Sachant bien que je vais le rejoindre, le Gros m’attend sur le perron de l’Elysée en discutant le bout de gras avec un factionnaire qui sabre au clerc. Le chauffeur du ministre peau-de-chamoise son pare-brise et ses chromes. Lorsque je me pointe, Bérurier enfonce ses mains de fée dans les vagues de son grimpant et dévale les marches, la tête dans les épaules en une attitude de plombier-zingueur sortant du bistrot. Il fait un crochet vers son ex-voiture de fonction et lance au conducteur :
— Tu peux les mettre, Gégène, t’auras un autre patron ce soir ; j’ai rendu mon tablier.
Ahuri, le chauffeur reste figé. Sa Majesté sort sa dextre pour lui tapoter la joue.
— T’as un job d’première, mec, garde-le ; pour tout t’confier, j’t’ai vach’ment envié pendant mon séjour d’miniss. Surtout quand t’est-ce qu’après un banquet à la con où j’avais clapé des tristesses, tu t’ramenais av’c des renvois d’escarguinches à la parisienne ou d’bœuf mironton qui m’embaumaient la bagnole. Les gens croivent pas, mais la planque idéale, c’est pas miniss, c’est chauffeur d’miniss.
Il lui en serre cinq.
— A la r’voyure, bout d’homme. Maint’nant qu’on appartient à la même classe sociable, on trinquera quand on s’rencontrera.
Et sur ces belles paroles, nous quittons l’Elysée, à pinces, comme le cher Giscard le fit à la fin de son turbin.
Le Mastar hume l’air chargé de Paname.
— Y aurait pas l’souci d’ma Berthe, j’serais joyce comme un piaf, me dit-il. Dégagé ! C’que j’ai pu m’plumer à ces conseils des miniss, mec ! C’est chiant à crever. Se croirerait à l’école !
On tourne le mur de la caserne pour gagner les Champs-Elysées. Y a de la mollesse autour de nous.
Le Gros arque un bout et demande :
— Alors, c’est quoi la tactactactactique du gendarme, chef ?
C’est vrai : me voilà redevenu son supérieur. Mais, au fait, est-il encore flic ? Son maroquin n’a-t-il pas balayé totalement sa situasse antérieure ? Faudrait savoir, non ?
— Surtout, tu disparais, recommandé-je. Ne retourne chez toi à aucun prix. Là, tu les fais marrons, mon pote ! Ils ont kidnappé l’épouse d’un ministre afin de le faire chanter, mais y a plus de ministre. Fini, remplacé, envolé. Ces cons se retrouvent avec ta Baleine sur les bras.
— Ils vont la scrafer si ell’n’sert plus à rien !
— Mollo ! Toi, tu leur claques dans les doigts, mais le gouvernement demeure. C’est maintenant sur lui qu’ils vont exercer leur pression, en menaçant de publier les photos qui tout de même la foutent mal pour lui. La femme du ministre démissionnaire en pleine partouze, à s’offrir un mandrin gros comme un séquoia géant, ça fait pas tellement smart pour le régime. T’imagines, l’opposition, ce qu’elle va organiser comme galas sur le thème ? Bon, ton départ et les belles et fortes déclarations du président (compte sur lui pour composer des alexandrins sur son déchirement) écraseront le coup, n’empêche qu’il restera des taches durailles à effacer.
— Conclusion, ils vont pas carboniser ma Berthy avant la fin des pourparlers ?
— Une monnaie d’échange pareille, on la joue pas sur un numéro plein, gars.
Nous voici à l’abri des marronniers ombreux. Des enfants se coursent sous l’œil distrait de bonniches portugaises. Un sadique erre dans son vaste pardessus (lequel mérite bien son nom, car si tu savais ce qu’il trimbale par-dessous !). Paris de tous les jours, Paris tranquille !
— T’as un plan, Sana ?
— Bien sûr.
— Lequel est-ce-t-il ?
— Le même que le tien : récupérer ta Grosse en catastrophe.
— Comment on va s’y prendre, puisque tu me coupes de ces charognards ? On les eusse laissés me contacter, ça nous offrait un début d’piste possib’.
