— Voyons, Majesté, dis-je en caressant la trompe de mon éléphant-tabouret sur lequel j’acalifourchonne, le Deuxième Bureau n’a pas l’habitude d’assassiner les ministres des nations amies, et s’il arrivait à une telle extrémité, il se garderait bien de commettre le meurtre en territoire français, ce qui serait de la dernière imprudence…
Le Mastar, qui écoute mon raisonnement et qui pige mes intentions, en rajoute iminedialely :
— Si vous voudriez me croire, ma chère jesté, ce coup-là, c’est les Anglais ! Ils ont eu peur que vous vous ravisassiez, et ils ont voulu fout’ la vérole entre la France et vous, ce qui est bien dans leurs manières sournoisely.
— Pourquoi dites-vous : les Anglais, alors que vous êtes anglais ? s’exclame la souveraine. Pourquoi accablez-vous votre pays ?
— J’accable ballepeau, ma Majesté, je constate one-li ! C’est pas parce que j’sus rosbif que ça m’empêche l’esprit critique. D’ailleurs, entre nous et une boutanche de Vosne-Romanée, j’en suis pas plus fier qu’autre chose d’être anglais. Bon, vous allez me dire qu’il en faut. Mais puisque on discutaille le bout de gras en décatimimi entre la trompe d’éléphant et le faux mage, laissez-moi vous chuchoter, vu l’estime et le léger coup de foudre que je vous porte, que vous faites une sacrée boulette en traitant avec la Mahousse Bretagne. Le Majeur Thomerson va pulluler dans vos îles, les grands secs, moustachus comme des chats, couleur de steack tartare et plus rigides que des baleines de pébroque. Ah ! vous allez voir, c’est pas des farceurs ! Et pour ce qui est du radada avec vos mousmés, c’est pas eux qui risquent de transformer vos frigidaires gamines en braseros. Parce que des don Juan commak, ma pauvre jesté, ils sont tout juste bons à faire des balayettes de gogues ! Tandis que vous eussiez traité avec la France, oh pardon ! C’t’avalanche de petits polissons qu’allait s’abattre sur votre archi-pelle ! Les Français, qu’ils s’occupassent de l’atome de lancement ou qu’ils soyent fraiseurs chez Renault, pour eux, ce qui compte, c’est la bagatelle. Comment qu’ils allaient les éduquer, vos bergères, tout en explosionnant de la bombinette. En trois mois, ils te vous les déguisaient en petites délurées friponnes. Vous faisiez coup double ! Et quant à ce qui est de leurs espériences, ça circoncisait les risques, ma petite jesté ! Biscotte (comme on dit à Londres), la bombe anatomique française, c’est comme qui dirait un accessoire pour farces et attrapes, elle retombe en confetti ! Et les irradiations radiophoniques-activées, on s’en protège avec de l’ambre solaire ou de la crème Nivéa. Je vous cause comme je pense, uniquement parce que vous m’avez à la frissonnante, c’est comme qui dirait physique, quoi !
Reconnaissez, les potes, qu’il a fait ce qu’il pouvait pour convaincre, Alexandre-Benoît !
Il a même dépassé la dose prescrite.
Elle doit plus rien piger à ces étranges ambassadeurs, la souveraine !
Des zigotos s’annoncent pour traiter un accord, et, avant toute chose, s’appliquent à démontrer à la partie traitante, qu’elle aurait avantage à signer ailleurs, voilà qui est nouveau, non ? Un brin sidérant, ce me semble ?
C’est le représentant en bonneterie qui montrerait sa camelote à un mercier en lui conseillant de ne rien acheter.
Aussi, Kelbobaba pousse-t-elle une funeste frime. Après un bout de réflexion, elle se met à jacter à son devin Nikola :
Kékidi skonla envla humblabla ! s’exclame-t-elle, ce qui veut dire (je viens de potasser mon petit franco-malotrusien) : « Le langage de cet homme est surprenant, où veut-il en venir ? »
Le devin Nikola s’étrille la barbouze de ses doigts griffus. Il branle le chef et laisse tomber :
— Sepafrancotousa !
