Il aurait mis deux « t », la lumière aurait jailli !
— Regardez attentivement les mains de la princesse.
Je m’écarte pour lui laisser le créneau. Mais je continue de mater par-dessus son épaule. La chère Lady renouvelle son geste calamiteux. Plus fougueuse cette fois. Elle empoigne toute la panoplie à l’amiral. Le pauvre homme, il serait japonais, tu pourrais déjà nettoyer son sabre à l’alcool à 90° pour l’harakiri inévitable.
Larry Baude a un sursaut. Il se détourne, très pâle.
— C’est épouvantable ! balbutie-t-il.
Il regarde mourir l’Angleterre, cézigue. Sa chère vieille Albioche ! Et il voudrait anéantir tout ce qui nous entoure : la maison, les invités, le rocher Suchard avec ses singes…
— C’est la faute de l’Hindoue, lui dis-je. Emmenez-la immédiatement car cette fille suggestionne votre princesse, mon vieux. Il s’agit d’un envoûtement. Mesurez l’ampleur du scandale s’il est connu du monde entier.
Tu penses qu’il mesure ! Pas besoin de chaîne d’arpenteur !
N’écoutant que mon conseil, il fonce. Je le vois aborder Iria. Celle-ci a un tressaillement suivi d’un froncement de sourcils irrité ; puis son expression devient urbaine. Le secrétaire lui fait signe de l’accompagner. Elle obéit. Ils sortent de la pièce.
Presque aussitôt, la princesse lâche sa proie.
Ouf ! Deux ou trois personnes pétrifiées commençaient à réagir et s’apprêtaient à alerter les autres convives pour les prendre à témoin de l’incroyable scène.
L’amiral récupère sa bitoune et se taille pour aller cacher sa honte sous les palétuviers roses du jardin.
Il se dit que ça va chier pour ses galons, à l’amirauté. On va lui apprendre ce qu’il en coûte de se laisser taper un rassis par la princesse, au beau milieu d’une réception ! Et en terre presque étrangère encore ! Ils lui feront porter le chapeau, au Lord amiral ! Comme quoi c’est lui qui aura eu les privautés, tu penses ! Va falloir la blanchir Omo, la Lady. Défarguer le scandale sur pépère à cent pour cent ! L’Histoire, ça s’adapte. Question d’interprétation. De l’eau coulera sous le pont de la Tour de Londres avant que Decaux rétablisse la vérité du Bon Dieu sur nos écrans !
Y aura des vagues dans la Royale Navy, espère ! Des creux de quinze mètres qui vont l’engloutir corps et biens.
Pendant que ça chuchote à la ronde, qu’on observe la comportance de Lady Di, savoir si elle va pas encore grimper au chibre, la pauvrette, son bonhomme, grand glandeur devant l’Eternel, continue d’écouter les giries de Pierre, Paul, Jacques, plutôt de Peter, John, William, les mains dans le dos, comme y a appris son papa, m’sieur Consort (et qu’on oublie de rentrer). Il a le sourire Sigrand, perpétuel. Que même pour dormir on le lui fixe au collodion et à l’albuplast. Princier, si tu vois ce fameux sourire. Léger, entendu. Pas vanneur ni supérieur, juste clément. C’est pas le tout, y va être roi, sa pomme. Faut pas qu’il manque une prémolaire à ses guêtres. C’est dans la mâchoire, la majesté, chez les Windsor. Pour ça qu’ils ont tous un petit je ne sais quoi de chevalin dans le tiroir du bas. Il ignore les dévergondages occultes de sa petite mousmé, le Glandu. Ils auront beau dire, à la cour, que si elle y tâtait le neutron à l’amiral Anyboat, c’était pour s’assurer qu’il lavait bien ses lainages avec Woolite, ça lui filera le masque, à Charlot-les-grandes-étiquettes, de ligoter ça dans les gazettes.
Débarrassé d’Iria, je dégage du paravent et vais renoucher la célèbre victime de l’Hindoue. Comme mon Président, l’autre aprèm’, dans les jardins de l’Elysée, elle est pâle et hagarde après cette dure séance. Pauvre chère âme ! Une secousse pareille, t’envisages la perturbance de son métabolisme ? Son prochain baby risque de naître biscornu comme si elle buvait de la Talidomide à la place de son tea !
