Sa Majesté regagne la chambre, ivre de fureur.
— Des combines commak, j’intolère ! annonce-t-il à Paquita. La bonne foi d’mon cul a été surprise et c’est grave ! Si tu fais équipe av’c ton pédoque jusqu’ z’au plumard, j’déclare forfait. Ciao, Gras d’os ! Termine-toi à la mano si l’cœur t’en dirait, moi j’ai plus enville.
Il sort, toujours sous pression. En bas, Marinette et un loufiat prodiguent des soins au tangoteur groggy.
— Qu’est-ce qui s’est passé, Alexandre ? s’inquiète-t-elle.
— Il a raté une marche, répond le Gros en enjambant sa victime.
— Tu as vu dans quel état il est ? Il va lui falloir plusieurs jours avant de pouvoir retravailler ! Ma clientèle va salement renauder !
— J’viendrai lu montrer ma bite pour lu faire prendre patience ! Elle est bien plus chouette qu’un tango.
La soirée se prolonge. Marinette annonce que, par suite d’un malaise, Paquito (le partenaire de Paquita) ne pourra accomplir d’autres prestations chorégraphiques ce soir. Murmures de désappointement. Pour calmer les esprits, elle ajoute que Paquita se produira seule. Applaudissements. Excepté quelques tantes, les clients de La Tour Eiffel sont beaucoup là pour la grâce féline de la danseuse.
Cela fait deux plombes qu’Alonzo Gogueno a quitté les lieux, lorsqu’il réapparaît, un léger sourire aux lèvres. Il reprend sa place entre les deux aminches. Pinuche s’est endormi sur la table, le front dans le creux de son coude replié ; son bada est cabossé comme un carton tombé sur une route à grande circulation.
— J’ai les renseignements, annonce-t-il. La voiture est bien devant le bar. Elle appartient à Veronica Trabadjabueno, la fille d’un gros importateur de Buenos Aires. Cette souris a donné et donne encore bien du souci à sa famille. Très jeune, elle a eu des difficultés avec la police : drogue, vols de voitures, et même attaque à main armée d’une banque de province. L’argent et les hautes relations du vieux sont parvenus à lui éviter la prison : on a mis sur le compte d’une déficience nerveuse ce qui est, en réalité, un fort instinct criminel. Elle a effectué plusieurs séjours dans des cliniques spécialisées pour « cacher la merde au chat », comme nous disons en Argentine, mais ses parents vivent dans les transes. Elle passe ses nuits avec des amis douteux, dans des endroits comme celui-ci, claquant un argent fou qui ne provient pas de son père, celui-ci lui ayant coupé les vivres…
Béru donne une tape dans le dos de son confrère argentin. Alonzo en fait une quinte de toux.
— Beau travail, fils. J’voye clair’ment c’dont y s’agite : un’ fille à papa cinoquée. Elle a formé une bande pour d’rire. C’est moins l’oseille qu’ l’aventure qui la fait mouiller. Vise-la, là-bas, avec ses potes : des plombes qu’elle chuchote. Ces criminels amateurs sont les pires. Rien n’les arrête parce quy JOUENT à êt’ des criminels, comprends-tu-t-il, mon p’tit Alonzo ?
— Que comptez-vous faire ? murmure Gogueno.
Alexandre-Benoît branle tu sais qui ? Le chef !
— Ils ont raté l’coche, la nuit dernière, et les v’là excités comme des poux ; alors y complotent pour r’froidir l’gamin d’une aut’ manière. C’s’rait intéressant d’avoir l’magnéto à Pinuche placardé au-dessus d’ leur tab’.
Il produit son effort cérébral le plus intense depuis que l’homme a marché sur la Lune et d’un ton de médium déclare :
— J’voye un’ soluce, mec ! J’voye…
Dévotionneux, Alonzo attend.
— Ces aristos d’merde, poursuit le Gros, faut les coiffer à la brutale. T’sais c’ qu’y craindent, tous ? Les gnons, mon frère ! Les big tartes aux pommes dans la tirelire ! Quand tu leur confectionnes une tronche au carré, là, y s’affalent. C’est des coquins, des rusés, des fortiches, mais des douillets. La douilletterie, v’là leur point faib’, leur étalon d’Achille !
