Huguette ne répond pas. Elle est inerte, contractée…
— Alors, enchaîne Gleitz, ce fils de famille dévoyé a eu un coup de noir…
— Il s’est jeté dans la cage d’ascenseur ?
— Juste !
Je réfléchis…
— Oui, tout s’explique… Comment savez-vous tant de choses ?
— Ça faisait plusieurs jours que j’étais sur la piste de Van Boren, je travaille pour la maison Optika… De recoupements en témoignages.
— Bravo ! bon travail. Vous semblez devoir perpétuer la renommée de votre boîte.
Il a un petit mouvement du menton.
— J’essaie…
— Je pense, par exemple, que Ribens était en cheville avec Schinzer depuis plus longtemps, car il y avait chez lui la boîte de fruits confits qui… la première dont vous parlez !
D’un commun accord nous nous tournons vers Huguette.
— Je pense, chère madame, que vous pourriez nous renseigner utilement…
Elle sort de son mutisme.
— Je n’ai rien fait ! dit-elle. Rien fait ! C’est Georges ! Georges ! Il… il… faisait partie de l’organisation, c’était lui qui avait mis Franz sur cette affaire et je…
Elle m’agace, cette tordue. Je lui mets deux ou trois beignes qui la font chialer.
— Espèce de garce, je gronde, t’es tombée dans les bras du gros Fritz et…
Gleitz toussote.
— Oh pardon ! je lui dis, mille excuses… Vous savez ce que c’est que l’hérédité… Y a des moments où l’homme de la rue, chez nous, oublie que nous repartons sur des bases nouvelles.
Il sourit.
— Chez nous aussi, commissaire…
Huguette pleure.
— Je voulais être riche, je…
— Alors t’as mijoté ton coup fourré avec Franz, hein, mon ordure ménagère ? T’as attiré Ribens ici, en lui laissant un message. Vous l’avez assommé et transporté de nuit chez lui.
— Je ne voulais pas qu’on le tue… Je… C’est Franz qui l’a égorgé…
— Schinzer s’était aperçu de la présence de Gleitz dans l’affaire, toi t’étais au courant de la mienne… Pour parer à toute éventualité, vous avez fait réceptionner le colis par cette pauvre gosse…
Et je montre le cadavre de Germaine.
Elle s’abat en se tordant, comme elle avait fait chez elle lorsque je lui avais appris qu’elle était veuve… Mais ça ne prend pas. Au lieu de vinaigre, c’est une décoction de coups de savate que je lui administre pour la ranimer.
— Ne la tuez pas ! fait Gleitz.
— Quoi ! je m’écrie. Vous avez pitié ? Oh pardon ! Comment qu’on les fait, les Allemands, c’t’année !
Le gros Bérurier (dont j’ai cité plusieurs fois les mots d’esprit ici) est dans le couloir, devant la lourde du Vieux. En m’apercevant il secoue sa main.
— Enfin te voilà ! s’écrie-t-il, ça va ch…
— Le Vieux a pris son huile de ricin ?
— Une pleine bonbonne !
J’entre…
Il est là, calme, glacé, le front ivoirin luisant sous la lampe, les manchettes fraîchement amidonnées, l’œil de marbre.
— Bravo ! fait-il.
— Après, dis-je d’un ton sans réplique. Laissez-moi d’abord vous raconter.
Et je lui raconte. Tout !
Quand j’ai fini, il secoue la tête.
— Curieuse affaire, en effet, oui, hum, je conçois que… Pourtant, San-Antonio, il est une chose prépondérante sans laquelle aucune collectivité…
Ça y est, passez-moi un strapontin, le voilà qui se met à prêcher sur la discipline. Il va y en avoir pour un bout de moment.
Lorsqu’il s’est vidé de son sujet, je sors une enveloppe de ma poche.
— Voici le lot de consolation, patron.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— L’objectif dit en grappe ! En grappe ! Vous ne voudriez pas que la France ne le possède pas avant tout le monde ? Pour une fois qu’elle aura de l’avance, la pauvre chérie !
Il écarquille les chasses.
— Mais… mais… San-Antonio…
— Oui, chef ?
— Ce sont… Vous me disiez que Gleitz avait récupéré les éléments de l’objectif.
— Il me les a remis, voilà tout !
Incrédule, il murmure :
— De son plein gré ?
Je hausse les épaules.
— Hélas ! non, il a fait des difficultés et j’ai dû sévir… Voyez-vous, boss, l’entente cordiale avec les « voisins »… eh ben, ça n’est pas encore pour aujourd’hui !
FIN
Mes fidèles lecteurs remarqueront que, cette fois, j’ouvre beaucoup de parenthèses au cours de ce récit palpitant. Qu’ils m’en excusent si ça leur déplaît. La parenthèse, c’est un peu l’opium du littérateur. Qu’ils me permettent aussi de leur faire respectueusement remarquer que je les referme toujours.
Comme on dit chez nous !
Si je puis dire
Si j’ose m’exprimer ainsi.