— Eh bien, je vous écoute ! brutalisé-je.
Elle reste de marbre.
C’est alors qu’il se produit du neuf et du déraisonnable dans la strass. La porte du labo s’ouvre brutalement et trois messieurs aussi sympa qu’une épidémie de peste bubonique font irruption. Leur entrée est réglée comme une figure de ballet.
Il y a un gros, sanguin et chauve, au cou énorme, que j’identifie à la seconde même comme étant le chef de feu Hans Burger. Et puis deux ouistitis à figure d’ablette malade, qui ne m’impressionnent que parce qu’ils brandissent l’un et l’autre un pistolet mitrailleur.
— Mains levées, tout le monde ! ordonne le mahousse.
Monica hoquette ; plus maître de moi, je me contente de froncer les sourcils. L’un et l’autre cependant nous élevons nos bras. Béru a droit à un coup de latte dans les cerceaux. Il pousse une méchante beuglante.
— Qui c’est-y l’enviandé qui se permet des principautés avec un inspecteur principal ? commence-t-il.
Son regard couleur de fosse d’aisances agitée découvre le regard hostile des pistolets braqués sur lui. Le sens de la réalité réintègre son cerveau ramolli.
— Je vois, fait-il, le chabanais continue !
— Les mains en l’air ! commande le gros homme adipeux.
Et cette fois, le Vaillant se soumet.
— Nous sommes très pressés, révèle le visiteur impromptu.
Il se tourne vers Monica.
— Où est Puck ? Allons, vite !
Monica crispe ses lèvres pour bien montrer au monsieur que lorsqu’elle tient le silence avec les dents, il n’est pas aisé de le lui faire lâcher.
Le zig en a vu d’autres ; des plus réticents et des plus coriaces.
Il fait signe à ses troupes aéroportées de nous emmener dans le laboratoire, c’est-à-dire à bonne distance de la rue.
Tout en cheminant, mains levées, je me rends compte que les pistolets sont pourvus de silencieux. Ces noix vomiques peuvent nous démolir comme des pipes en terre sans que le crémier du coin ait sa jouissance paisible et bourgeoise le moins du monde troublée.
— Je m’excuse, messieurs les policiers, fait avec une certaine courtoisie le gros suifeux. Je n’ai pas l’habitude d’agir ainsi avec les gens de votre profession, mais, je le répète, je suis talonné par le temps et je crois que j’interviens in extremis.
Ayant souscrit aux convenances, il se consacre à nouveau à la pauvre Monica.
— Puck, dit-il, sinon les choses vont aller extrêmement mal pour vous !
Elle ne moufte pas.
L’Adipeux fait claquer ses doigts. L’un de ses aides sort quelque chose de sa fouille. C’est un rouleau de fil terminé d’un côté par une fiche électrique, de l’autre par une sorte de petite lance métallique. L’affreux branche sa fiche dans l’une des nombreuses prises du labo. Puis il darde (comme dirait Frédéric) la lance sur Monica. Elle est d’un beau vert tirant sur le bleu, la pauvre chérie. Mais elle essaie de faire comme les tonneaux : c’est-à-dire bonne contenance [4] Je vous accorde que celui-là est particulièrement mauvais. Mais quand on est pris par le feu de l’action, on n’a plus le temps de feuilleter le Vermot.
. D’un geste de bretteur, le gros sac se fend et pique sa lancette dans le bras de Monica. Elle pousse un cri terrible et s’affaisse.
Le tortionnaire retire sa dague.
— Parlez ! ordonne-t-il.
Elle suffoque, puis peu à peu, retrouve un rythme respiratoire plus conforme aux exigences de son organisme [5] En revanche, ça, c’est bien tourné, hein ?
.
Pendant ce temps, que fait le joli petit San-Antonio d’amour de ces dames ? L’homme qui leur fait connaître l’extase et qui les emmène au septième ciel aussi normalement qu’une agence de voyage emmène des touristes au Musée du Louvre ? Hein ?
