à l’appareil ?
Je camoufle mon phono de mon mieux, je parle lentement, un peu à la gangster dans les films d’Hollywood.
— Hello, je murmure, je vous téléphone au sujet de ce que vous savez…
C’est un ballon d’essai. Tout va dépendre de ses réactions.
J’attends. Lui aussi attend. Il hésite. Enfin il murmure :
— De quoi s’agit-il ?
— Ne jouons pas aux devinettes. Arrivez, j’ai à vous parler…
Il hésite encore.
— Rue de Savoie ? demande-t-il.
— C’est ça, oui, rue de Savoie et que ça saute !
Je raccroche. Maintenant, mes enfants, j’ai attrapé un morceau du fameux fil conducteur dont on parle dans tous les bouquins policiers qui se respectent et même dans ceux qui ne se respectent pas.
Mon flair ne m’a pas trompé. C’est bien à l’ambassade que ça ne tourne pas rond… Et le grand rouquin binoclard est mouillé jusqu’à la moelle…
Je me précipite hors de la bouche de métro. Je cours à un taxi…
— Rue de Savoie ! A toute vitesse !
La rue de Savoie est une toute petite voie provinciale, comme disent les chroniqueurs sans chronique, toute proche de la place Saint-Michel.
Elle est longue comme un vestibule de maison bourgeoise et je me dis qu’en demeurant dans mon taxi, à l’une de ses extrémités, je serai aux premières loges pour observer le comportement du rouquin.
Celui-ci se pointe peu après, dans une bagnole qui est un peu plus large que la rue. Il remise son tombereau et se dirige à pas pressés vers la porte vétuste de l’un des immeubles. Il entre sous le porche. Je note soigneusement le numéro ; c’est le 4.
— Bon, fais-je à mon chauffeur, vous pouvez disposer, je n’ai plus besoin de vos bons et loyaux services.
Il est un peu surpris, mais je calme sa curiosité avec un pourboire qui lui ouvre des horizons de retraite dans une maison aux tuiles roses sur les bords de l’Oise…
Je me dirige vers le 4. C’est assez sombre comme porche. Je frappe à la lucarne de la concierge. Une bonne petite vieille me dit de patienter une seconde vu qu’elle a une casserole de lait sur le feu et que ce lolo va bouillir d’une seconde à l’autre. En effet, une gigantesque protubérance semblable à un champignon atomique s’élève au-dessus de la casserole.
La vioque coupe le gaz.
— Qui demandez-vous ? fait-elle.
— Un homme vient d’entrer, un grand avec des lunettes et des cheveux rouges…
— C’est vrai…
— Chez qui est-il monté ?
— Chez M. Muller…
— L’étage ?
— Premier gauche…
— Merci…
Je m’élance dans l’escalier… Je colle mon oreille à la serrure et j’entends un murmure assez lointain.
Alors, sans bruit, je tire de ma poche deux choses : primo mon petit sésame, et secundo mon revolver, ou du moins celui que le chef m’a fourni après que j’eus revêtu des fringues de rechange à l’hôpital.
Silencieux comme la conscience d’un marchand de voitures d’occasion, je pénètre dans l’appartement. Le bruit de voix provient d’une pièce du fond.
L’une est celle de Crâne-pelé, l’autre celle de mon rouquin.
— Jamais on ne vous a dit de venir là ! proteste Banski, qu’est-ce que c’est que cette histoire de téléphone !
L’autre affirme qu’on vient de lui ordonner de rappliquer rue de Savoie.
Banski se fout en rogne en jurant le contraire et en disant que lorsque le patron saurait ça, il se foutrait sûrement en rogne.
Comme ça m’a l’air de tourner au vinaigre, je me dis qu’il serait peut-être judicieux d’intervenir.
Je fais un pas en avant et je gueule :
— Les mains en l’air, tout le monde.
Ils ne sont que deux, mais ça fait tout de même quatre paluches en direction des étoiles. Ou du moins ça les ferait s’ils consentaient à obéir, mais ces foies blancs sont tellement stupéfaits de me voir brandir ma pétoire qu’ils s’aèrent copieusement l’organisme en ouvrant au maximum leur bouche, leurs yeux, leurs narines et sans doute leur rectum.
Puis, cet instant de flottement surmonté, Banski, avec une rapidité extraordinaire, sort son feu.
— Jette ça ! je lui crie.
Mais il ne m’écoute pas, il a les yeux injectés de sang. Il ne prête aucune attention à moi. Toute sa fureur est tournée vers l’Américain.
— Salaud ! hurle-t-il. Enfant de putain ! Ordure, tu nous as donnés, hein ?
Il tire.
Le grand rouquin se casse en deux et glisse lentement contre le mur en se tenant le ventre.
— Salaud ! dit encore l’autre.
Une nouvelle balle ! Cette fois le rouquin la cloque dans son œil gauche. Le verre de ses lunettes est pulvérisé. Il reste un instant en équilibre, un ruisseau de sang coulant par la hideuse blessure, puis il tombe d’une masse sur le côté.
Tout ça s’est déroulé comme dans un rêve à une allure déréglée. Je presse à mon tour la détente de mon arme. Merde arabe ! Ce que je peux avoir les réflexes rouillés ! Faudra que je me les passe au minium un de ces jours…
Banski pousse un hurlement qui doit s’entendre jusqu’à Formose. J’ai peut-être les réflexes rouillés, mais mon œil est juste. Ma balle vient de lui faire sauter trois doigts de sa main droite. Son revolver est par terre et ses morceaux de salsifis pendent au bout de sa main comme des branches cassées.
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