— Pas possible !
— T’as le leitmotiv sur mesure, dis-je.
— Qui l’aurait assommé ?
— C’est ce que nous devrions essayer de découvrir… Ça n’est pas de votre ressort, comme disait un fabricant de sommiers, mais personne ne peut nous empêcher de mener une petite enquête pour notre compte, hein ? Ce type, il était un peu de la famille, alors…
Pinaud récupère lentement… Son mégot n’est plus qu’un point incandescent qui fait grésiller sa moustache.
— Un coupe-papier en fer forgé, murmure-t-il, je vois de quoi il retourne : c’était la tante Adèle qui le leur avait offert pour leur mariage… Une belle pièce, vraiment !
— La tante Adèle ? hasardé-je, voulant me lancer dans l’astuce façon de Bérurier.
— Non, ce coupe-papier… Il devait peser plus d’un kilo… Le manche représentait un naja et la lame était large et plate…
— Bref, ça n’offrait aucune utilité pour décacheter une lettre, mais c’était idéal pour écraser la coiffe d’un gars ?
— C’est vrai…
— Tu n’as jamais entendu parler de sa vie privée, au Mario, depuis le divorce de ta belle-sœur ?
— Pratiquement non…
— Une belle blonde en fourrures blanches, ça te dit quelque chose ?
Il réfléchit.
— Marlène Dietrich ? propose-t-il sérieusement.
— Pinaud, murmuré-je, quand on t’écoute, on se demande où dérive l’humanité. Tu n’es qu’un fœtus développé et si on avait la curiosité — malsaine — de te trépaner, on ne trouverait dans ta tête qu’un peu de coton hydrophile !
Il hausse les épaules.
— Toujours tes phrases qui ne veulent rien dire et qui ne sont que grossières. J’ai vingt ans de plus que toi, San-Antonio, tu l’oublies !
Il essaie de rallumer son mégot.
— Tu aurais intérêt à fumer carrément ta moustache, conseillé-je.
Il relève le col de son pardessus, lequel s’était rabaissé. Il s’isole. Mais comme chez lui l’envie de parler est plus impérieuse que la fâcherie, il demande bientôt :
— Où allons-nous ?
— Chez Josephini…
— Ah oui ?
— Oui… Ça te contriste ?
— Ça me fait quelque chose : les souvenirs… Mario, je vais te dire, c’était un type sans grand intérêt, mais nous avons été jeunes ensemble…
— Stoppe ! lancé-je, agacé, tu l’as déjà dit. Si tu viens me raconter tes nœuds papillons à pois bleus, je fais un malheur…
Nous arrivons devant « l’immeuble tragique » rue de l’Université. Une concierge moins haute que son manche à balai déplace des microbes sous son porche. Elle a un regard en vrille et des rides pleines de crasse. Elle sent la vieille concierge, ce qui est une odeur dûment homologuée par les spécialistes du sens olfactif.
Elle nous toise du bas de sa hauteur.
— Messieurs ?
— Bonjour, madame, fait courtoisement Pinaud.
— Vous désirez ?
Le Pinuchet des familles va pour lui raconter sa jeunesse avec Mario, mais je lui cisaille l’épithète au ras des baveuses.
— Police, nous montons, déclaré-je en produisant ma carte…
La vioque frémit.
— Je ne vous avais pas encore vu, affirme-t-elle.
— Eh bien ! vous ne pourrez plus en dire autant…
Nous nous engageons dans l’escalier. Elle nous trotte au der.
— Vous savez que le commissaire de police du quartier a fait poser un cadenas, parce que la porte avait été enfoncée ?
— Nous savons…
— Vous avez la clé ?
J’explose. :
— Occupez-vous de votre poussière, ma brave dame et fichez-nous la paix.
Elle se cramponne à la rampe.
— En voilà des manières !
Son petit regard vipérien est dardé sur nous, tandis que nous montons. Pinaud est tout contrit.
