Bérurier, que cette tartine impatiente, lui frappe sur l’épaule.
— T’écriras tout ça dans Paris-Match, mon petit gars, lui susurre-t-il. Arrive aux faits…
— Bon, tranche Dubœuf (sur la langue), donc on se débrouille comme on peut. Moi, je m’étais mis en cheville avec des books pour la boxe. J’avais idée de truquer de temps en temps quelques rencontres, histoire de se remplumer ; c’était pas méchant et ça se fait couramment aux États. Seulement, en France, les managers sont honnêtes… On m’a indiqué Josephini parce qu’avec lui il y avait peut-être mèche de s’entendre : il aimait tellement le fric ! Et, en effet, on s’est entendu. On a maquillé deux ou trois matches, comme ça, gentiment… L’autre soir, le petit Arabe a eu ses vapeurs à la suite d’un coup douloureux. Au lieu de s’écrouler dans la résine, il y a expédié l’autre. Le coup était vachard pour nous, car ça nous faisait perdre une brique, mais enfin, ça ne justifiait pas la mort d’un homme, vous êtes d’accord, surtout pas celle du manager, d’autant plus qu’il était le premier emmouscaillé, ayant mis un fort bouquet sur l’adversaire.
Ce qu’il énonce là, d’un ton passionné, je l’ai déjà pensé. Il ne fait que mettre le doigt sur des vérités antérieurement homologuées, ce brave type. Mais lui est parfaitement qualifié pour poursuivre le raisonnement beaucoup plus loin.
— Après ?
— On a sermonné le poulain de Mario… Et voilà tout… Ça ne méritait pas plus…
— Vas-y, je te suis pas à pas !
— Bref, on a écrasé ce coup foireux en mijotant un autre plus important avec Josephini. C’est comme ça qu’on doit faire dans la vie, vous ne pensez pas ?
— Si, dans un certain sens.
— Mario m’avait filé la ranque pour le soir, lundi, dans la nuit…
— Une heure du matin ! murmuré-je, c’est une drôle d’heure pour les rendez-vous d’affaires…
Dubœuf s’est repris. Maintenant, il jacte carrément, d’une voix normale. Comme le client ayant vérifié que son pharmacien est bien titulaire d’un diplôme de première classe avant de lui acheter de l’aspirine : il a confiance. Dans notre turbin, ça se passe toujours comme ça : les truands se font tirer l’oreille (et aussi des pains sur la gueule) et puis, ils commencent à se raconter et, comme un confident est ce qui émeut le plus un homme, ils se prennent d’amitié pour leur tourmenteur. Vous devenez brusquement l’être le plus près de leur cœur. Ils vous chérissent, vous prennent à témoin, s’accrochent à vous. Pauvre humanité ! Plus je la fréquente, plus je la comprends, et plus elle me fait pitié.
Nous sommes tous un ramassis de pauvres tronches perdues dans un flot saumâtre. On se cherche des rognes, on se snobe, on se fait des galoups, on crâne, on règne, on éclabousse et tout ce qu’on peut s’expédier à la frite, ce sont les mêmes débris lamentables. Les hommes, quels qu’ils soient, ne peuvent se battre qu’à coups de crachats car c’est la seule chose qu’ils sécrètent vraiment. Heureusement qu’ils ont l’amour pour se racheter un brin, sans quoi y aurait de quoi se faire du mouron.
Un peu nostalgique, votre San-Antonio, pas vrai ? Mais quoi, nous avons tous nos périodes dépressives. Et puis, comme dirait notre femme de ménage : je pense, donc j’essuie !
— Oui, renchérit Bérurier qui, lorsque l’inspiration lui manque, joue l’écho de service à la perfection, 1 heure du matin, c’est pas une heure de parler d’affaires…
— J’étais pas libre avant, rétorque Dubœuf (en daube). Et il fallait qu’on se voie, because il y avait le championnat national des mouches à Wagram, le lendemain…
— Bon, tranché-je, after ?