— Tu les prends pour des branques ? Ils sont organisés et outillés, les révérends frères de Justice et Fraternité !
— Elle est connue, c’te boutique ?
— Première fois qu’on en entend parler ; mais ce genre de raison sociale pullule de nos jours. Seulement, la façon dont ils ont opéré pour embarquer ta rombière et la flasher dans ses débordements les plus épiques en dit long sur leur technicité. Je les juge hautement opérationnels.
— Bon, alors c’est quoi, ton plan ?
— On file à Amsterdam.
— Mais, sur la bafouille, y disent qu’elle n’est plus en z’Hollande.
— Tu coupes dans leurs vannes toi, Moudu ? Et quand bien même elle n’y serait plus, le début de la piste, lui, s’y trouve.
— C’est quoi, le début de la piste ?
— Le lieu où a été organisée la partouze, mon pote ! Tu m’as bien dit que la Grosse voulait visiter les rues aux putes ?
— Ça l’intéressait, voui, pourquoi ?
— Tu te doutes bien que c’est dans le quartier chaud que la chose s’est passée. Ton ogresse devait avoir ses vapeurs à mater les donzelles en vitrines et les julots accourant pour les calcer. Elle se sera laissé faire du contrecarre par un beau ténébreux et l’aura suivi.
— Par curiosité ?
— Bien sûr : Amsterdam-vice !Visite organisée ; ça ne se refuse pas quand on a la manette du réchaud perpétuellement sur la position 6.
Le Gravos fait la moue.
— J’le connais l’quartier des radasses d’Amsterdam, il est grand ; tu comptes faire du porte-à-porte ? En moins de jouge on s’ra retapissés et mis à l’indesque.
— Un élément va nous faciliter le travail.
— Lequel-t-il ?
— Ouvre ton bel album de famille, Gros, et mate l’avant-dernière photo…
Il s’arrête et obtempère.
— J’y sus.
— Que représente-t-elle ?
— L’enfourchement cosaque de ma Merveilleuse par le gus au baobab.
— Et ça se passe comment, cet épisode guerrier, mec ?
— Mon adorée est à genouxe et l’sagouin la grimpe en danseuse.
— En effet. Et en dehors de son goumi féroce, à l’artiste, tu aperçois quoi d’autre de lui ?
— Ses gesticules : on dirait deux gourdes en peau d’chèvre de deux lit’ chacun.
— Toujours exact. Et, outre ces outres, que distingue-t-on encore ?
Le Monumental examine l’image.
— Ses mains sur le michier à ma Grosse.
— Bravo ! Comment les trouves-tu ?
— Bizarres.
— Sais-tu pourquoi elles le sont, monsieur l’ancien ministre ?
— Cause !
— Parce que ce sont des mains de nain.
— De nain ?
— De nain !
Il hoche la tête, incrédule.
— Tu voudrais m’faire croire qu’un nain peut être membré si gigantesqu’ment ? La monstre bombarde que ma pauv’ Berthe s’ingurgite appartiendrerait à un nabot ? Tu débloques, mon pote !
— Pas du tout, Mastar : la chose m’a sauté aux yeux d’emblée. Regarde leur potelé, l’arc de l’avant-bras, l’aspect compact des doigts. Par ailleurs, il est fréquent que les nains soient dotés par la nature de cette compensation. Nous nous trouvons bel et bien en présence d’un gnome. Voilà qui va faciliter nos recherches.
— Tu crois ?
— D’autant que les quelques éléments que nous découvrons du décor sur ces photos me confortent dans la certitude que le petit documentaire a été réalisé dans le studio d’une pute professionnelle du quartier aux vitrines.
— T’es sûr ? bredouille l’épave.
— Non, mais je le sens.
Elle portait un boléro en lamé argent qui scintillait dans la lumière d’un projo comme un poisson au soleil. Du bas, elle était vêtue de quelques centimètres de cordonnet qui passait entre ses cuisses après avoir ceinturé sa taille. Je l’aurais probablement trouvée sexy sans sa frime de pute plus vraie que nature qui détruisait le charme. Cette personne faisait radasse pire que dans les films du muet, quand fallait forcer sur l’expression pour remplacer la parole encore non avenue.
Читать дальше