Par ça, dis-je.
Nous eûmes alors une curieuse période de prostration. Cette bouteille plate, étincelante, nous fascinait. Nous la regardions, comme des diamantaires regarderaient le « Régent » si un voleur à la tire le déposait devant eux.
— Votre avis ? demanda le Dabe.
— A propos de son contenu ?
Il opina.
— Le même que le vôtre, Patron.
— Ça EN serait ?
— Probablement.
— Que faisons-nous ? Il faudrait confier cela à un laboratoire.
— Bien sûr. Seulement nous ne disposons pas d’un laboratoire.
— Alors ?
— Alors écartez-vous, je vais l’ouvrir.
— C’est très téméraire…
— Je suis très téméraire, sinon vous ne me garderiez pas dans vos services.
Pendant qu’on fait un peu de dialogue on emmerde personne, hein ? Et moi, ça me permet de fortifier l’aimable trouillasse qui me taraude.
Le Vioque eut à cœur de ne pas s’éloigner, voulant prouver qu’à courage, courage et demi, vous comprenez ?
Ce fut moi qui m’écartai de lui. J’assurai le flacon dans ma main gauche et nouai mon pouce et mon index autour du bouchon.
Je dus forcer. Il résista. J’envisageais de faire appel à quelque clé à molette quand il céda à mon ultime sollicitation. Le pas de vis en était très fin et je dus beaucoup tourner pour parvenir à déboucher l’inquiétante fiole. Je dois à la vérité d’avouer que ma main tremblait passablement. Peut-être était-ce ma mort que je débouchais et risquais-je de dévisser à la suite du bouchon.
Je l’ôtai.
On n’entendait que le bruit prudent de nos respirations, au Vieux et à moi. Nul ne jactait.
Comme rien ne se produisait de fâcheux, je m’approchai de la fenêtre et abaissai la bouteille pour essayer d’apercevoir son contenu. Je crus distinguer une poudre couleur de soufre dans le fond du récipient.
J’eus un regard perplexe autour de moi. Je vis une bouteille d’akvavit pleine, en évidence sur la desserte. Je demandai à mon honorable chef de la déboucher, puis je plaçai le goulot de la fiole au niveau de l’autre pour verser un peu de la poudre dans la bouteille d’alcool.
Quelques particules verdâtres churent du flacon de métal. Il y eut immédiatement une petite explosion. La boutanche d’akvavit vola en éclats afin de libérer le bloc de glace qui venait de s’y former.
— Prodigieux, murmura le Tondu.
J’allai alors à la cheminée dans laquelle agonisait un feu de boulets.
Quelques grains infimes de poudre, et il n’y eut plus qu’une masse noirâtre qu’enrobait une pellicule de glace.
M’estimant suffisamment informé, je rebouchai le flacon avec autant de précautions que j’en avais déployées pour l’ouvrir.
Un cri de grande détresse m’échappa. Un trou de la dimension d’une tête d’épingle en verre creusait l’extrémité de mon médius. Propre, net, définitif si j’en jugeais les parois aussi lisses que ma paume.
Je montrai mon doigt légèrement mutilé au Dirlingue. Il sortit un lorgnon de sa poche et le tint devant son nez pour mieux voir.
— Une molécule d’ Inertium s’est portée sur votre médius, diagnostiqua-t-il sans trop de mal.
Il remisa le lorgnon, satisfait.
— Vous rendez-vous compte de l’importance d’une telle matière ?
— Très bien, merci.
— Nous pourrions peut-être commencer les interrogatoires ?
Je replaçai le flacon chromé dans ma poche et le suivis. Ce petit trou à mon doigt me donnait envie de vomir et éveillait en moi une fureur dont je décidai que Borg Borïgm ferait les frais.
J’allai empoigner la compagne de Borïgm par ses liens et la traînai sans galanterie jusqu’à notre salon P.C. A ma requête, Eggkarte nous accompagna. Elle commençait de s’ennuyer car l’ambiance de la maison investie devenait comateuse. Les deux tantes frivoles avaient cessé de l’amuser.
Je posai la fille dans un fauteuil.
