Une voix mielleuse me répond que je peux y aller de mes confidences.
— Envoyez illico deux hommes et une bagnole à Pont de Claix, dis-je. Au domicile de M. Baulois, directeur de la papeterie… Faites fissa, j’ai un train à prendre à Grenoble à dix heures…
Il dit gi-go ; dans un quart d’heure, si les petits cochons ne les mangent pas en route, ils seront là.
— Voilà, dis-je à la môme en raccrochant. Le spectacle se termine. Ma belle, ça a été long, pénible, mais je suis arrivé cahin-caha au bout de l’affaire. Il ne me reste plus qu’à vous demander quelques explications, ou plutôt quelques confirmations de mes déductions.
« Vous êtes une intrigante, madame Baulois. Une femme cupide, une ambitieuse…
— Très joli, murmure-t-elle. C’est votre cerveau surchauffé qui vous fait déduire tout cela ?
— Oui, j’ai un calorifère sous le cuir chevelu, ma petite dame… Je comprends maintenant combien il est tentant pour une personne de votre espèce d’être l’épouse d’un gars qui fabrique du papier monnaie… Vous avez dû calculer longuement votre coup. Qui sait, peut-être n’avez-vous épousé Baulois que pour vous installer dans l’usine ? Une fois en place, vous avez dressé vos batteries. Seulement, ce papier est plus surveillé que du lait sur le feu. Le seul moment où il était accessible, c’était sur la route, lors de son transport à Paris. Vous avez donc établi un dispositif de contrôle des sorties. Mais votre vie matrimoniale a été vite disloquée. Baulois n’a pas inventé l’eau tiède, pourtant il s’est rendu compte rapidement que vous n’étiez pas la compagne idéale et il a en partie rompu les ponts. Lors de la première affaire de vol, c’est par lui que vous avez su l’heure de départ du convoi. Le stock étant épuisé, il fallait le renouveler. Mais Baulois ne parlait plus de ses affaires. Peut-être, à la suite du premier accident, a-t-il eu des doutes… Alors vous avez compris qu’il fallait se retourner vers la secrétaire qui, elle, pouvait donner le renseignement. Compère a fait ce qu’il fallait pour cela !
Compère ! Exportation, Importation !
— C’est à l’étranger que vous écouliez les faux billets, n’est-ce pas ? Vous aviez ainsi les coudées franches. La Banque de France risquait beaucoup moins de découvrir que des billets avaient plusieurs fois le même numéro. Convertis en dollars ou en livres, ils devenaient une valeur solide…
« Vous aviez tout mis au point. Vous n’êtes pas dépourvue d’un certain romantisme, puisque vous aviez patiemment dressé un chien à courir sus aux camions… Drôle de combine… M. Malaparte y avait déjà songé…
Je la regarde, elle ne bronche pas… On dirait qu’elle écoute distraitement un commentaire de radio.
— Vous aviez plusieurs complices, dis-je. Compère : l’homme chargé des relations extérieures… Trois-Sous, le petit voyou qui servait de manutentionnaire… Le métèque-épouvantail, qui devait être l’organisateur des attentats, et qui devait convoyer la « marchandise », et enfin l’imprimeur… C’est lui qui me manque encore, mais nous l’aurons vite maintenant que nous vous tenons !
Elle porte la main à sa bouche, comme si elle voulait réprimer un sanglot. Ça y est ! la voilà qui va me faire la grande scène du quatre… Les larmes, les cris, les sanglots, les mimiques…
Je hausse les épaules.
— Avec moi, ça ne prend pas, ma belle. Pas du tout, du tout… Si vous croyez m’avoir aux grandes eaux, vous vous gourez salement.
Elle ne m’a pas aux grandes eaux, mais elle m’a tout de même.
La voilà qui devient terriblement pâle tout à coup. Ses narines se pincent. Ses yeux se révulsent, ses mains se crispent sur sa poitrine.
Elle pousse un soupir qui n’en finit plus et se renverse sur le dossier de son fauteuil.
