Le capitaine me désigne un fauteuil en tubulures chromées auquel je confie le contenu de mon pantalon.
Il attend et j’attends, si bien que nous attendons tous les deux. A la fin, comme je ne me décide pas à brancher ma sono, il dit, assez rogue :
— Eh bien, je vous écoute, commissaire ?
Sourire angélique dudit.
— Je suppose qu’il y a eu une erreur dans les transmissions, fais-je, c’est à votre directeur, M. Hieronymus Krül, que je dois parler.
Mon vis-à-vis balaie de la main la cendre de cigare qui vient de choir sur sa limouille.
— Il m’a chargé de le remplacer car actuellement il préside une conférence.
J’opine.
— Alors j’attendrai la fin de celle-ci car je dois lui parler en main propre [11] Comme dit volontiers Béru.
.
Mon électrocuteur tire sur un coin de sa bouche et son mégot de cigare se met à pendouiller comme une quéquette de vieil Annamite (phalloïde).
— Vous risquez d’attendre longtemps : elle vient seulement de commencer.
Toujours mon désarmant sourire de prince consort gardant en point de mire le cul de son épouse régnante.
— La patience fait partie de notre profession, capitaine, ça n’est pas à vous que je vais l’apprendre. Sans elle un flic ne peut réussir. Comme je ne veux surtout pas vous importuner, je vais attendre dans le couloir où j’ai remarqué des chaises qui m’ont l’air confortables.
Je me lève et gagne la porte. Il commence à suer, le gros lard. Il arrache de sa gueule tordue cinq centimètres de merdouille brune enrobée de bave et mugit :
— Hé ! commissaire, un instant !
Me retourne.
— Oui, capitaine ?
— Vous auriez meilleur compte de repasser cet après-midi.
Je plante deux mètres dix de regard intense dans ses vasistas crapauteux.
— Cet après-midi, j’ai rendez-vous avec la presse et il est capital, je dis bien : capital, que j’aie auparavant un entretien avec M. Krül.
Il erre dans une sorte de no man’s land de l’esprit, à la fois emmerdé et perplexe, rageur aussi, mais en sourdine.
D’un geste d’acupuncteur, il plante son reliquat de cigare dans un gros cendrier de métal.
— Asseyez-vous ! grogne l’ours mal léché (s’il l’était mieux, il aurait meilleur caractère).
Je me redépose dans le fauteuil chromé.
— Attendez-moi là, je vais voir ce qu’on peut faire, déclare le capitaine Van Dhäl en décrochant sa veste d’uniforme du portemanteau où elle se reposait.
A cause de son embonpoint ça lui pose autant de problos que s’il s’agissait d’une tenue de scaphandrier. Il finit par se harnacher tant mal que bien sans omettre un seul bouton et sort en claquant la lourde.
Le fils unique et préféré de Félicie prend alors une pose détendue devant l’œilleton du système vidéo dont la pièce est pourvue. Mon petit doigt de pied me souffle qu’on m’observe et je tiens à donner de moi une idée qui me soit avantageuse. Je fais dans le relax. Le gazier sûr de soi et dominateur, comme disait le Grand Colombin de mes deux (étoiles). Je pousse même la décontraction jusqu’à sortir mon petit canif Piaget avec lime à ongles pour me rogner les griffes, du temps que je suis seulabre.
Au bout d’un moment, le capitaine revient, l’œil terne, le front plissé, son gros pif agité de petits soubresauts nerveux.
— Dès qu’il y aura une pause, le directeur vous verra entre deux portes.
— C’est très gentil de sa part, capitaine. Je dirai au président de la République française de quel esprit de coopération vous faites montre à l’égard de la police française.
Il me mate en biais.
— Vous avez des contacts avec votre président ?
— Moi, oui. Disons que je jouis d’un statut particulier. Je suis rattaché à l’Elysée, en quelque sorte. Le président est un homme qui a ses têtes. Il tient à un certain style et à des habitudes, c’est humain, presque hygiénique.
Vingt minutes plus tard, Van Dhäl me pilote lui-même jusqu’au saint des saints.
