Il marchait en se dandinant, le menton dressé pour tenter de gagner deux centimètres. Je le trouvai élégant dans son costard prince-de-Galles bien coupé et son polo de soie noire.
— Mords un pneu ce qui nous arrive, Gros !
Bérurier eut un hennissement de licorne (à chaussures) en rut.
— T’veux parier qu’c’est not’bout d’zan ? bavocha le Prophète.
— Allez, go ! Laisse-moi usiner.
Je me dirigeai vers le nabot d’un air décidé non sans avoir accroché un sourire à ma face, comme l’écrit mon cher Aznavour dans son célèbre tube : Tu te laisses haler.
— Vous êtes mister Teddy ? je lui demandai en anglais.
Le nain portait des lunettes, ce qui n’était pas incompatible avec sa taille ; il les assura sur son nez, comme le font tous les binoclés.
— Oui, pourquoi ?
— J’aimerais m’entretenir avec vous, mister Teddy. Je suis un réalisateur de cinéma français. Et voici mon producteur, mister Montgau. On nous a beaucoup parlé de vous et il se trouve que nous aurions un rôle important à vous proposer dans un film sur la Rome antique.
Il sourit, hocha la tête et me tendit vingt-cinq centimètres de bras terminés par une main que je pressai sans grand enthousiasme.
— Je dois vous prévenir que je suis artiste de music-hall, mais n’ai jamais fait de cinéma, déclara cet homme intègre.
— Ce n’est pas une objection valable, mister Teddy, ripostai-je ; car il faut un début à tout.
— Juste ! admit-il, bien que nain.
— Où pourrions-nous discuter tranquillement, mister Teddy ?
Il hésita.
— J’habite ici, fit-il en désignant l’immeuble. Un petit appartement que je partage avec ma nièce, c’est très modeste, je vous préviens.
— Nous n’avons pas l’habitude de signer des contrats dans des palaces, mister Teddy, lui répondis-je tout en m’efforçant d’avoir l’air moins grand que nature afin de le mettre à l’aise.
Il nous fit pénétrer dans cet immeuble du dix-septième siècle où la Hollande souffrante venait copuler. Justement, le client de la demoiselle Marika était en partance pour Panardland et poussait des clameurs de goret saigné en offrant à l’univers blasé quelques centilitres de semence à perpétuer la connerie.
Nous gravîmes un escalier de pierre, ce qui nous permit d’atteindre le premier étage où habitaient le nain et sa nièce. Le logis était en grand désordre ; visiblement, la Marika ne s’occupait pas du ménage. Elle vendait son cul et se camait, là se limitaient ses activités. Le nain ne se cassait pas non plus la nénette.
Il débarrassa un canapé d’un monceau de hardes féminines qu’il déposa précieusement par terre ; libéra un fauteuil de la vaisselle sale qui l’encombrait et nous pria de nous asseoir. L’endroit puait la bière et le H, avec des relents bizarres de cuisine honteuse et de mauvaises digestions consécutives.
Escalier grimpant, j’avais raconté un joli petit scénar au gnome comme quoi il allait jouer un nain maître de plaisirs à la cour de Stradivarius le Grand. Il devait organiser les réjouissances du corps et montrer l’exemple en « aménageant » des vierges pour les préparer à la verge impériale. Il assura que ce rôle le bottait.
Il se voyait déjà en péplum, la bitoune aux quatre vents sous des dais de brocart, mystifiant les colonnes marmoréennes avec son formidable appendice.
Lorsque nous eûmes pris place, il sortit une bouteille d’aquavit ainsi que trois verres douteux qu’il remplit à ras bord et nous offrit.
Bérurier prit alors la parole. Jusque-là il m’avait laissé manœuvrer sans moufter, mais la menteuse lui démangeait.
— Ecoute, grand, m’apostropha le Gros, j’ai rien pigé aux vannes qu’t’as sorties à ce basset artésien, vu que si je parle couramment l’anglais, j’le comprends pas très bien ; mais moi j’trouve que ça va commak et qu’on doit enclencher la vidéo. D’penser qu’c’est c’te moitié d’homme qu’a engouffré ma Berthe av’c sa matraque d’C.R.S., ça m’démange d’le massacrer.