Je constate alors que la pierre bleue de sa fameuse bague a basculé comme le couvercle d’une boîte.
Elle a trop lu de romans policiers, la Joconde !
Elle vient de s’envoyer dehors à la romaine.
Et moi je fais un drôle de pif, parole !
Ça n’est pas drôle de passer un long moment en tête à tête avec le cadavre de la femme que vous comptiez faire arrêter.
Il va avoir l’air fin, San-Antonio, lorsque ses potes dauphinois vont se pointer. Eux qui doivent déjà rouscailler parce qu’un zig de Paris vient les coiffer au poteau, ça va être le méchant retournement de situation.
Bon, cette fois, la bande des faux-monnayeurs paraît en tenir un vieux coup dans l’aileron ; seulement, il reste encore un pèlerin qui risque d’enchoser ses aminches… L’autre, l’écraseur, il va être aux abois. Il risque de faire des couenneries. Et des coups foireux, je ne sais pas si vous êtes de mon avis, mais il commence à y en avoir classe !
Ces bandes-là, c’est comme une hydre : tant qu’il lui reste une tête, elle est à redouter. Cette nouvelle métaphore pour vous développer mon savoir qui est illimité !
Je bigle le cadavre de notre charmante femme en bleu. Je ne sais pas quel bocon elle s’est tapée, toujours est-il que son visage devient bleu comme un paquet de gauloises.
Décidément, cette souris était vouée au bleu.
Maintenant qu’elle est clamsée, je me sens un peu moins en renaud après elle, because faut avoir du fiel plein le gésier pour chercher des crosses à un macchabée, même si ledit macchabée vous en a fait roter sur le chapitre de la vanité professionnelle.
Je sais bien que j’ai fini par l’avoir, mais avouez que ça a été laborieux. Un bizarre cheminement à travers cette magnifique région.
Je vous jure : je m’en souviendrai, de ces vacances-là. La prochaine fois, je les passerai à Saint-Nom-la-Bretèche, tout culment… Et si jamais je vois un clébard à l’agonie sur mon chemin, je ferai une grande enjambée pour ne pas lui marcher dessus.
Toute cette amertume remâchée, toutes ces bonnes résolutions prises, je reviens au présent.
Chassez le naturel, il revient à tout berzingue.
Je décroche le téléphone.
— Ici police, je dis à la souris du standard. Il y a un instant, quelqu’un téléphonait ici : pouvez-vous me dire d’où venait l’appel ?
Elle me dit d’attendre un instant. Il ne lui faut pas longtemps.
— Ça n’était pas un appel, mais une demande, dit-elle.
Notez que je préfère ça. De toute évidence, lorsque je suis arrivé, la femme en bleu téléphonait à son complice pour connaître les raisons de son échec. Cela prouve également que l’écraseur ne perche pas loin, puisqu’il était de retour une demi-heure après son attentat.
— Quel numéro était demandé ? fais-je à la Pététeuse.
— Le 256 à Grenoble.
— Ça correspond à quoi ?
— Une seconde…
Je tambourine sur l’écouteur. Par la croisée, je vois arriver une voiture. Elle stoppe devant la porte. Deux mecs en descendent. Ces gars-là, ils iraient dans un bal masqué déguisés en policiers, ils ne se fringueraient pas autrement.
— Allô, dit la grognace…
— J’écoute !
— Le 256 est le numéro de l’imprimerie Steine, rue Gustave-Livat.
— Merci…
Je crois que je brûle… Une imprimerie !
On frappe à la porte.
Avant que j’aie dit d’entrer, mes deux confrères tournent le loquet.
— Vous arrivez un peu tard, je leur dis en guise de salut.
La rue Gustave-Livat est une petite artère silencieuse de la banlieue grenobloise.
L’imprimerie est située au fond d’une espèce d’impasse.
On grimpe deux marches, et on se trouve en face d’une porte de fer, munie de vitres en verre dépoli.
Une sonnette enfouie dans de la poussière avec, écrit dessous : sonnette de nuit.
Читать дальше