Il se défarcit les coquilles énergiquement.
— Quelle idée, continue, je suis passionné.
— Les deux plaques constituent le testament. Celui-ci a été dressé en deux exemplaires. Il y est précisé qu’en cas de retour du neveu, le trésor de Tubulure I erdevait lui être restitué. Une bague ornée d’une améthyste prouvait l’identité de ce dernier, car il la portait au pouce, et, à la suite d’un accident, ne pouvait la retirer. Un vrai conte pour petite fille modèle Ségur amélioré Mademoiselle Age Tendre, je te dis.
— Et l’améthyste, ce serait la fameuse bague de Duplessis ?
— Dix sur dix, l’Amoindri. Que s’est-il passé par la suite ? Comment les deux plaques et la bague se sont-elles trouvées rassemblées dans un coffre de fer déterré en une chapelle romane ? Mystère. Entier. Que seul probablement le Vatican pourrait éclaircir par ses archives. Sans doute le neveu est-il revenu pour réclamer son dû en brandissant sa plaque d’or et son doigt bagué, et re-sans-doute s’est-il fait recevoir compagnon, mais pas compagnon de Jéhu. On n’a aucune trace de lui. Les siècles suivants restent muets quand aux rebondissements de cette affaire qui ne fut qu’une péripétie parmi tant d’autres en ces temps cruels et bouleversés. Toujours est-il que l’ensemble des documents tomba un jour dans les pattes de ces gredins.
Pinaud bâille.
— Jolie histoire. Continue…
— Mis en branle par le comte de Monte-Carlo, l’Avoine dépêcha un de ses sbires chez le vieux brocanteur avec mission de lui racheter (ou au besoin de lui reprendre) ces trois pièces. Il dut s’y prendre maladroitement, car le vieux madré flaira la bonne affaire et prétendit les avoir vendues à un inconnu. Le messager de l’Avoine changea alors de ton et déclara qu’il lui fallait coûte que coûte récupérer la bague et les plaques. Il somma le vieillard de l’aider à retrouver son pseudo-acheteur. Terrorisé, le vieux promit d’entreprendre une démarche. Effectivement, il fila droit chez Duplessis pour réclamer la restitution de ses présents.
« Le coup des dominos chutant à la renverse, je te dis. Tu pousses le premier de la file et tous les autres y vont de leur plongeon. Duplessis, tout comme son vieux client, pigea qu’il détenait un truc important et prétendit à son tour s’en être séparé. Pleurs et menaces ne le firent pas changer d’attitude. En désespoir de cause, le vieux broc balança l’ami Tonin aux boy-scouts de l’Avoine qui l’entreprirent sérieusement. Mais Antonin Duplessis, de Saint-Locdu-le-Vieux, était un paysan obstiné, semblable à son éminent compatriote l’officier de peau lisse Bérurier. Il planqua les plaques où nous savons et joua les crétins. Ni les coups ni les menaces n’eurent raison de son obstination. Alors, l’Avoine opta pour la ruse. Ayant bien étudié le comportement du bonhomme, il se vieillit, se déguisa en Pinaud rabougri et devint son client.
— Merci, charmant, toussote l’Effilé.
Je poursuis :
— Car il faut poursuivre bien, Névropathe ? Qu’autrement sinon tu te mettrais encore à rouscailler comme un nain perdu dans la foule et qui ne voit que des fesses au lieu du feu d’artifice.
— La méfiance de Duplessis ne se démentant pas, on résolut de lui filer une bille dans les pattes. Une belle ! Une très très belle.
Là, mon cœur s’emballe, ma voix mue, aimue.
— La mûlatresse ? dit Pinaud.
J’abats mon poing sur la table métallique où sont disposés les accessoires les plus précieux du Félé, à savoir son dentier et son bandage herniaire.
— Je te prie d’abord d’être poli et de ne pas faire de racisme, César. D’abord la jeune fille en question n’est que bronzée. Je connais mille connes de pure race qui sont deux fois plus noires qu’elle lorsqu’elles rentrent de Saint-Trop’. Cette merveilleuse jeune fille avait un frère dévoyé qui travaillait pour l’Avoine et auquel il a dû faire de l’arnaque car il a été liquidé. L’Avoine a fait pression sur cette adorable Zoé…
Béru vient de rentrer, porteur d’un carton à l’intérieur duquel s’entrechoquent des flacons.
