Toute la foule reprend en chœur : « Ouïa ! Ouïa ! ».
Béru regarde autour de lui d’un œil hébété. La lumière tombant de la verrière le nimbe littéralement.
— Vice-baron, soupire-t-il. Alors, la, sa jeste me fait une drôle de fleur.
— Votre bras ! dit alors Kelbobaba avec noblesse, en fustigeant le devin Nikola d’un regard de femelle triomphante.
Drôlement long et un peu bath le chapitre qui précède, hein ? Je viens de le religoter et je suis catégorique, les gars : c’est une pièce d’anthologie. La littérature ne l’oubliera plus. Jamais ! Hop ! Il appartient au patrimoine, j’y peux plus rien. Il a cessé d’être ma propriété. La Pléiade, déjà, me l’a soustrait, aspiré du stylo comme on suce un jus de fruit avec une paille. Fhhhloufff ! C’est terrible d’écrire trop au bord de la gloire, je vous jure ! On n’est plus maître de soi. Les rotatives de l’histoire vous happent. Ça me peine pour les ceux qui auraient eu tellement de plaisir à me découvrir, plus tard, à m’exhumer la prose d’un grenier. Je leur coupe la découverte sous les nougats. Trop tard, je me suis découvert moi-même. Je m’auto-Christophe-colombe. L’exploit du siècle, en somme. Il aura été jusqu’à se découvrir soi-même, San-A. Et pas seulement devant les enterrements ; dans le fond, je trouve ça inquiétant.
Mais je vous ai quittés au moment qu’on allait inaugurer le métro d’Obsénité-Atouva, en mahousses pompes, Béru, vice-baron, avec la reine au bras. Il est voué au gras double, le Mastar. C’est une vocation ! Pire : un signe ! Tout ce qui bajoute et ventripote, toutes les mères tue-bascules lui font du rentre-moi-dedans.
C’est une étrange spécialisation que seule sa forte musculature, sa sanguinité et le reste lui permettaient d’affronter.
Cette fois-ci, une reine authentique, dites, vous vous rendez compte !
— On pourrait pas prendre une petite photo souvenir, Majesté ? s’inquiète-t-il en gagnant la sortie, c’est juste pour en mettre plein les chasses à mes potes !
Elle le rassure, Kelbobaba. Y aura un reportage détaillé dans « Jours de Malotrus », et vraisemblablement la couverture de « Partouze », l’hebdomadaire de la famine. Alors il se rengorge, le Béru. Il se rengorge, bombe le torse et avance à petits pas solennels.
— J’ai l’impression de refaire ma première communion, m’avoue-t-il.
Nous sortons du palais. Des boys se précipitent pour porter la reine, car son poids et ses volumes ne lui permettent pas de gravir un escalier. Ce qu’elle a dû être sage et bien briffer sa soupe en étant chiare pour mériter un pareil embonpoint ! Béru, toujours à l’avant-garde (royale) de l’altruisme, aide à coltiner la viandasse souveraine. Il soutient un gigot, le Gros. Faut toujours qu’il choisisse les beaux morcifs.
On arrive sur la place. Non loin de la statue, une palissade subsiste. Des gus écartent les rondins de bambou et nous découvrent alors une espèce de vaste nacelle suspendue à un treuil. Un fauteuil rouge occupe le centre de ladite nacelle. La reine y prend place. Nous sommes une douzaine de hautes personnalités à être admis sur cette plate-forme.
Dès qu’installés, une armada de préposés portant une casquette sur laquelle flamboient en caractères dorés les mots Métropolitain-Express (l’inscription fait deux tours de casquette car les lettres sont assez grosses) s’emploie à actionner la manivelle du treuil et notre cage s’enfonce dans les profondeurs du sol. La reine Kelbobaba est radieuse. En revanche, son porte-sceptre continue de faire la gueule.
