Elle se met à couiner, soudain à bout de nerfs, et le gars San-Antonio lui cloque des tartes maison, ce qui est la thérapeutique idéale pour ces cas désespérés.
Elle s’arrête instantanément.
— Au secours, éructe Seruti en glaviotant du rouge.
— Je vous en supplie, larmoie la belle.
Pinaud, lui, se roule une cigarette « de ses pauvres doigts gris que fait trembler le froid » [2] Ce vers d'Hugo pour vous montrer que j'ai des lettres.
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Je cligne de l’œil à mon pote.
— Écoute, bonne à tout faire, bonne à mal faire, devrais-je employer, nous irons chercher les ambulanciers lorsque tu auras éclairé notre lanterne, pas avant… Ton jules peut claquer, ça nous laisse froids… À toi de choisir… Elle choisit.
Et elle choisit dans le bon sens, car son boxeur, elle doit l’avoir profond dans la peau.
L’histoire est très simple, mais bourrée de détails qui le sont beaucoup moins. Renonçant à vous transcrire avec mon réalisme coutumier les révélations de la môme Machinchouette, je vous les résume succinctement.
Van Voorne était un courtier marron d’Amsterdam, spécialisé dans le trafic des cailloux. Sa femme et lui étaient séparés de corps, ce qui est exact, mais pas du tout de biens, et les deux compères constituaient un aimable attelage de fripouilles.
À plusieurs reprises, Van Voorne s’était rendu en Afrique du Sud pour tâcher de se procurer sur place un gros lot de diams à de bonnes conditions. Il avait mis au point une grosse affure et, le mois dernier, il s’apprêtait à véhiculer sa provende depuis Le Cap jusqu’en Hollande, lorsqu’il avait été inquiété par la police sud-africaine qui avait eu vent de ses manigances et qui ne plaisante pas avec les trafiquants de pierres précieuses. Sur le point d’être alpagué s’il ne se débarrassait pas des gemmes, et ne sachant où les carrer, Van Voorne s’était mis en cheville avec Josephini qui était descendu dans le même hôtel que lui et avec lequel il sympathisait.
Il avait donc collé sa belle marchandise au manager en lui promettant de faire fifty-fifty s’il amenait les cailloux à Paname… Josephini avait accepté, car une belle combine commak ne pouvait le laisser indifférent…
Van Voorne avait envoyé un message à sa grognace afin de lui recommander de réceptionner l’envoi à l’arrivée et il s’était démerdé avec les bignolons du coin qui, au bout d’une quinzaine, avaient dû admettre sa blancheur Persil.
Josephini était rentré peinard avec son poulain, lequel venait de paumer son titre et broyait du noir… Seulement Seruti avait assisté, à travers la porte de communication des chambres que son boss et lui occupaient au Cap, à la conversation de Van Voorne et de Mario… Et il pensait prendre une revanche sur le sort en s’octroyant une part du gâteau…
Une fois en France, il avait avoué à son manager qu’il était au courant de la combine et lui avait proposé de garder les cailloux… Ils feraient part à deux et si jamais Van Voorne la ramenait, il était prêt à le mettre à la raison…
Hélas ! Josephini avait feint la surprise et prétendu que Seruti devenait jobré… De même, lorsque la mère Van Voorne avait voulu récupérer le magot, il l’avait envoyée aux prunes en prétendant tout ignorer de l’affaire. Sale blague pour les Van Voorne… La femme avait rencardé son vieux à son retour d’Afrique du Sud et celui-ci, en homme pondéré, comprenant qu’il s’était laissé blouser et qu’il ne pourrait rien obtenir par la force, s’était arrangé pour surveiller Josephini de la façon que l’on sait… Lui surveillait les allées et venues chez le manager et sa femme s’occupait de la vie extérieure de Mario… Elle contactait fréquemment le beauf à Pinuche, histoire de lui demander s’il était ou non revenu de son erreur et aussi pour lui donner le sentiment gênant qu’il était surveillé.
