Larry Golade tire sur les deux pointes de son spencer (Tracy).
— J’y ai effectivement aperçu une dame hindoue, confirme-t-il.
— Monsieur le secrétaire, il est indispensable que je puisse jeter un regard sur cette fille afin d’étudier son comportement. Il faudrait que je puisse l’observer sans être vu d’elle. Ce ne serait l’affaire que de quelques minutes.
Comme il paraît peu coopératif, j’ajoute :
— Si vous avez des réticences à mon propos, je vous prie d’appeler l’Elysée et de parler de moi au Président ou, à la rigueur, à son conseiller, M. Auguste Bajazet.
Larry Golade hoche le chef.
Pardon ? Qu’est-ce tu dis ? J’ai déjà eu un Larry Golade dans l’une de mes précédentes z’œuvres ? Je te demande pardon. Et Larry Post ? Tu te rappelles plus ? Ou bien, tiens, Larry Tournell ? Non, hein ? Bon : on garde Larry Tournell. Donc, Larry Tournell branle le chef, déterminé.
— Suivez-moi !
Il m’entraîne dans un long couloir. A l’extrémité dudit l’en est un autre, moins large. Un brouhaha de salon s’enfle à mesure que nous avançons.
Larry Tournell ouvre une petite porte et pénètre dans la salle où se tient la fiesta.
Cette vaste pièce ouvre sur une terrasse. Le buffet est dressé dans la pièce, mais les invités se tiennent de préférence à l’extérieur. De part et d’autre du buffet, de grands paravents de bambou masquent les denrées prêtes à renouveler celles qui seront consommées par les invités. Mon mentor (qui n’est jamais cru, même quand il dit la vérité) me fait signe de venir m’embusquer derrière l’un de ces paravents. Entre les panneaux, il subsiste un intervalle d’au moins cinq centimètres par lequel on obtient une vue complète sur l’assistance.
— Mettez-vous ici et n’en bougez plus ! m’enjoint-il.
— Mille mercis, monsieur le premier secrétaire.
L’homme au spencer s’arrête brusquement.
— Ne prenez pas ma requête en mauvaise part, monsieur le commissaire, me dit-il ; mais je voudrais m’assurer que vous n’avez pas d’arme sur vous.
Avec un sourire de pardon, je lève mes bras pour l’inviter à me fouiller. Il le fait rapidement, efficacement, et de haut en bas. Heureusement que j’ai dégodé, sinon il allait croire des choses.
Son inspection achevée, il m’adresse une mimique de reconnaissance et va se mêler à la foule.
Moi, très vite, je retapisse la môme Iria. Déjà en plein turf. Et je te vas expliquer bien succinctement l’en quoi cela consiste. Elle a, selon son habitude, choisi un poste d’observation adéquat (les meilleurs) près d’un pilier et fixe Lady Di, laquelle est en converse avec un amiral de la flotte britannouille.
L’amiral est un bel homme au poil gris, au teint patiné par le grand air de la dunette, ou par celui du scotch (terrier). Physique de médaille ! Sa converse doit avoir de l’agrément car la future reine rit de ses trente et une dents (il lui en manque une, au fond et à gauche, consécutive à une noisette résistante).
Iria est braquée, tel un rayon laser, sur la belle princesse que moi, franchement, d’accord, elle est sympa, charmante, pas mal roulée, mais y a vraiment pas de quoi se mettre la queue en trompette.
De son côté, le prince Charles, en grande tenue écossaise (il a choisi celle-ci because la chaleur, ça lui permet d’aérer ses balloches préroyales) raconte les dernières de Buckingham au gouverneur et à sa dondon à peau porcine. Of course, les courtisans forment des groupes autour des deux hôtes fameux et écoutent, en retenant des filets de bave admirative, l’échine en crosse d’évêque.
Ma môme Iria, crois-moi, elle en colle un pacsif à sa cliente. J’ignore de quelle pensée elle charge son fluide, toujours est-il qu’elle y va plein cadre.
