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Frédéric Dard: Mange et tais-toi !

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Frédéric Dard Mange et tais-toi !

Mange et tais-toi !: краткое содержание, описание и аннотация

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Moi, vous me connaissez ? Quand la femme d'un zig qui m'a sauvé la vie vient chialer dans mon giron en me disant que son mari va être flingué deux jours plus tard pour haute trahison, je vole à sa rescousse. Même si c'est à Saigon que le mec en question doit effacer sa ration de prunes. Béru, vous le connaissez ? Il est toujours prêt à suivre son supérieur aussi hiérarchique que bien-aimé sur les sentiers de la gloire et de la châtaigne, même quand il s'agit d'un boulot d'ordre privé. Les femmes, vous les connaissez ? Plus elles sont baths, plus elles vous attirent d'emmouscaillements. Heureusement que moi aussi je les connais ! Ainsi que la manière de s'en servir ! Quant à mon style, si vous le connaissez pas encore, c'est le moment de vous y mettre. Car ça me ferait mal à la thyroïde que vous décédiez en n'ayant lu que Montaigne et Jean-Jacques Rousseau ! Souvenez-vous d'une chose, les gars : la culture, y a que ça de vrai !

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J'ai jamais vu un teigneux pareil ! Peut-être qu'il veut en installer devant sa grenouille ? Y a des bonshommes comme ça, dès qu'ils ont une nana contre la hanche ils se croient obligés de jouer les terreurs, les intraitables.

— Qu'est-ce qu'il raconte ? s'inquiète Alexandre-Benoît.

Je risque une ultime manœuvre conciliatrice.

— Il dit qu'il n'avait pas pigé, Gros, allez viens maintenant on les met !

Mon ami s'apprête à me suivre, car toute colère, chez cet homme, généreux, n'est que feu de paille et lait renversé.

— Bon, jockey, admet-il, alors puisque maintenant il a pigé, qu'il me donne du feu, dis-y !

— Vous n'auriez pas un peu de feu ? insisté-je auprès du militaire.

Une qui se marre en loucedé, c’est la Viêt-namienne, vu qu'elle comprend à la fois le français et l'anglais et que notre numéro à trois lui paraît irrésistible.

Pour toute réponse, l'officier saisit délicatement le cigare de Béru entre le pouce et l'index et, d'une chiquenaude, l'envoie balader sur la chaussée.

Mort de mes os ! Béru rosit, ce qui est la façon de blêmir de ce sanguin.

Il existe deux fureurs béruréennes : la chaude et la froide. La chaude est spontanée ; violente et généreuse. La froide au contraire est méthodique, calculée, impitoyable. Posément, Béru retire son râtelier et le met dans sa poche, puis il arrache son feutre et me le tend.

A quoi bon user encore de ma force de dissuasion puisqu'elle s'avère inefficace.

— Dis-y qu'il me ramasse mon cigare avant que je lui pète la bouille, grommèle-t-il.

Je traduis à l'officier. Mais l’Américain est déjà en garde. Apparemment Béru veut estoquer. Mais sa garde demeure et ne se rend pas.

— Fais gaffe, dis-je au Gros, il sait boxer, on le comprend tout de suite.

La jeune indigène vient se placer à ma droite, très intéressée. Quelques personnes ferment le cercle.

— J'ai vu, zozotte le Mastar entre ses chicots, espère un peu, je vais l'entreprendre à la Béru.

Donc, nous inscrivons le grand jeu au programme. Un autre zig comme le Mastodonte, je crois pas qu'on puisse en dégauchir un sur la planète Terre ni dans ses départements limitrophes. L'art du gros lard, c'est l'esprit d'initiative joint à une souplesse qui contraste avec son embonpoint. Son crochet ayant été magnifiquement bloqué par l'adversaire, il feint de vouloir lui en porter un autre, mais n'achève pas le mouvement amorcé et, tandis que le Ricain lève sa garde, Bérurier lui plonge dans les pattes et le culbute. L'officier se met à genoux pour se relever. Furax, je vous l'annonce ! Le Gravos le calme d'un sérieux coup de pompe dans la mâchoire. Ça résonne comme la porte d'un gros coffre-fort fermée un peu trop violemment.

Pour le coup, le gars s'affale en avant, les bras en croix, dans l'attitude soumise d'une peau de tigre transformée en descente de lit. Un arbitre qui voudrait le compter serait obligé de louer une machine à calculer IBM.

Lors, Bérurier ressort son dentier de sa fouille, souffle dessus pour le débarrasser des miettes de pain et de tabac collées après ses tabourets de salle à manger, me reprend son bitos et va ramasser le cigare objet de l'incident.

— On y va ? me demande-t-il.

— Allons-y ! approuvé-je en enjambant sa victime.