— Vous ne pouvez pas aller les massacrer de but en blanc !
— Non. Faut qu’j’les coinçasse dans un endroit discret.
— Admettons que vous y parveniez, vous ne serez pas en mesure de les contrôler tous ! Car, n’oubliez pas, monsieur l’officier de police, que je n’ai pas le droit d’intervenir. Je suis là à titre préventif, non à titre exécutoire. Protéger le fils del Panar, vous trouver le propriétaire d’une plaque minéralogique, voire des renseignements sur quelqu’un, d’accord. Mais côté action, tant qu’un flagrant délit n’aura pas été enregistré, il ne faut pas y compter, les instructions de la señora directeur sont formelles !
— Pétasse ! rumine Béru.
Il réagit :
— N’importe, j’opérerai avec Pinaud !
Marinette circulant entre les tables, il la hèle d’un geste.
— Ecoute-moi, la Grosse, faut qu’on cause.
Elle s’assoit sur le genou qu’il lui propose, ainsi que le font les taulières de la tradition bordélique.
— Pour en r’v’nir su’ not’ converse d’ t’à l’heure, j’ai envie qu’on fasse un estra av’c mon zob, môme !
— Ah ! tu t’décides ?
— Tes clilles, sous l’estrade, la Veronica et ses aminches, t’es en bons termes av’c z’eux ?
— Tu parles : des années qu’j’ les pratique !
— C’t’à eux qu’tu vas proposer d’mater ma membrane, Cocotte ! Raconte-z’y c’qu’tu voudreras, comme quoi tu viens d’ dégauchir l’plus beau manche du monde. Un Français pafé comme un’ bourrique. La pièce d’collection à n’pas rater. Çui qu’a pas vu ça, n’sait rien d’la bite ! Si, comme j’l’espère, y sont branchés, tu leur annonces qu’ je prends cinq cents dollars pour l’esposer et, au b’soin, la laisser manipuler. Deux cents dollars d’mieux pour fourrer les d’moiselles intéressées ; par cul, naturellement ! Si y veuillent, tu leur racontes comme quoi j’ai pas d’local et qu’y m’emmènent où ça leur chante. Banco ?
Marinette, bonne fille, se lève.
— T’es un sacré loustic, Alexandre ! J’aimerais savoir ce que tu as derrière la tête…
N’empêche qu’elle gagne la table de Veronica Trabadjabueno. Elle s’accroupit au milieu du groupe et se met à parler à ses bizarres clients.
— J’sens qu’ça va jouer, annonce le Gros. Mon instincte s’goure jamais. Si c’est O.K., tu t’casses et t’attends not’ décarrade au volant d’ ta tire. Ton rôle s’ra d’nous filocher, qu’au moins tu suces où qu’on gît, si ça tourne mal !
Il réveille Pinaud.
— Rambouillet ! lui crie-t-il à l’orée de la feuille. Tous les voiliageurs descendent d’ voiture !
César revient au monde immense et radieux. Il remue ses lèvres comme un que ses profondeurs taquinent mochement.
— Je crois que tu avais raison, murmure-t-il.
— A quel propos ?
— Au sujet des chorizos. Voilà que je reprends mal au ventre !
— T’es pas voiliageable ! s’emporte Béru. Si tu sens qu’ ça foire, va à l’hôtel, ça r’pos’ra la lit’rie d’ la mère del Panar !
Marinette vient annoncer que les blousons blancs acceptent d’enthousiasme. Elle leur a fait une telle description des charmes discrets du Mastar qu’ils veulent absolument s’offrir ce délicat spectacle.
Alonzo Gogueno se brise sans plus attendre. Là-bas, les quatre se lèvent. Marinette leur adresse un signe et ils s’approchent de la table du phénomène.
— Ecce homo ! leur fait-elle, en montrant Béru. Puis, désignant Pinuche : son manager.
Le quatuor examine Béru avec un étonnement non feint. Ces jeunes, superbes et beaux, s’imaginaient que le détenteur d’un paf de légende devait être un mâle ardent, baraqué Tarzan. Et qu’ont-ils devant eux ? Un gros poussah cradingue et mal rasé, qui pue la porcherie.
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