Il a entendu ma dernière phrase et rigole.
— D’après selon ce que j’entends, môssieur le commissouille de mes caires te fait part de son prochain mariage ?
— Quoi ? se réveille Pinaud.
— Ah, il t’a pas encore aboulé le plus chouette : il va épouser la môme Zoé. Un coup de buis monstre, il a reçu. La grande embellie. Le sirocco. Mon cœur est tatoué ! La lumière bleue. Le jardin des supplices ! Faut reconnaître qu’elle vaut la bagouze, cette petite mémé. Bien sous tous les rapports. Gentille, pas conne. Elle nous plaira, je sais déjà. Et jolie… Mince, quand je mate sa peau orangée, j’en ai l’eau qui me vient à la bouche. Laisse qu’il l’épouse. Ensuite, je m’achète une cravetouse neuve et je t’y fais une cour sans freiner. Te v’là prévenu, Sana. T’as beau être mariolle, je ferai jouer mes charmeuses. Le grand jeu… Tiens, je prendrai même un bain, si nécessaire.
Bon, voilà, alors Béru continue sur ce ton connard. Et moi ça ne m’agace pas, ça m’amuse. Ma Zoé. Je pense à elle sans arrêt, comme un fou.
Mariage ? Faut tout de même réfléchir. Je suis San-Antonio. Donc pas conditionné au départ. Mais enfin, quand la grande amour cogne à ta lourde, hein ?
Hein ?…
J’ai pas raison ?
Je t’épargne les commentaires de mes deux melons. A moins que tu sois collectionneur de lieux communs, ce qui serait assez dans tes aptitudes…
Ce compartiment de notre entrevue dure trois bouteilles de Côtes du Rhône (y avait plus de beaujolais, ils attendaient d’être livrés).
Après quoi, force de l’habitude aidant, Pinaud revient à l’affaire.
— Et la petite n’a rien pu tirer de lui ?
— Pas grand-chose. Dans le fond, je vais vous dire à la faveur de tout ça, c’est plutôt Duplessis qui a tiré gentiment les vers du nez aux autres.
— Un type de Saint-Locdu, qu’est-ce tu croyais ! exalte l’Emphatique.
— Ils l’ont fait s’installer à la Résidence Carole à la suite de je ne sais quelle pression pour l’avoir sous la main. Peut-être espéraient-ils qu’en provoquant un changement de résidence, Duplessis commettrait une fausse manœuvre ? Peut-être aussi, le comte de Monte-Carlo a-t-il eu avec lui une conversation franche et loyale au cours de laquelle il lui a dévoilé certaines perspectives ? J’incline à le penser, car sinon je ne vois guère, Gros, comment ton pote le cardinal aurait eu vent d’un attentat contre Sa Sainteté.
On barbote un court instant dans des songeries. Puis le Chétif dit :
— Tout de même, un point n’a pu être élucidé qui me tient fichtrement à cœur, vous vous en doutez. J’aimerais bien savoir ce que c’était que ce rayon auquel j’ai été traité.
— Et moi donc, soupiré-je. J’ai confié les décombres de l’appareil au labo, mais ils n’ont rien pu en tirer. Enfin le médecin-chef est affirmatif, César : tu es en parfaite santé. Pas d’inquiétude à ce sujet.
Le Tréfilé hoche la tête.
— C’est pas de l’inquiétude, mon petit, c’est de la curiosité.
— De même, enchaîne doctoralement le Gros d’une voix macérée dans le vin rouge, on ne sait pas pourquoi ces carnes de la bande ont buté tant de gens pour s’estropier les plaques et la bagouze. Gros os molosse, l’ensemble va chercher sa petite tuile en anciens francs, non ? Et même qu’y aurait l’avaleur documentaire en suce, y a franchement pas de quoi remplir le Père-Lachaise.
— Il est probable, conclus-je, que ces babioles représentaient beaucoup plus pour Monte-Carlo et qu’il avait ourdi un plan d’envergure. Ce plan était si important que les comparses n’ont pas été mis dans le secret, ce qui est bien regrettable vu que nous n’avons plus qu’eux à nous mettre sous la dent.
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