Frédéric Dard - Ceci est bien une pipe

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Ceci est bien une pipe: краткое содержание, описание и аннотация

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A l'époque du bienheureux Al Capone, l'Amérique connut « la guerre des gangs ».
Le conflit a fait moins de victimes que celui de 14–18, toutefois, il a été sévère. En ce temps-là, quand tu dérapais sur un trottoir, c'était dans une flaque de sang plutôt que sur une peau de banane !
Y avait des flingueurs partout : dans les restaurants, les cinoches, les églises, les pissotières et les rues, surtout !
On croyait ces fantaisies révolues. Fume, mon grand, fume ! Voilà que, sous une autre forme, tout recommence. En gigantesque ! En omniprésent ! En plus qu'impitoyable !
Le « Consortium », ça s'appelle, cette vérolerie.
Et moi, le Sana-joli, avec mon courage démentiel et ma belle bitoune toujours prête, je m'attaque à cette hydre !
Malheur de mes os !
A compter de cet instant, il m'arrive les pires trucs et je marche sur un tapis de cadavres !
Tout s'écroule autour de ma pomme. Apocalypse intégrale ! La mort, l'horreur, la folie ! Le bout du bout, quoi !
Âmes sensibles s'abstenir !
Quant aux autres, prenez le pied de votre vie !
C'est ma tournée

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2

La petite tribu me considérait avec gentillesse et curiosité.

— Tu ne me reconnais vraiment pas, Antoine ? a murmuré l'homme.

— Pourquoi cet adverbe ? j'ai bougonné.

— Quel adverbe ?

— « Vraiment. » On reconnaît ou on ne reconnaît pas !

Il a soupiré et s'est tourné vers ses compagnes en leur adressant un signe interrogateur. Celle qui s'appelait Ramadé s'est mise à chuchoter à l'oreille de l'autre curieusement nommée Cadillac V 12, ensuite de quoi elle a dit à son mari :

— Ce serait mieux que tu nous laisses, Jérémie.

Docile, il est sorti pour rejoindre maman dans sa cuisine où s'élaboraient déjà des mets à classer dans les recettes de Tante Laure.

La plus jeune des femmes m'a fait asseoir sur une chaise, le buste droit, puis a ôté mes mules et mes chaussettes. Ensuite, elle a sorti de son sac à main imitation lézard, un petit pot d'onguent qu'elle a utilisé pour m'oindre les gros orteils.

— Que faites-vous ? ai-je demandé.

Elle n'a rien répondu.

Pendant ce temps, Ramadé m'enfonçait chacun de ses médius dans les oreilles et entreprenait de les vriller en psalmodiant des incantations dans une langue remontant au déluge.

— Fermez les yeux ! m'enjoignit — (chef-lieu de l'Yonne) — elle.

J'obéis avec passivité, indifférent.

La séance se poursuivit longtemps. Il y eut des variantes. Par exemple, les donzelles m'arrachèrent quelques poils sous les bras et les brûlèrent avec une allumette. Puis elles me soufflèrent dans les narines, et surtout me massèrent très longuement la nuque, toujours en dévidant leurs litanies.

Une étrange torpeur m'emparait. Je dodelinais de la pensarde. M'égarais dans des fantasmagories pleines de scintillements. La fatigue infinie, qui depuis des jours me réduisait, laissait place à une quasi-inconscience. Je me sentais délivré de moi-même, un peu comme si une mort bienveillante s'avançait vers moi d'une allure glissante.

Vingt doigts continuaient de s'occuper de mon être.

« Mon abandon est total ! » pensai-je.

Et puis un chant à deux voix s'éleva, accentuant mon extase. Pour la toute première fois de mon existence, je sus ce que signifiait « être heureux ». Dormir, s'éveiller, retrouver la grisaille, la terrible inertie d'un univers sans passé et sans devenir. Quelque chose ressemblant à une pré-mort, en somme !

Au cours d'une période assez longue je fus en « errance mentale ». Je ne pensais à rien de précis, continuais de flotter telle une fumée étirée par le vent.

Des odeurs, des bruits. Les premières de cuisine, les seconds de conversation.

A la fin, le grand diable vint risquer un œil sur moi. Ses fringues, imprégnées de senteurs culinaires me mirent en appétit.

— J'ai faim, lui dis-je.

— Tant mieux ; M meFélicie va en être ravie. Elle nous fait un coq au vin comme je n'en ai jamais mangé.

Il tendit les mains et m'aida à m'extraire du canapé.

— Quelle heure est-il ? demandai-je.

— Vingt heures trente.

— Alors il ne va plus tarder, murmurai-je, sans trop savoir ce qui motivait mes paroles.

Le gars fronça les sourcils :

— Tu attends quelqu'un ?