Lorsqu’elle estimait que Josephini rencontrait des gens douteux, avec lesquels il aurait été susceptible de négocier les diamants, elle prévenait son mari d’une façon judicieuse, puisqu’il n’y avait pas le téléphone à l’hôtel, c’est-à-dire en lançant un signal dans l’appartement de Josephini qu’il surveillait. Alors Van Voorne se démerdait de tuber rue de la Faisanderie où sa femme téléphonait avant lui pour laisser l’adresse du lieu où il devait la rejoindre…
La môme nous bonnit tout cela avec des hoquets, des sanglots, des cris, des vagissements et des regards éperdus à son bonhomme en train de calancher dans le cambouis.
Ensuite, je la branche sur le chapitre Seruti, qui me paraît plus essentiel… Elle y va de sa chanson de gestes…
Pendant que les Van Voorne entreprenaient leurs travaux de récupération, Seruti, boxeur fini et garçon de moralité plus qu’élastique, surveillait aussi son patron. Cela faisait une gentille meute aux chausses du gars Mario… L’ancien champion avait pigé le manège des Van Voorne et il s’était résolu à les battre de vitesse… Lundi soir, il était allé chez son manager et lui avait fait la grosse séance d’intimidation… Il avait été très menaçant… Josephini avait pris peur et lui avait juré ses grands dieux qu’il venait de traiter avec Van Voorne et que les diams avaient été remis au Hollandais… Seruti ne s’en était pas laissé compter et s’était mis à faire le méchant. Alors Josephini s’était emparé du fameux coupe-papier et avait essayé de l’en frapper… Au comble de la rage, le bouillant Seruti lui avait arraché l’instrument des mains puis avait frappé son manager qui s’était répandu, out, sur la carpette… L’autre avait pris peur et s’était trissé…
Le lendemain, en apprenant que sa victime avait été trouvée sur le trottoir et qu’on pensait se trouver devant un suicide, il avait cru devenir fou… Puis il avait réfléchi et s’était dit que Van Voorne ne devait pas être étranger à la chose… C’était le Hollandais qui s’était amené pour fouiller l’appartement et qui avait camouflé le meurtre en suicide afin de ne pas attirer l’attention de la police sur ce décès…
Alors Seruti avait repris du poil de la bête… Il n’avait pas commis un meurtre pour la peau… Il voulait aller jusqu’au bout et récupérer le gâteau… À n’importe quel prix !
Il avait une maîtresse dévouée, la môme qui nous parle et qui répond, quand on l’appelle, au nom illustre de Martine ; celle-ci se fit engager chez la mère Van Voorne qui cherchait une bonne depuis pas mal de temps… Elle surveilla les allées et venues de la belle Hollandaise, fouilla l’appartement, en vain… Elle apprit, du moins, pas mal de choses sur les habitudes de Van Voorne, notamment en ce qui concernait leurs appels téléphoniques à la gomme.
Pourtant, son emploi de bonne ne donnant rien, Seruti s’impatienta… La veille, dans l’après-midi, il était entré chez Van Voorne et l’avait molesté (et comment !) pour lui faire cracher la vérité, mais Van Voorne avait affirmé jusqu’à la mort ne pas posséder les diamants… Dans la petite tête obtuse du boxeur, il n’y avait pas de doute : si Van Voorne ne possédait pas les cailloux, c’était sa femme qui les avait…
Le soir, ils avaient résolu, sa poule et lui, de « s’occuper » de la patronne… Ça urgeait d’autant plus que la police était venue l’interroger dans le courant de l’après-midi sous les traits agréables de San-Antonio, l’as des as, l’homme qui remplace le beurre et les céleris rémoulade !
Mais l’interrogatoire de la pépée Van Voorne n’avait rien donné non plus. Seruti lui avait fait le coup de la strangulation pour l’intimider… Ne connaissant pas sa force, il avait étranglé cette digne personne comme on étrangle un pigeon…
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