Je virgule mon regard enchanteur numéro 69 bis (plusieurs lignes : groupées) sur la compagne de l'officier.

— Si le cœur vous en dit, Mademoiselle, je lui fais, venez vous promener avec nous, car votre chevalier servant ne sera pas en état de marche avant plusieurs heures. Les souliers de mon ami sont à clous et à triple semelle et il a été avant-centre dans l'équipe de football de Saint-Locdu-le-Vieux, ce qui lui a constitué des mollets de garde républicain.

Elle me gazouille un petit rire cristallin qui fait penser soit à une source menue sourdant d'une anfractuosité de roche, soit au jet d'un prostatique contre l'ardoise d'une pissotière.

— Votre ami, il est pas commode ! dit la chère petite citronnette en nous emboîtant le pas.

Béru, tout en marchant, accomplit quelques puissants exercices respiratoires afin de se détortiller la rogne et la grogne. Il mâchouille son cigare en crachotant des brins de tabac. C'est comme quand un orage vient de déguiser la campagne en Wlaminck. On voit des zébrures sur sa face, des convulsions, de nains moutonnements.

— Y a pas un burlingue de tabac dans ce patelin, que j'achetasse des alloufs ! bougonne-t-il. J'ai besoin de téter un peu d'herbe à Philippe Nicaud pour me calmer, biscotte c't'horrible m'a crispé les courroies de transmission.

Il se tait en avisant un grand brasier au milieu de la place N'gruyère Ra-Pé. Le voilà qui s'approche des flammes et qu’il leur présente son Churchill.

Mon sang ne fait qu'un tour !

— Béru, n… de D… ! m'exclamé-je en pointillonnant par politesse, t'as pas honte !

— De quoi ? s'étonne le cher brave homme.

— Ce brasier, c'est un bonze en flammes !

Il se redresse, rouge de chaleur et de confusion. Effectivement, les restes à peu près calcinés d'un homme alimentent encore le brasier. Je vous jure : y a que ma Grosse Pomme cuite pour allumer son cigare à un bonze !

Mais il ne se laisse pas démonter longtemps. Une âme saine, dans un oursin, tel est Béru.

— Son sacrifice aura du moins servi à quéque chose, épitaphe-t-il en exhalant une bouffée.

C'est à cet instant que débouche une jeep verdâtre de la military-police . A son bord j'avise deux M.P. plus la victime de mon concasseur. L'officier américain a noué sa cravate autour de sa tête afin de se confectionner une mentonnière d'urgence. L'auto freine pile à notre hauteur et les deux M.P. rébarbatifs sautent du véhicule en décrivant des moulinets avec leurs goumis.

Béru les ignore pour se gausser de l'officier.

— Alors tu t'es déguisé en œuf de Pâques, bébé rose ? fait-il à l'officier.

Un coup de matraque lui arrive sur la théière, vigoureux, mais amorti par son feutre. Il chancelle, s'ébroue.

— Fais gaffe à ta coquille, Gros ! m'écrié-je, Ces gars-là ont la technique.

Le second zig de la military m'entreprend aussi sec. J'esquive, en accomplissant une cabriole, le gentil coup de goupillon qu'il est en train de me voter. Non, mais vous parlez d'une brute ! Moi, vous me connaissez ? Faut pas m'asticoter ou alors je ne réponds plus de rien. Perdant toute prudence, comme l'ont écrit avant moi des romanciers plus faits cons mais moins doués, je saute d'un bond dans la jeep et je saisis l'officier à bras le corps. Deuxième matraquage de mon M.P. Vigoureux, brute à l'excès, mais pas sagace, il est. C'est la rotonde du blessé qui écope. Vlahomm ! Dormez je le veux ! Bonsoir chéri ! Cette fois il se réveillera sûrement pas avant Noël ! Il y a des jours où c'est pas votre jour. Cette fois, sa casquette valdingue. Il a la tête sur le côté, les yeux entrouverts, comme des phares de Lotus. Ses cheveux sont poivre-et-sel, ou alors il a beaucoup de pellicules ! Son M.P. en reste ébaubi (d'ailleurs il se nomme E. Bobby). J'en profite pour le dématraquer et lui filer son gourdin caoutchouté dans la poire. Une bath baguette de chef de requêtes ! Il ne pourra plus prononcer les consonnes labiales pendant un certain temps vu que ses lèvres ont éclaté comme deux tomates sur la scène de la Scala de Milan quand la basse noble fait une fausse noble !trop roturière. Et de deux ! On dira ce que, vous voudrez, mais les proverbes français reposent toujours sur quelque chose. Ainsi, tenez, celui qui prétend que « jamais 203 » comme disait M. Peugeot. Eh ben, il est exact jusqu'à la moelle, mes fils. Car l'Honorable vient bel et bien d'assaisonner son antagoniste. Toujours son coup de pompe foudroyant.

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