Le bureau de Hieronymus Krül pourrait être celui d’un gros P.-D.G. d’une société aéronautique. Vachement design, comme on dit en français. Vaste, clair, d’un luxe très moderne. Il y a même quelques sculptures absconnes sur des cubes d’acier et des tableaux peints à la lampe à souder.
— Installez-vous, m’ordonne le capitaine, M. le directeur va venir dans un instant.
Qu’à peine il achève, la porte du fond s’ouvre sur un bonhomme peu banal. Ce qui te court-jute la rétine avant tout, c’est la couleur de ses tifs comme on dit en Algérie [12] Allusion à la ville de Sétif, croyons-nous. Pauvre San-Antonio ! Les Editeurs associés.
. Il est d’un blond d’or en fusion, si vif, si lumineux, qu’il éclaire la pièce. Tu ne vois que ça. Sa chevelure t’éblouit comme le ferait un spot braqué en plein dans ta poire. Cette ardente blondeur paraît d’autant plus intense que le visage de l’homme est d’une pâleur extrême. Des lunettes sans monture accroissent encore sa blafardise. De même que ses yeux d’un bleu délavé embusqués derrière. Il a un petit nez très pointu, une toute petite bouche en anus de jouvencelle, des traits rectilignes. Ses oreilles roses font songer à celles d’un clown blanc.
Que te dire encore du personnage ? Ben non, ça suffit, hein ? On ne va pas le passer au scanner, cézigue pâteux. Ah ! si, plus que deux choses : son âge, la quarante-cinquantaine, et sa mise, noire, stricte.
Il me prend les mesures de son côté à l’aide de son bodygraphe mental, me situe dans les tapageurs fiers-à-bras téméraires. Me salue d’un bref mouvement de tête et me désigne un fauteuil en cuir blanc face à un autre tout pareil. Nous prenons place silencieusement comme deux tagonistes avant une prestation télévisuelle.
De la main, il congédie le capitaine Haddock.
Ses genoux sont serrés, kif ceux d’une marquise dans un salé de thon [13] Tout à ses calembours, San-Antonio a dû écrire « salé de thon »pour « salon de thé ». Les (pauvres) Editeurs.
. Il a les coudes à l’équerre et ses mains blêmes croisées horizontalement à hauteur de sa poitrine.
— Parlez-vous allemand ? chuchote-t-il d’une voix onctueuse.
— Mal, monsieur le directeur, et seulement lorsqu’il n’y a vraiment pas moyen de faire autrement.
— Alors anglais ?
— Avec plaisir.
Il approuve, puis il murmure dans la langue de William Churchill [14] Ou de Winston Shakespeare.
:
— En ce cas, je vous écoute.
Achtung ! Gefahr !
Un type pareil est plus redoutable que le S.I.D.A. Lui, pas besoin de le sodomiser pour qu’il ravage les existences. D’un seul coup d’un seul, je me dis que la mère Elsi ne m’a pas berluré quand, au plus intense de sa terreur, elle m’a balancé l’étincelant. C’est du reptile hautement venimeux que messire Hieronymus, du cobra surchoix, mâtiné serment pinute. Un regard comme celui qu’il me darde, l’aminche, j’en ai rarement subi. Beaucoup de commak et tu te lances dans la digitaline à fond la caisse ; l’absorbes par bombonne (ou bonbonne, au choix, l’essentiel est qu’elle soit pleine).
— Je suppose que vous avez dû recevoir une communication de votre homologue français, monsieur le directeur ? commencé-je.
Sables mouvants. Canne blanche ! Ce que je me sens mal à l’aise !
Il hoche la tête.
— Mon secrétaire m’a parlé de la chose en effet ; à vrai dire j’ignore ce dont il s’agit. Simplement, M. le directeur de la police parisienne nous informait de votre visite. Que puis-je pour vous ?
Impénétrable, pis que la rosière du village ! Alors bon, on va pas se mettre à tresser des paniers d’osier ou à confectionner un gâteau de riz, non ?
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