— Eh bien, je suis monté chez Josephini… J’ai sonné à sa lourde, personne n’a répondu… Pourtant la porte n’était pas fermée complètement et de la lumière filtrait par l’entrebâillement. Je l’ai ouverte d’une poussée… J’ai traversé le vestibule et je suis entré là où il y avait de la lumière, c’est-à-dire dans sa chambre. Oh ! nom de foutre ! ça m’a flanqué une commotion ! Il était là, allongé sur sa descente de lit, le dessus du crâne défoncé avec un énorme coupe-papier en fer forgé. L’instrument était tout sanglant par terre.
Il plisse les yeux et évoque le spectacle d’un air écœuré. Ce qu’il bonnit n’est peut-être qu’une histoire, en tout cas il la raconte bien !
Bérurier cure une parcelle d’andouillette dans une de ses nombreuses dents creuses. Chez lui, c’est un signe de tension extrême.
— Allez, continue, imploré-je.
— Je me suis penché sur Mario… Pas d’erreur, il est canné… Et ça datait de tout de suite car le sang coulait encore de sa blessure. Mon premier mouvement a été de les mettre, vous pensez bien…
Oui, je pense bien… Quand un zouave comme Abel trouve le cadavre d’un de ses copains, il doit avoir une fameuse envie d’être ailleurs…
— Ne t’interromps pas, mon petit pote, nous sommes tout ouïe !
Le duraille reste à dire ; il cherche les mots les plus arrondis aux angles.
— Arrivé à la porte, fait-il, je me suis repris. J’ai pensé que l’assassinat de Mario, ça allait faire un drôle de cri dans Paris. Les pou… la police (ouf ! il a eu chaud), allaient se remuer, questionner les amis et relations du manager… Bref, je serais du lot… Si jamais on apprenait que j’étais là presque à l’heure du meurtre, je serais bon pour les assiettes… C’était logique et inévitable : en affure avec cégnace, pas d’alibi, un casier judiciaire chargé comme un train de marchandises, vous pensez : c’était couru d’avance !
Il clape de la menteuse. Il est à court de salive et les paroles ne passent plus.
— Donne à boire à ce pauvre blessé, fais-je à Béru qui vient de s’extraire des chailles de quoi alimenter un canard pendant huit mois.
Le Gros court chercher son litron. Abel pompe un grand coup de picrate. Cela paraît lui remonter le moral. D’autre part, notre attitude attentive et approbatrice lui inspire confiance. Il se dit que nous avons l’air de bien piger la soudure et que c’est du nanan un auditoire pareil. Il enchaîne donc :
— Je me suis dit qu’il vaudrait mieux pour mes plumes camoufler le crime en suicide. Ça devait être possible en filant Mario par la fenêtre, tête première… Il se pulvériserait la lanterne et le légiste l’aurait dans le sac pour reconnaître le premier coup de perlimpinpin… J’ai chopé Mario par les épaules en prenant bien soin que son raisin ne dégouline pas sur le parquet, puis je l’ai mis sur la fenêtre et l’ai fait basculer.
« Seulement, en agissant de la sorte, je venais de faire une drôle de connerie car un zig qui culbute d’un troisième fait un drôle de barouf en atterrissant… C'a été tout de suite le gros remue-ménage, en bas… Et moi fallait que j’évacue le coupe-papelard et la descente de lit tachée de sang, sinon ça ne rimait à rien… J’ai roulé la descente de lit et je l’ai prise sous le bras. Puis j’ai couru à la porte, mais c’était trop tard, il y avait des cris, des bruits de pas dans l’escalier ; si je sortais j’étais flambé.
« J’ai mis le verrou et j’ai cavalé dans tout l’appartement pour chercher une autre issue : il n’y en avait pas… Les fenêtres donnaient toutes sur la rue et y avait du monde au balcon, partout, je vous le garantis…
« Déjà, on carillonnait à la porte de l’appartement… Oh ! cette pétoche ! Je n’ai jamais eu la pareille de toute ma garcerie de vie ! Quoi faire ? J’étais pris au piège ! Et cette fois, y avait pas la moindre chance pour que je m’en tire, vous comprenez ? »
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