— Tu n’aurais pas dû l’envoyer bouler, murmure-t-il, c’est une personne d’un âge et…
Sautant de l’ânesse au coq, il demande :
— C’est vrai que tu as la clé ?
— J’ai sur moi la clé de toutes les serrures, lui dis-je, tu le sais bien.
— Ah ! Ton sésame ?
— Oui…
Nous voici au troisième. Il n’y a qu’un appartement par étage. Une porte disloquée, remise tant bien que mal sur ses gonds et fermée par un gros cadenas nous apprend que c’est bien là.
— Mais, il y a les scellés ! fait Pinaud en désignant des cachets de cire.
— Qu’à cela ne tienne !
Je fais sauter ce barrage symbolique avec la pointe de mon canif.
— Ça n’est pas très légal, chevrote mon compagnon. Soupin pourrait porter le pet et nous faire avoir sur les doigts !
J’éclate d’un rire homérique.
— Soupin ! Il se tiendra peinard, fais-moi confiance, et il y a même des chances pour qu’il aille se cacher sous une meule de foin lorsqu’il apprendra qu’il y a eu crime et qu’un truand se tenait planqué dans l’appartement pendant ses investigations.
Ce disant, je fourrage dans le cadenas et celui-ci pousse le dernier soupir.
Nous poussons la porte et entrons dans l’appartement de feu Mario Josephini. Pinaud écrase une larme rétrospective.
— Ne sombre pas dans la glycérine, lui fais-je, mettons-nous plutôt au turbin.
L’appartement est vieux, classique, sale et d’un confort modeste. J’ignore si Mario enfouillait beaucoup d’artiche, mais dans ce cas il ne le collait pas sur ses murs, car le papelard de la tapisserie date d’un siècle indéterminé et lointain. Tout est passé, pisseux et triste… Ça renifle le renfermé, l’homme seul, l’avarice…
— Il n’avait pas des goûts de luxe, ton ex-beauf, noté-je.
Pinaud s’arrête devant chaque meuble en reniflant les remugles de la belle époque (dite, pour lui : nœuds papillons). Moi, plus direct, je les inventorie… Je déniche le bric-à-brac habituel d’un appartement. C’est sans intérêt ; aussi n’accordé-je à ces babioles qu’un coup d’œil sommaire. Je « fais » la salle à manger-salon. Pièce attendrissante par son rococo, ses plantes vertes jaunies, ses cache-pots de cuivre, ses vieux napperons brodés, bouffés aux mites. Les meubles sont auréolés de taches de vin ; le parquet n’a pas été ciré depuis le divorce de Mario, et la poussière agglomérée a rendu les vitres de la croisée à peu près opaques. Je passe ensuite dans la chambre à coucher. Il faut vraiment que Soupin ait eu de la peau de sauciflard dans les carreaux pour ne pas comprendre qu’il s’est passé céans des choses pas catholiques.
D’abord l’absence de la descente de lit met sur le parquet un grand rectangle brillant, ensuite, il est aisé de trouver des taches brunes dans la poussière. Je suppose que, la nuit du meurtre, ces taches devaient être rouges. Oui, décidément, ce docte Soupin aurait eu intérêt à s’engager dans la Légion étrangère plutôt que dans la police.
Pinaud est sur mes talons. Il me désigne le lit capitonné, dont le satin troué bave son crin sans retenue.
— Cette chambre, fait-il, c’était l’oncle Girard qui la leur avait offerte. Il était riche à l’époque : grosse propriété en Algérie…
Je lui fais signe de la boucler. Sa voix monocorde m’empêche de gamberger convenablement. Et je sens que la solution du problème se trouve dans cette pièce. C’est ici qu’on a buté Mario… Pourquoi ?
Le meurtre n’était pas prémédité puisqu’il a été tué avec un objet se trouvant chez lui… Donc, son interlocuteur et lui se sont attrapés au cours d’une discussion. Le premier a cramponné ce qui lui tombait sous la pogne, c’est-à-dire le fameux coupe-papier de la tante Adèle. Il a fracassé le dôme de Mario et s’est taillé…
Читать дальше