Depuis mon triomphe bellecombais, il me passe une pommade à côté de laquelle l'onguent gris n'est que fumée.
Au moment où je frappe à sa lourde capitonnée, des éclats de voix me parviennent.
— Entrez ! hurle le Vioque.
Je pénètre dans le bureau directorial. J'y découvre Bérurier, assis dans un fauteuil, les jambes croisées, la braguette pas boutonnée et le chapeau neuf négligemment posé sous ses fesses ravageuses.
— C'est un ultimatum, tenez-le-vous pour dit ! lui balance le Rasé.
Ça n'a pas l'air de l'émouvoir, Béru. Il parait heureux. Tout le monde, excepté le Dabe, a l'air joyce, ce matin.
Comme je suis responsable de lui par-devant mes supérieurs, je m'informe de ses nouvelles incartades.
— Tenez ! dit le patron en me brandissant un journal sous le pif, lisez !
Sur deux colonnes, à la 2, je découvre, coché au crayon rouge le titre suivant.
En Seine-et-Eure, l'inspecteur principal Bérurier est élu à 99 % de majorité.
On a beau dire, mais ça fait un drôle d'effet, mes canards.
— C'est pas possible ! exhalé-je.
— Textuel, rétorque le Gros. Je suis député de Seine-et-Eure. Pour un succès, c'en est un, non ?
— Je ne veux pas le savoir ! barrit le Vieux. Ou vous vous démettez de votre mandat ou vous quittez la police !
Bérurier se dresse, récupère son bitos, lui redonne tant bien que mal l'apparence d'un chapeau et déclare.
— M'sieur le directeur. Quand c'est qu'on a la chance d'être un nélu du peup' pour défendre ses intérêts à l'Assemblée légitime, on la repousse pas.
— Conclusion, vous demandez votre mise à la retraite anticipée ?
— Puisque c'est vous qui l'exigez et que vous ne me laissez pas d'autre rébarbative, oui !
Il évite mon regard.
— Je regrette, vous savez, murmure-t-il. Mais quoi, une occase pareille ! Faut comprendre…
— Sortez ! tonne le Tondu.
Béru sort.
Comme il s'apprête à franchir le seuil, je dis, tout bas :
— Béru ! Ecoute…
Mais déjà, il est parti.
— C'est insensé ! glapit le Vieux en se massant la coupole. Insensé. Mais le peuple est donc aveugle, ma parole ! Cet abruti élu à presque cent pour cent de majorité ! On croit rêver…
— Pas nous, monsieur le directeur, objecté-je ; c'est le peuple qui rêve. Bérurier a une bonne gueule, le peuple aime qu'on ait une bonne gueule. Il lui a promis la lune ; le peuple rêve de posséder la lune.
Je me racle le gosier. Voilà que je ne suis plus heureux du tout, soudain. Ça me picote dans la gorge, derrière les yeux, partout. Plus de Béru ! On va continuer sans lui.
Je reste un moment à bavarder de l'enquête avec le Vieux. Lui aussi, se sent tout chose.
On toque à la porte. Un planton entre, portant un pli étoilé d'une énorme tache de graisse.
— De la part du principal Bérurier, fait-il en me le remettant. C'est sa lettre de démission, m'a-t-il dit.
— Vous permettez ? fais-je au Boss en ouvrant le pli.
L'enveloppe renferme deux lettres. La première m'est destinée, je lis :
San A. Tu me fais l'effet des pilules Miraton… C'est à toi que je remets la lettre ci-jointe ci-après, biscotte ça me ferait mal aux prunes de la poster de mes propres mains.
Béru.
Je prends l'autre bafouille. Elle est adressée à M. le Président de l'Assemblée nationale. La voici :
Mon Président,
Vous l'aurez pas z'été longtemps vu que moi, Bérurier Alexandre-Benoît, inspecteur principal et député de Seine-et-Eure, je démissionne déjà. C'est pas de gaieté de cœur, croyez bien ! Mais j'ai pas d'autre alternance vu qu'on veut me virer de la police si je remplis mon mandat. Autrement dit, c'est un mandat de virement !
Mes choses étant ce qu'elles sont, comme on dit chez vous, je préfère rester à mon poste. Et pourtant, j'ai l'impression que j'eusse pas été inutile sous le Vélocycle du Palais Bourdon. Quand il s'agit des intérêts de la Patrie, la Voix d'un brave homme c'est une corde vocale de plus à l'arc de la nation.
C'est donc mon adjoint, l'ex-adjudant Paul Morbleut qui va prendre ma place. Popaul, c'est pas le mauvais bougre, seulement il a un défaut : il boit. Je vous le dis pas pour rapporter, c'est pas mon genre, mais pour que vous fassiez gaffe qu'il soye bien à jeun quand vous lui ferez voter une loi.
Peut-être que vous pourriez donner des instructions à ce sujet à la cantine de l'Assemblée ?
Avec mes hommages pour votre dame, je vous prie d'agréger, mon Président, l'espression de mes poignées de mains les plus républicaines : Alexandre-Benoît BERURIER
P-S : Si j'osais, j'ajouterais : Vive la France !
FIN
Dans la réalité, les crimes en vase clos n'existent pas, parce qu'ils sont impossibles.