Il ne me coltine pas dans son cœur, le barbu. Il doit flétrir ( in petto pour que ça fasse moins de bruit) la félonie britannique. On l’a possédé, le vieux crabe ! Il mijote des représailles. La façon dont sa souveraine s’est entichée de Béru lui fait comprendre que ça sera coton de l’amener à laisser quimper les accords. Mais un qui jubile à niort, c’est votre San-Antonio. Ma parole, tout ce méli-mélodramatique baigne dans le beurre des Charentes, mes fils. Avec quelle diabolique habileté j’ai trouvé l’étalon d’Achille, comme dirait Zavatta.
Mine de rien, c’est la partie adverse qui va saper les pourparlers.
Béru me glisse à l’oreille, profitant du grincement perçant de la poulie qui force la reine à se faire obstruer les portugaises avec de la gomme arabique chauffée :
— Tu dis que je l’ai en pogne, Poupette ? J’ai mon planninge tout tracé, mec. Je m’efforce de lui envoûter le sentiment et je chique un gars bourré de remords qui, en pleine commotion, annonce à la reine qu’on venait l’arnaquer. Je joue les traîtres par amour, si t’es d’accord ? Style : tant pis pour ma patrie, celle que j’en pince avant tout !
— Bravo, c’est exactement de cette manière qu’il faut usiner.
— Y’en a un qui m’inquiète, c’est le barbu, continue le Dodu, ce petit morpion ne peut pas nous encaisser.
— T’inquiète pas, ça sert nos intérêts…
Ouf ! après un long balancement et beaucoup de heurts (au fait, quel heurt avec vous ?) nous arrivons à la tête de ligne du premier tronçon.
Le métro d’Obsénité-Atouva est un large couloir éclairé par des lampes à huile de palmes académiques, long d’une cinquantaine de mètres et large de quatre.
Il va d’une extrémité de la place du parlement à l’autre, somme toute. Il est composé d’un vieux tramway cédé par la compagnie O.T.L. de Lyon et repeint aux couleurs nationales des Malotrus. Sur les flancs du véhicule, deux énormes lézards, emblèmes du paye, prennent des allures de crocodiles, ou tout au moins de caïmans.
Lorsque nous avons quitté la nacelle, la reine, portée dans son fauteuil, est placée devant le tramway. Des flashes explosent. Toute la presse des Malotrus est là, prête à faire le coup de feu pour pelliculer cet instant hystérique.
La reine tend la main. On lui place son discours dedans. L’endroit étant assez obscur, un serviteur éclairé lui braque le faisceau d’une lampe de poche sur le parchemin.
La voix fluette de Kelbobaba s’élève, réverbérée par la voûte. C’est du torché, faites-lui confiance ! Elle célèbre en termes vibrants le fantastique « bond en avant » de la nation malotrusienne. À l’heure où tant de capitales occidentales sont encore dépourvues de métro, voici qu’Obsénité-Atouva possède le sien !
Elle entrevoit des lendemains féeriques dans l’aube nouvelle des futurs rénovés, textuellement ! Elle affirme que ce bouleversement dans la vie urbaine de sa cité fait augurer d’un essor que rien ne saurait entraver. Ce métro s’inscrit dans le conteste de ceci et bouleverse les coordonnées de cela ; c’est dire ! Bref, le jour d’hui est un grand jour dont les vingt-quatre heures pèseront leur poids de moutarde dans le destin du pays !
Ses sujets en sanglotent d’émotion. Béru fait une claque monstre à sa royale hôtesse. Il en remet, le vice-baron !
L’émotion, qui pourrait n’être que colonelle, est générale ! Le maréchalat la guette !
Toute la cour hisse sa souveraine dans le tramway qu’un wattman de cérémonie, en jaquette, short à poids et chapeau de boër ne pilote pas, puisque le métro est tracté à l’huile de coudes par cinquante gus plus nus qu’une banane épluchée. Du moins, ce somptueux wattman actionne-t-il la sonnette du ci-devant tramway bourré de moyeux, naguère de soyeux, et maintenant de joyeux.
Le véhicule s’ébranle (avec toutes ces mains, c’est facile). La reine se penche sur nous.
— Quel dommage que nous ne possédions pas d’hymne national, nous dit-elle.
— En effet, reconnais-je, ce serait le moment ou jamais !
Читать дальше