Primo : neutraliser les trois rigolos de manière à ne rien redouter d’eux quand ils sortiront des vapes. Deuxio : leur faire dire ce qu’il est advenu de l’ex-Excellence Bérurier. Troisio : gagner des contrées plus hospitalières avant que l’homme aux cheveux d’or ne déploie le grand fourbi pour me soustraire à la circulation.
Allez, vzoum ! Passons à l’action !
Si les galériens de jadis étaient entravés de cette manière : les chevilles unies par une chaîne, les poignets attachés dans le dos avec une autre chaîne pour rejoindre celle des chevilles, c’est que la méthode était éprouvée. A quoi bon se mettre le caberluche à l’envers à tester de nouvelles astuces ? J’use de la recette des bagnes d’antan avec mes vilains. Les sangles internes du canapé constituent des liens surchoix. J’emballe mon petit monde comme pour un long voyage et quand je me redresse, satisfait de mon œuvre pis que Bernard Palissy quand il eut découvert l’émail Diamant, j’ai un fort mal de reins dû à mon accroupissure prolongée.
A cet instant de répit, un léger coup de klaxon me fait tressauter (ou sursaillir, si t’aimes pas les verbes du premier groupe). Je mate par la fenêtre et c’est pour entraver une fourgonnette de fleuriste arrêtée devant la porte. Un mec en blouse bleue de livreur saute de son siège et se radine : un rouquin qui pourrait faire le tournesol du fond dans une toile de Van Gogh. Il est maigrelet, avec un pif de belette tuberculeuse. Ses joues mal rasées, du fait de sa rousseur congénitale, le font ressembler à un souci en train d’éclore. C’est fou ce qu’on peut rencontrer comme rouquemoutes aux Pays-Bas. Un patelin situé au-dessous de la mer, c’est fatal que ses naturels aient une pigmentation de carotte, faut comprendre.
Le gus avance son bras pour toquer à la porte, mais j’ouvre dès l’amorce de son geste, le happe par le revers de sa blouse, l’attire à l’intérieur et lui colle mon front olympien dans les gencives.
La douleur que me cause cet impact me fait mesurer l’intensité de la sienne.
Il en tombe à genoux pour une prompte prière. Manchette superbe sur sa nuque. Pourri ! Ecroulaga. Re-bravo, Santonio, cette fois t’es bien l’invincible superman annoncé sur le bon de livraison. J’aurais bouffé une pizza à la cocaïne, je ne serais pas plus puissant. Ethéré, si tu vois. Je plane.
J’emporte mon gus jusqu’à un fauteuil et l’y attache. Dans le fond du local, y a un mignon aménagement en kitchenette. Une casserole d’eau ! Vlaouf ! Dans la bouille à monsieur ! Il ranime. Monte ses stores pour une vérification. Mais ses lanternes sont sourdes. Je lui administre une nouvelle branlée de flotte. Ça réveille. Il extirpe sa langue que mon coup de tronche lui a tuméfiée et, malgré son mauvais état, s’en sert pour repérer les brèches faites dans sa denture. Trois incisives et une canine qui ne valaient pas tripette manquent à l’appel.
— Do you speak english ? je lui demande.
Il négate.
— Deutsch ?
Il acquiesce (à savon, évidemment).
Va pour cet idiome. Le gars continue de languer ses ratiches. Après celles du haut, il dénombre celles du bas.
Y en manque pas, mais ça branle au manche.
— Tu te feras faire un damier complet, lui conseillé-je. Comme ça, pendant quelques jours t’auras les dents propres. Tu venais faire quoi, mon grand ?
Il me fixe avec angoisse, sans répondre. Il vient d’apercevoir les trois gisants et comprend qu’il y a une voie d’eau dans la cale. Il n’a pas l’air d’un intellectuel surmené, pourtant il sait interpréter les signes et lui, quand il découvre trois personnes K.-O., ligotées serré, il en tire la conclusion que tout ne marche pas si bien que ça dans le plus dégueulasse des mondes.
Je les lui désigne :
— Ils n’avaient pas l’air de mon avis, tu comprends ?