— Ravissant visage, nota le Vieux, toujours sensible au beau sexe.
A la minute présente, la joliesse de notre prisonnière me laissait… de glace. Mon mécontentement virait au marasme. J’avais envie de tout envoyer péter et de rentrer chez moi. Honnêtement, plus que le trou à mon doigt, celui qu’on avait fait à mon orgueil, en m’apprenant la vérité sur mon prix Nobel, m’endolorait.
— Eggkarte, dis-je, apprends à cette aimable personne que si elle continue d’être la princesse Anne d’Angleterre, il va lui arriver des choses cruelles. Nous allons la questionner et elle va répondre, sinon je lui saupoudre le minois avec le contenu de ce flacon, si bien qu’après ce traitement, la sorcière de Blanche-Neige ressemblera à Blanche-Neige elle-même à côté d’elle.
Pendant la traduction, je brandis tour à tour mon médius et la fiole de métal devant la gosse.
Un changement spectaculaire s’opère. Elle devient blanche comme : une morte, un linge, la neige, un masque de cire, Omo, Ajax ammoniaqué et tutti fourbi.
Des mots, dont je présume d’ores et déjà qu’ils sont affirmatifs, lui coulent des lèvres.
— Elle est d’accord, confirme Eggkarte.
— Parfait. A vous, monsieur le directeur.
— Commencez d’abord, San-Antonio, riposte le vieux madré.
— Comme vous voudrez.
Je continue de jouer avec la petite bouteille plate, la gonzesse ne la quitte pas des yeux.
— Allons-y par le commencement, quel est son nom ?
Bon, je te passe les fastidieuses questions, les réponses traduites, les commentaires qui leur succèdent. Du ronron, tout ça. Rien de plus tartouze qu’un interrogatoire, même s’il te fait progresser. Ça ressemble à du ping-pong verbal. Comme lorsqu’on contrôle un inventaire : « Douze petites cuillers d’argent, style Louis XVI ! » qu’annonce le mec à la liste. « Douze petites cuillers ! » que répond le vérificateur.
T’en as vite rasibus.
Sache pour ta gouverne que cette mignonne se nomme Katarina Dürkönizöb, que c’est une petite vicelarde qui fréquentait l’institut Bhézodröm dirigé par Borg Borïgm, que, perverse à en incendier ses slips, elle devint la maîtresse du maniaque à l’âge de seize ans, qu’ensemble, ils se livrèrent à des orgies dignes de Sade, à des messes noires, qu’ils allèrent jusqu’au meurtre (j’en sais quelque chose).
Te voilà approvisionné en tuyaux, hein, Mec ?
Mais bouge pas, mon grognant, c’est pas fini. Emmagasine et laisse s’épancher la vessie du mérinos.
La demoiselle Dürkürazöb nous apprend qu’après son évasion, Borïgm est allé la trouver, dans la propriété de ses vieux, car le fait divers eut lieu pendant des vacances. Elle sut le cacher dans le parc de son dabe, important chirurgien spécialisé dans la greffe du pénis. Mais, lorsque les classes reprirent, ils durent envisager une autre planque. Borg avait une vieille tante à Milsabör, aimable femme qui l’avait élevé et vivait en compagnie de son fils. Il jura à la brave personne qu’il était innocent. Elle le crut. Les mères croient toujours les enfants et leur pardonnent tout (belle notation, hein ? On jurerait que c’est d’un grand écrivain et on souhaiterait que ça soye repris dans les livres de philo et de siphilo). Une vie bizarre s’organisa. Profitant de sa ressemblance avec tantine, Borïgm se nippa en vieille dame de la petite bourgeoisie. Ils avaient l’un et l’autre la même anomalie nasale. La tante n’avait pas de tache de vin à l’oreille : on lui en fit une. Bref, chacun se mit à la portée de l’autre, ce qui est louable, t’es d’accord ?
L’harmonie familiale, tu veux savoir ? Irremplaçable. Je répète : irremplaçable.
Borïgm voyait beaucoup Katarina. Ils continuaient ensemble d’assouvir leurs instincts dépravés (bien tourné, ça aussi, non ?).
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