Tu l’imagines, coltinant cette opprobre jusqu’à la fin de ses jours au côté de son Charles III ? Non, non ! Le Seigneur est grand qui accorde l’oubli aux infortunés, victimes de coups fourrés abominables.
Elle se remet de l’expérience comme d’un étourdissement. Disons qu’elle a eu un étourdissement ; juste un passage à vide ; pas de quoi péter une pendule, merde ! Ça t’est jamais arrivé, tézigue, de tâter la bistounette d’un monsieur à l’improviste, commako, en camarade, juste pour lui témoigner ta sympathie ? Ose prétendre le contraire, voyouse, en regardant comme mon fond de l’œil est frais !
Rassuré sur son sort, je les quitte, elle et son hareng saur, pour aller dire trois-quatre mots à miss Jélaraipur.
Dans l’antichambre, je me bute à un Maure de Venise du dix-huitième siècle qui brandit une torche éteinte. La statue pousse une brève exclamation car c’était un mec de l’Intelligence Service travesti qui surveillait les lieux.
Drôle de surveillance.
Je le lui dis sans jambages :
— Une épée comme toi, je lui fais, ils en voudraient même pas chez Sécuritas pour assurer un remplacement.
Et de me mettre à la recherche de Larry Cochet.
M’étant enquis de sa pomme, un valet m’apprend qu’il est sorti en compagnie de plusieurs personnes.
Il n’a pas dû aller loin car je vois resurgir le secrétaire du gouverneur, rouge comme un buisson ardent (ou d’écrevisses) du fait que, malgré la chaleur, il a, pour sortir, enfilé un imperméable par-dessus son spencer de cérémonie.
— Comment va Sa Grâce ? il me demande, surexcité, ce qui est plutôt rare pour un Anglais.
— Elle récupère, dis-je.
— Vous pensez que… qu’elle se remettra de cette agression psychique ?
— Sans nul doute, nous l’en avons arrachée à temps.
— Cette fille est donc une diablesse ! s’exclame Larry Sképerryl en posant son survêtement.
— Elle défie notre esprit cartésien, en effet. Qu’en avez-vous fait ?
— Je l’ai expulsée.
— Vous n’avez pas eu beaucoup de chemin à parcourir, gouaillé-je. Sous quel prétexte ?
— Aucun. Personnalité indésirable sur le Rocher, ça suffit. On ne peut guère l’incriminer à propos d’un pouvoir qui n’est pas prouvable, d’ailleurs nous ne devons surtout pas créer de remous autour de cette malheureuse affaire.
Il me tend la main.
— Merci pour votre intervention, commissaire, la Couronne vous doit beaucoup et vous exprimera postérieurement sa reconnaissance.
Je presse sans enthousiasme sa demi-livre de phalanges et phalangettes particulièrement cartilagineuses sous leur enveloppe glacée.
— Il serait intéressant de savoir qui a introduit cette fille ici, ne trouvez-vous pas ? demandé-je à Larry Baude.
— Nous allons mener une petite enquête.
— Je puis d’ores et déjà vous fournir de sérieux éléments.
Et je lui décris les deux hommes de la Minimock venus attendre Iria Jélaraipur au débarcadère.
— Je vois parfaitement de qui il s’agit, m’assure le secrétaire : Thimothy Ox, un correspondant de presse permanent à Gibraltar, il travaille pour une agence internationale dont le siège est à London. Nous allons avoir une conversation sérieuse avec lui. D’autant plus rapidement qu’il est invité à la réception.
Que puis-je faire d’autre, n’étant pas chez moi ?
Prendre congé ?
Oui, hein ?
Je le prends.
Des éclats de voix m’arrivent sur la coloquinte tandis que je gravis l’escadrin. Au fur et à mesure que je grimpe, je démêle des invectives anglaises auxquelles répondent des imprécations espagnoles.
Parvenu sur l’ultime palier — celui de Dolorès — j’identifie parfaitement la voix d’icelle. La latinité, dans ce genre de sport, finit toujours par l’emporter sur l’anglo-saxonnerie, aussi son verbe se fait-il plus pressant et plus présent que celui de son antagonoche.
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