Sa question m'embarrassa. Pourquoi venais-je de proférer ces mots ? A quoi correspondaient-ils ? A nouveau, j'avais la tête vide.

— Je crois, finis-je par admettre.

— Qui ?

— Un homme.

— Tu le connais ?

— Non, mais on vient de lui confier un contrat contre moi.

— Un quoi ?

— Un contrat : l'ordre de m'abattre, si vous préférez.

— Où as-tu été chercher ça ?

— Je ne sais pas.

Et c'était exact. Je tentai de débusquer une indication quelconque dans ma tronche déserte, en vain. Les certitudes naissaient spontanément en moi.

En traversant le vestibule, il me vint une inspiration fulgurante.

— Allons dans ma chambre ! décidai-je.

— Tu te sens mal ?

— Je voudrais procéder à une vérification.

Soumis, il me prit le bras et m'aida à monter l'escadrin.

Parvenu dans ma piaule, j'allai m'asseoir sur mon lit ancien, aux montants de noyer, puis me mis à contempler la tête du plumard.

Je dis :

— Auriez-vous un crayon feutre ?

Il en possédait un.

J'en ôtai le capuchon et traçai trois points sur le bois.

— C'est un signe maçonnique ? interrogea le visiteur.

— Non : c'est là que se produiront les impacts des balles tirées sur moi.

— Ecoute, Antoine. Tu ne crois pas que tu délires ?

— Peut-être, mais il y aura bientôt trois trous à la place de ces points, et, sans doute, ces projectiles auront-ils traversé mon corps avant de se loger là.

— Si tu penses réellement une chose pareille, il faut quitter cette maison !

— Non ! lançai-je farouchement. Le destin doit s'accomplir ; il est vain de vouloir en modifier le cours.

Ce soir à Samarcande ! railla le Black .

Mais il avait une drôle de voix et ses yeux sortaient de sa tête. Nous redescendîmes. La faim me tenaillait. Le coq au vin jaune du Jura embaumait. Les deux femmes examinaient leurs assiettes d'un œil incertain.

- Ça ne va pas ? s'inquiéta m'man en nous voyant surgir.

— Si, si, la rassurai-je, je me sens beaucoup mieux.

Pour le lui prouver, j'attaquai gaillardement une aile nappée d'une sauce onctueuse, qui mit aussitôt mes papilles en liesse.

M'man était allée quérir deux boutanches de château-chalon à la cave, et ce dîner improvisé ressembla au festin d'un grand traiteur.

Comme nous atteignions le dessert, j'eus un nouveau « flash ». Brutal. Je me vis en compagnie d'un couple dans la nacelle d'une grande roue foraine. Celle-ci cessait de tourner au moment où nous nous balancions au faîte de son orbe. Soudain, le couple me faisant face se jetait sur moi et m'empoignait, l'homme aux épaules, la femme aux chevilles, dans l'intention évidente de m'expédier dans le vide.

Leur promptitude fut telle qu'ils faillirent réussir. J'avais déjà le buste à l'extérieur quand, d'un effort surhumain, j'arrachai mon pied gauche à l'étreinte de la donzelle et le lui envoyai dans le museau. Cela produisit le bruit d'un colis contenant de la porcelaine brisée.

La fumelle lâcha tout et partit à la renverse, dans une posture identique à la mienne. Elle héla son compagnon, un nommé Julius (ou quelque chose dans ce genre). Il tenait à elle puisqu'il m'abandonna afin de voler au secours de sa polka.

J'en profitai pour réintégrer complètement notre coque. Mes jambes tremblaient, mon cœur chamadait. Un courroux démesuré m'animait. Je lançai alors un ignominieux coup de pied entre les jambes de mon agresseur, penché pour aider sa camarade. Le choc fut à ce point violent qu'il perdit connaissance, lâcha tout et valdingua dans le vide. Il entraîna sa copine dans sa chute.

Et puis…

Rien ! De nouveau le noir.

A table, tous me considéraient avec inquiétude.

— Antoine, mon chéri ! Tu ne te sens pas bien ? demanda m'man.

J'avais le guignol fou et je suais comme un beignet retiré de la friture.

Je les regardai alternativement ; leurs mines anxieuses m'attendrirent. Je réalisai que cette tribu m'aimait et se tourmentait pour ma gueule. Je devais connaître ces gens. Un lien certainement très fort nous unissait.

— Un léger malaise, assurai-je. Je ne suis pas très faraud.

Ce mot ne m'était sans doute pas familier puisqu'il me surprit.

M'man insista pour que j'aille me pieuter.

En fait, je ne demandais que ça. Ils me bordèrent à quatre. Je n'avais jamais bénéficié d'une pareille assistance, pas même à l'hosto.

Un peu plus tard, j'entendis, depuis le couloir, le grand primate dire à Félicie :

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