… Ce qui m’inquiète d’autant plus que je trouve pas la traduction du terme sur mon malotrusien-français.
Je suis en méchante rogne contre Bérurier.
— Mon collaborateur pratique l’humour à froid, Majesté, m’empresse-je. Il a le mépris du Français et ne peut s’empêcher de persifler. Mais si vous le voulez bien, entrons dans le vif du sujet. Le gouvernement britannique m’a laissé tout pouvoir pour traiter, vous avez dû en être informée ?
— En effet.
— Je suppose, Majesté, poursuis-je, en ayant le sentiment de marcher soit dans un marécage, soit sur des braises ardentes, soit encore dans un tas de m…, et peut-être même sur et dans les trois réunis ; je suppose que, depuis les derniers pourparlers vous avez fait le tour de la question ? Puis-je vous demander, Majesté, d’exprimer vos ultimes exigences ?
Bien tourné, non ? M. Couvre-moi de murs vils n’aurait pas dit mieux.
— Parlez, devin Nikola ! ordonne la reine à son fondé de pouvoirs.
Le dabuche écarte sa longue barbe comme on écarte un rideau et dégage une amulette nouée à son cou, il nous la montre théâtralement. Ça représente des espèces de gros haricots secs noués par un fil.
— Après que ma gracieuse souveraine m’ait demandé d’interroger le dieu Atouberzingue, le dieu Kontpassurmoa, la déesse Mirosca ainsi que Honorus Heskarpi, le recteur-sorcier de la faculté, il a décidé ce qui suit.
Il replanque son amulette (de la régie d’état-bas) sous sa barbe et sort de sa poche un rouleau de faf-à-train qu’il se met à dérouler en lisant les énormes caractères qui s’y trouvent tracés à l’encre d’échine.
— Le gouvernement malotrusien consent à céder à la Grande-Bretagne l’île de Tanfédonpa, située en bas et à droite de l’archipel, à 45 degrés de l’Atoll à brûler eux à deux jours de pirogue Eve and Rude de l’îlot Treize-Or, et ce, poursuit le bêlant, pour une durée de cent douze ans, quatre mois, six jours, neuf heures et onze minutes à compter de la signature des accords.
— En v’là une drôle de durée ! s’exclame Bérurier.
Le vieillard con descend à s’expliquer.
— La restitution de l’île coïncidera ainsi avec les fêtes du cent-cinquantenaire de notre souveraine.
Béru se livre à un fulgurant calcul mental, ce qui vaut mieux, comme disait Brassens, de l’Académie Française, que d’en délivrer un de sa vessie.
— Qu’apprends-je, ma chère jesté, s’égosille le galantin, vous n’avez pas encore 38 ans ! Mais alors votre hommage et ce thé est comme qui dirait moins vioque qu’elle en a l’air. D’accord, trente-huit carats, c’est plus la rosée de printemps, mais c’est pas non plus la brume d’automne. Si je me permettrais de causer en camarade à votre mage lesté, je lui dirais qu’elle est pile à l’intersection de la belle amour vache et du feu au derche.
Kelhobaba trémousse du fion entre ses deux éléphants d’ivoire. On a beau être reine, peser une tonne et s’empiler des mentons sur la poitrine, on n’en est pas moins femme, hein ? Reine ou concierge, une dame est toujours sensible aux compliments. Et ceux de Béru sont si merveilleusement tournés !
Elle virgule au Mastar un regard de vache qui regarde passer le dernier train d’une ligne secondaire qui va être remplacée par un service d’autocars.
— Je ne savais pas les Anglais aussi galants, murmure-t-elle.
La louange (qui implique une critique) va droit à l’orgueil (et au slip) de Bérurier.
— Je suis anglais par accident seulement, ma belle jesté. Papa était un pêcheur normand, invente ce fin poète. Il voulait conduire m’man à la clinique en barque, mais il s’est perdu dans le brouillard et a traversé la Manche inadvertancement. V’là pourquoi j’ai né à Boston au lieu de naître à Boulogne-Billancourt-sur-Mer. La fanalité, quoi !
— Donc vous êtes d’origine française ? conclut la reine qui ne chôme pas des cellules.
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