— J’habite chez mes parents.
— Et il fait quoi, votre papa ? Je doute qu’il soit rempailleur de chaises avec une crèche pareille.
— Négoce.
Mot sobre et percutant. Qui veut tout dire. Négoce. « Est commerçant toute personne qui achète avec l’intention de revendre en réalisant un bénéfice. »
On contourne la belle propriété, altière, pimpante. Derrière, le parc continue encore, plus touffu. Les allées se raréfient et les arbres changent d’espèce. On a droit à du bouleau (aux troncs argentés), à du sapin commun, à du chêne rugueux.
— Pour garder mon indépendance, je me suis aménagé un logement dans les communs, m’explique Gerda.
Je ne suis pas contre. Tu me connais ? Je songe déjà que pendant qu’elle nettoiera mes plaies j’aurai les mains libres. Ça m’est souventes fois arrivé, la douce infirmière, debout entre mes jambes, réparant mes gnons et autres ecchymoses, délicatement, tandis que mézigue, non moins délicatement, je lui glisse la paluchette dans l’entre-deux.
Je sens que ça promet. Il y a un côté pas bégueule chez cette frangine qui me laisse bien augurer de l’avenir.
Les communs dont elle parle ne sont pas si communs que ça. Figure-toi une construction d’un seul niveau, toit de chaume et de blanc crépie. Une chaumière et un cœur, comme ils disent. Ils ont toujours des aspirations modestes, sauf que la chaumière, pour que le panard s’accomplisse bien, doit faire la couverture de Maisons et Jardins.
Ma gentille hôtesse remise sa bagnole sur le côté et m’invite à la suivre.
On entend les zoziaux dans les frondaisons, qui me font un baroud d’honneur avec leur ramage de Hollande.
C’est bucolique. Un sentiment de bien-être m’envahit, malgré mon visage abîmé et ma position inconfortable d’homme traqué.
Gerda tourne le loquet de la porte et pénètre dans un logis ravissant, pile ce que j’aime avec ses poutres apparentes, ses carreaux pain brûlé, ses vieux meubles cirés.
— Un nid d’amour ! m’exclamèche (d’amadou).
M’est avis qu’elle doit bien l’utiliser son pied-à-terre du fond du parc, la chérie pour y prendre son pied (à terre). S’y faire sabrer d’autor, Ninette !
Elle clôt la lourde derrière nous en un mouvement que moi, gambergeur comme tu me sais, j’estime prometteur.
J’entrevois déjà les délices de Kaput, les blandices des sens, la volupté éclairant le monde.
On se regarde dans le blanc des lotos. Va-ce être pour tout de suite ou seulement pour bientôt ?
Elle avance sa main jolie vers mon visage tuméfié. Caresse sanglante. Oh ! qu’elle est perverse, la Hollandaise ! Vampire, un rien ! Ça arrive. Y a des gens que le raisin fait mouiller. Je me rappelle un terrible accident, une nuit, sur la Côte d’Azur. Ça cramait partout, y avait un motocycliste avec la frite éclatée sur l’asphalte. Un grand type plongeait ses mains dans le magma glougloutant avec autorité, chiquant au toubib. Mais je voyais bien qu’il délectait, l’horrible. Cette façon de s’en foutre plein les paluches. Sadique. Des gens impressionnés le regardaient, croyant qu’il avait des compétences et essayait l’impossible.
Il était à genoux sur la route. Je me suis incliné sur son oreille et j’ai murmuré :
— Va prendre ton pied ailleurs, bougre de vieux sadique, sinon je te shoote en pleine gueule !
Il s’est relevé avec ses pattes draculesques.
Un grand, je le revois, avec des cheveux gris coupés court, genre officier de réserve. J’ai rien contre les officiers, rien pour non plus. Si y en avait pas, on serait obligés de faire les guerres tout seuls, et on risquerait de les gagner.
Donc, la petite journaleuse avance sa dextre jolie vers mes plaies. Et tout soudain, elle me plante ses ongles dans la viande et laboure ma pauvre frite déjà martyrisée. Rrrran ! Oh ! cette douleur atroce ! Je pousse un rugissement de souffrance à l’intérieur duquel, si tu tends bien l’oreille, tu peux percevoir un cri de surprise. Me jette en arrière. Si fort que je vais tomber. Non ! Deux canons de revolver me retiennent. Heureusement, que sinon je pouvais me bigorner le bulbe contre l’angle du mur.