J’évite de la fixer moi-même, pas la perturber et détourner ensuite son attention sur ma pomme comme ç’a été le cas (d’astre) à l’Elysée-m’as-tu-vu. Je suis curieux de voir dans quelle direction elle oriente sa démarche psychique.
J’observe de préférence la chère Lady Di, si opportune pour les magazines de France et Navarre. Je l’imagine, dans vingt ou trente piges, en plein règne et ménopause, quand elle sera devenue dodue, avec des chapeaux forestiers, plus tartes que ceux d’aujourd’hui, pleins d’oiseaux et de fleurs foisonnantes. Je la vois, sourire figé, entourée des siens et de la considération de tous, coincée dans les fastes du palais, ou bien passant la garde en revue sur le cheval blanc d’Henri IV dont on se rappelle jamais la couleur ! Roulant carrosse, au grand dam de ses hémorroïdes. Je la vois en bonnet à poils et tunique rouge. Au diable la varice ! Toutes les princesses de rêve finissent avec la bouille de Mme Pipi.
Lady Di, tiens, que se passe-t-il ? Elle a cessé de rire. Son expression est devenue tendue, perdue…
Jeanne d’Arc écoutant ses voix un jour que la communication passait mal. Elle vagabonde par l’esprit. Reusement, l’amiral Lord Anyboat continue la jactance en roue libre. Derrière mon paravent, je peux pas entendre ce qu’il cause, mais il le fait avec une nonchalance aristocratique. Un demi-sourire de déférence aux lèvres. Il a de la bouteille (à la mer), mais son charme demeure intact.
Je pressens qu’il va se passer quelque chose. Il y a un je ne sais quoi de médiumnique dans l’attitude soudainement figée de la princesse.
Ça se produit brusquement, presque innocemment. Je vois la tendre Lady avancer sa main vers la braguette de l’amiral. Lui ne se rend compte de rien et continue d’emmener son escadre de mots sur les flots calmes du bon ton.
La menotte princessière n’est plus qu’à dix centimètres du futal blanc de son terlocuteur.
Elle paraît hésiter telle la colombe (elle est gantée de blanc) cherchant le rameau sur lequel elle se posera.
L’amiral explique dans le sérieux, il doit raconter Gibraltar, selon moi, ces enviandés d’Espingouins, qui la ramènent, réclament leur caillou, comme quoi, merde, ils se sont farci les Arbis pendant des siècles, c’est pas pour tolérer les Rosbifs jusqu’à plus soif, sans blague ! Eux aussi, ils en sont du Marché commun. La Méditerranée ils sont cap’ de la garder aussi bien que les scouts à la belle-doche de Di, non mais des fois !
Et puis il reste la bouche ouverte, l’amiral, au risque de couler par cette voie d’eau qui le laisse sans voix ! Mme Windsor jeune vient de lui empoigner le bec verseur. Qu’alors là, au grand et au petit jamais on a vu pareille chose chez ces illustres.
Commako, en plein salon ! La main au décolleté de M. l’amiral. Le coup du saute-au-paf ! Je te tiens, tu me tiens par la barbichette !
Le vieux gonzier, tu le verrais, à bout d’époustouflance, reculer misérablement, manière d’échapper à l’étreinte. Que toute sa glorieuse carrière est remise en question ; et, qui pisé, ses concepts, sa notion profonde de la souveraineté de l’empire britannoche. Lui, la famille royale, c’était le top, jusqu’à cet instant. L’inébranlable ! Et voilà qu’elle le branle !
Merde ! Impossible !
Iria continue de fixer Lady Di. Et celle-ci fait en avançant le pas que l’amiral a fait en reculant.
J’adresse un signe au loufiat le plus proche : un rondouillard couleur bacon.
— Allez immédiatement chercher mister Larry Golade, je vous prie !
— Je croyais que vous l’aviez rebaptisé Larry Tournell ou Larry Bambell ? s’étonne l’esclave.
— En effet ; veuillez pardonner cette distraction d’auteur surmené.
Le serveur part à la recherche de Larry Boulding et me le ramène le temps de compter posément jusqu’à trois.
— What ? demande le secrétaire.
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