— Calmos, mon lapin.
Béru vida son glass cul sec.
— As-tu une photo de ta bonne femme sur toi ? demandai-je.
— Ben voilions, ça croule de source.
— Donne !
D’un portefeuille marocain en peau de chameau repoussée (et repoussante), mon ami sortit [3] Je voulais employer le verbe extraire, mais son passé simple n’existe pas. Et tu voudrais que je cesse de bricoler mon français, toi !
un rectangle de papier glacé sur l’avers duquel figurait sa dame attablée devant une choucroute.
— Un souv’nir d’nos vacances aux Baléares, commenta le cher homme.
Le cliché montrait B.B. épanouie, la bouche grande ouverte prête à y accueillir une saucisse.
Elle avait l’air heureuse et son homme se mit à pleurer.
Je présentai sans un mot l’image au nain.
— C’est cette dame qui nous a parlé de vous, lui dis-je.
Je le sondai à mort. Mes falots ? Deux lasers. De son expression allaient dépendre beaucoup de choses. Fallait le percer à jour en un flash. Il était loin du compte pour le moment, batifolant dans des rêves technicolor sur écran large.
Il prit la photo et regarda.
Top !
Ça y était. Une fraction de seconde. Le sursaut interne, si je puis dire ! Il venait de l’avoir. Instantanément, il avait cessé de rire. Il hocha la tête et eut une moue d’incompréhension.
— Je ne connais pas !
En guise de réponse, je tirai une autre image de ma vague. Celle qui le représentait en train d’emplâtrer la Berthe.
— Pourtant c’est bien vous, là !
Nouveau regard. Mais chargé de crainte et d’angoisse. Il tombait de haut, le petitou. Finie la superproduc. Il venait de se faire piéger comme un bleu.
— Vous plaisantez !
— Pas le moins du monde.
Je m’emparai de sa dextre et la comparai avec celle qui se cramponnait au monument des poilus d’Orient de Mme Bérurier.
— C’est l’évidence, mister Teddy ! Non ?
Je lui repris les deux photos.
Il restait indécis, craintif et tendu, comprenant mal où je voulais en venir, mais sachant déjà que ça n’était pas fameux pour sa quiétude bourgeoise.
Béru, surtout, alimentait son anxiété par les regards meurtriers qu’il ne cessait de lui décocher. De plus, le Gros dégageait une sale odeur de haine et le nabot (Léon) la percevait parfaitement.
Je pris plaisir à laisser se prolonger le silence. Rien ne prépare mieux un homme inquiet aux confessions que de le faire macérer dans une ambiance calamiteuse.
Pour tromper l’attente, je bus mon godet d’aquavit à petites gorgées de rouge-gorge.
Le nain ôta ses besicles pour les fourbir à l’aide de sa pochette de soie. Il tentait désespérément d’avoir l’air dégagé, mais n’y parvenait pas.
Il les reposa sur son tarin et murmura :
— Que désirez-vous, au juste ?
— Qu’est-ce y dit ? demanda Béru.
— Il demande ce que nous lui voulons.
— C’t’une bonne question à dix balles, ronchonna l’Immense. Déballe-z’y le topo, mec. Et ajoute-z’y qu’si y n’répond pas franco, j’sus prêt à exercer su’sa pomme des pressions psychologiques, comme on dit dans nos émanuels professionnels.
Je brandis la photo de Berthe déguisée en levrette devant la frite du nain.
— Qui prenait les photos pendant cette délicate manœuvre ?
— Ma nièce.
Je compulsais les images de la partouze que, pour la commodité de manœuvre j’avais ôtées de l’album et fourrées dans ma poche. Sur l’une d’elles on apercevait, en amorce, la hanche d’une seconde femme.
— Vous mentez, votre nièce participait aux réjouissances.
Читать дальше