Les deux tubes d’acier me poussent en avant. Ça fait mal au dossard, mais ça me rattrape l’équilibre.
Ce qui s’opère alors, y a pas de mots, dans aucune langue autre que le sourd-muet pour le raconter. Pourquoi le sourd-muet ? Simplement parce que la langue sourde-muette n’utilise que des gestes et que c’est par gestes que s’écrit la suite. Je t’explique. Ça t’empêchera pas de mourir idiot, mais j’aurai ma conscience pour moi.
Mon sub réalise les choses avant ma pensée pourtant aussi rapide que la lumière (j’ai la preuve, on en a fait l’expérience à l’observatoire de Saint-Alban-de-Roche et le professeur Bauzob m’a fait un certificat que je tiens à ta disposance).
Deux flingues dans les côtelettes. Tu fais quoi ? Tu lèves les bras. C’est d’un classique à se cloquer des pointes Bic dans l’oigne à la place de suppositoires vitaminés. Donc, je lève les mains. Pas longtemps car, avant d’avoir achevé ce mouvement de soumission, je les abats (c’est mon jour d’abats) sur les épaules de Gerda, toujours debout face à moi et dans un élan irrésistible, la fais pirouetter de manière à ce qu’elle occupe ma place et moi la sienne. Tout ça n’a pas duré le temps d’un battement de cils. Dans le mouvement je reconnais les deux gorilles de feu l’armateur que j’ai soporifiés la nuit précédente. Le plus moche tire, mais trop tard et Gerda se chope la bastos dans la hanche. Elle hurle. Ça confusionne. Moi, je feins de braquer une arme entre les superbes nichemards de la gonzesse.
— Laissez quimper vos seringues sinon je la bute et vous avec : je suis premier prix du Conservatoire, classe de Parabellum ! Allons, vite ! beuglé-je.
Les deux argousins de mes fesses lâchent leurs feux. Alors je propulse de toutes mes forces la perfide salope contre eux. Ils trébuchent, tombent, elle de même. L’Antonio joli ramasse les deux pétoires qui gisent sur le plancher. Cela s’appelle avoir la situation bien en main, non ?
— Maintenant, faut vous retenir de respirer, les gars ! je les avertis-je, car au plus léger mouvement je presse les deux détentes à la fois et le joli pied-à-terre ressemblera au garage où se perpétra le vilain massacre de la Saint-Valentin.
Ils restent cois, honteux comme des poules (de luxe) que des renards auraient prises (en levrette). Faut dire que je les ai joués de première, ces deux malfrats et avec une aisance que même au cinoche, dans les superproducs ricaines d’action où tu vois le gars Rambo buter la moitié de l’Asie, torse nu, avec juste des couilles grosses comme ça et un ruban autour de la tête, tu ne trouves pas pareil. T’as mordu un peu, mon neveu, l’efficacité santoniaise ? Deux pétards dans le dos. Et en un temps trois mouvements : bras levés, bras abaissés, pirouette, il reprend l’avantage. Tu crois pas rêver, ta pomme ? Si, bon, alors continue sur ton matelas multisoupirs pendant que je vaque.
Tu sais quoi ? Je glisse un des pétards dans ma ceinture pour garder la main libre et, vite fait, prends une deuxième capsule de gaz soporifique dans ma poche gousset.
« Ptchouff ! »
Le trio roupille illico. Moi je me retiens de respirer et, quand je les juge K.-O., vais au fond de la strasse ouvrir une fenêtre afin de renifler de l’air de bonne qualité. La vue donne sur un bosquet gracieux avec plein d’oiseaux en guise de fruits [16] La poésie de San-Antonio est incontestable, noble, laxative, et aussi acratopège que l’eau de Volvic. Hervé Bazin.
. Charmant tableau qui incite à la méditation. Je médite donc (à compte d’auteur). Et ce que je parviens à tirer de mes méninges sollicitées suffirait à permettre la réinvention de la fission de l’atome au cas où un con aurait paumé la formule. Ma conduite se développe harmonieusement, telle une route fleurie dans un tableau de Monet. J’envisage, je projette, structure, échafaude, concocte, établis, développe, rectifie.
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