Je tire un flingue de ma ceinture et joue au cove-bois en le faisant tourniquer au bout de mon index.
— Pourquoi disais-tu que tu es venu ?
L’extrémité du canon vient se loger dans son oreille, gauche.
— T’entends le bruit de la mort, fiston ? Kif celui de la mer dans un coquillage !
Je lui place, pour l’achever, mon couplet philosophique :
— T’as peur de la mort, toi ? Non, hein ? Moi non plus. La seule chose qui me gêne c’est ce gros tas de viande dégueulasse qu’on laisse aux autres en s’en allant. Ils sont obligés de composer avec. Ils la chouchoutent, la mignardent, l’encensent ; n’empêche qu’elle est lourde et malodorante et qu’ils ont vachement hâte d’aller la balancer au fond d’un trou profond. T’es marié, Vincent ? Oui ? Et t’as fait souche ? Les pauvres ! Ben pense à eux et dis-moi ce que tu viens fiche ici.
Alors il dégoise. Sa voix est perchée sur la plus haute branche de son larynx ; cézigue, quand il en pousse une, il doit être capable de grimper jusqu’à l’ut dièse.
— Je suis venu chercher le corps.
— Quel corps ? frémis-je, pensant à Bérurier, ce géant de la connerie universelle.
— Celui qui est en bas.
Je bondis pire qu’un kangourou, sauf que je ne prends pas appui sur ma queue.
— En bas !
Je cherche un escalier descendant (car il existe deux sortes d’escaliers bien distinctes : les montants et les descendants). Comme je n’en vois pas dans le studio, je reviens à l’homme-belette.
— Où ?
Il me montre le grand tapis étalé au centre du local. J’empresse de le rouler et une trappe m’apparaît, carrelée comme le reste de la pièce.
N’apercevant pas de poignée, je demande au croque-mort fleuriste comme elle s’ouvre. Il me désigne deux boutons, l’un rouge, l’autre noir, placés près de la cheminée.
J’appuie sur le rouge et la trappe se soulève, mue par un système à crémaillère fonctionnant électriquement. Le fameux escalier descendant se présente alors à moi et en 17 degrés me conduit à un département que j’appellerai morgue-geôle puisqu’il recèle un cadavre et un prisonnier. Le cadavre est celui de Fräulein Elsi Van Tauzensher, horriblement mutilé car on lui a fait le grand jeu avant qu’elle ne décède ; le prisonnier est un certain Alexandre-Benoît Bérurier. Pas brillant, amaigri, le teint plus plombé qu’un fourgon postal, le regard jaunasse.
— T’as fait long, soupire l’Enflure. Jusque-z’alors tu m’avais habitué z’à mieux.
Car, pour cet être exquis, la reconnaissance n’est pas une vertu cardinale.
XI
LE VOYAGE INSENSÉ. L’ARRIVÉE FOLLE. LA RÉBELLION DÉMONIAQUE
Le « livreur » donne quelques petits coups de klaxon légers et le vieux crabe qui a ouvert à Gerda naguère, pour lui permettre d’entrer, ouvre au « fleuriste » maintenant pour lui permettre de sortir.
— A propos, demandé-je à ce dernier, une fois le portail franchi, elle appartient à qui, cette masure ?
— Au chef de la police.
— Il doit être bien payé, apprécié-je. Et puis quel confort ! C’est rare les flics qui possèdent leur propre prison et leur propre morgue.
— Où allons-nous ? coupe l’homme.
— L’autoroute sud, mon brave. Et tâche de piloter impec, sans commettre d’infractions. Une bavure et je te promets une crise de coliques de plomb pas bégueule.
Pour lui signifier la réalité, je vrille le canon de mon feu dans sa hanche. C’est classique mais ça prend toujours. Tout homme redoute le contact sur sa chair d’un engin de mort. D’autant que ce mec n’est pas un Bayard. Il cantonne dans les sous-fifreries, lui. Manutentions macabres, à la rigueur, mais il n’est pas volontaire pour escalader les barricades.
— C’est comment ton nom ?
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