Eh bien ! le San-A. adulé, il regarde discrètement autour de soi. Il voudrait bien reprendre les choses en main parce qu’il a horreur de jouer les V majuscules trop longtemps. D’abord, ça fatigue et puis ça finit par être dégradant. Qu’est-ce qu’il avise, sur des rayonnages situés à la hauteur de ses jolies mains levées ? Des flacons ! Une théorie fantastique. Ils sont colorés par les liquides qu’ils recèlent. Et étiquetés soigneusement. Mine de rien, je déchiffre les étiquettes. A moins d’un mètre de moi je repère celui qu’il me faut et qui annonce — « Acide chlorhydrique. »
— Parlez ! répète Bibendum. Vous savez parfaitement qu’il est stupide de vous taire ! Vous finirez par parler ! A quoi bon reculer cet instant, puisqu’il est inévitable ?
Il la travaille par la logique.
Sa lancette braquée, il marche à nouveau sur Monica. Chouette mouvement, qui me permet de reculer d’un mètre pour éviter le sursaut de la pauvre vioque. L’attention de tout le monde — sauf de ma main droite — est braquée sur elle.
La lance électrique n’est plus qu’à quelques millimètres de Monica.
— Cette fois-ci je vous l’enfonce dans l’œil, promet le Salace.
Et on ne doute pas de ses promesses. Buter quelqu’un, l’énucléer ou l’eunuquer, ça ne lui fait pas plus que d’écraser un moustique sur sa fesse.
Ma main droite, pendant ce temps, débouche avec une infinie lenteur le flacon d’acide. Au moindre tintement cristallin, ces foies-blancs découvriront mon petit bricolage clandestin et m’expédieront une décoction de plomb brûlant.
— Décidez-vous, pour la dernière fois, débite le gorille.
— Je l’ai mis dans la barque de plaisance que je possède et qui est amarrée sur la Seine, balbutie Monica Mikaël.
— Le nom de cette barque ?
— L’ Azur ! Elle est peinte en bleu et blanc. Puck se trouve dans une petite cage…
Ça y est, mes fils ! Je l’ai en main, le flacon débouché. Maintenant il s’agit de ne pas rater l’opération, de bien calculer les angles.
Il faut commencer à arroser le mitrailleur de droite, parce que c’est lui qui m’a dans son rayon de seringage.
Le gros type se trouve entre le second mitrailleur et moi.
Enfin, nous verrons. Je me sens calme, paisible, comme si je faisais une partie de pêche au lancer par une belle matinée d’été. Mon geste, j’ai pas à le décider, ma brave main droite l’accomplit toute seule comme une grande.
Il y a un jet jaunâtre. Une giclée d’acide arrive en plein dans la bouille du gars. Il pousse un hurlement de dément et, lâchant sa pétoire, se pétrit le visage en hurlant. Le gros type se tourne vers moi et morfle une seconde distribution de pisse d’âne. Ça fait plaisir de le voir se trémousser en poussant des clameurs d’orfèvre. Il ne me reste plus de lotion démaquillante dans le flacon pour le troisième. Je le regrette d’autant plus que cet enviandé balance le potage à tout va. Je fais un saut de carpe. C’est ma petite amie Monica qui ramasse la seringuée dans son corsage. Elle tousse un coup comme chez le toubib quand il écoute vos soufflets, par exemple elle est dans l’impossibilité de compter dix fois trente-trois ! Elle s’écroule à la renverse au milieu des flacons (comme la lune) et des cornues (gentilles). Son sang glougloute.
Quelqu’un dont à propos duquel je n’ai pas eu le temps de causer, c’est Béru. L’odeur de la poudre et la frénésie de l’action agissent sur sa forte personnalité. Et il est d’autant plus furax, le Gravos, qu’une volée de balles vient de perforer un pan de sa veste de haut en bas. Il n’est plus question de stoppage maintenant. Le costar du jour, c’est dans la poubelle du coin qu’il va finir son éphémère carrière ! Pas vergeot, ce complet à barreaux !
Le Gros plonge, arrache le pistolet vide des mains du tireur et lui fracasse le bol d’un terrible coup de crosse.
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