Du coup, une expression rusée traverse sa physionomie. Monica a l’air ravi de quelqu’un qui découvre avec soulagement qu’un secret qu’il croyait divulgué ne l’a pas été.
— Enfin… Oui.
Je fais un geste désinvolte.
— Poursuivez !
— Son mari a fini par s’apercevoir de la situation.
— De sa liaison avec Hans Burger ?
— Oui, et des projets concernant Puck.
— N’aurait-il pas été prévenu par une lettre anonyme ? hasardé-je.
C’est à des détails pareils qu’on peut mesurer la perspicacité d’un poulardin, mes filles ! Monica rosit, se trouble. J’ai vu juste, preuve que je commence à savoir lire en elle. C’est un être faible. Elle a eu recours à ce moyen inélégant pour essayer de redresser la situation.
— Cela se peut, bredouille-t-elle.
Et, sous mon œil de larynx, elle se trouble comme un verre de pastis sous la pluie.
— C’est même, je crois, ce qui est arrivé.
— Et alors le docteur Baume a fait une scène terrible à sa femme. Il l’a menacée de signaler à la police les agissements de son Jules, n’est-ce pas ?
— En effet.
— Virginie a pris peur. Elle vous a prévenue ?
— Non, c’est Hans Burger qu’elle a prévenu. Moi j’étais venue chez elle comme je le faisais souvent. Elle m’a demandé de réclamer une consultation à Alexandre. Ce que j’ai fait, sans comprendre où elle voulait en venir. A peine me suis-je trouvée dans le cabinet de consultation que Hans est entré par la porte donnant sur les appartements. Le docteur a compris qu’on lui voulait du mal. Il y a eu une brève lutte à laquelle j’ai assisté sans pouvoir intervenir. Mais Burger a fait une prise à Alexandre, par-derrière. Une prise curieuse. Le docteur n’a plus résisté. Lorsque Hans l’a lâché, Alexandre est tombé sur la table d’auscultation. Je pensais qu’il n’était qu’évanoui ; mais en fait il était mort. J’ai cru que j’allais devenir folle. Hans m’a dit de me tenir tranquille. Il m’a même giflée !
Elle se frotte la joue.
— Et puis Virginie est arrivée, qui m’a suppliée de ne rien dire. Tout ça était un vrai cauchemar. Un cauchemar… J’ai fait ce qu’ils ont voulu. J’ai dit à l’assistante que le docteur avait eu une crise… Heureusement, un médecin appelé d’urgence a confirmé. Je pensais que… que…
— Que la police ne saurait rien ? ironiqué-je.
— Heu… oui.
Un violent ronflement nous fait sursauter. C’est l’Eminent qui en écrase avec application. Il produit un bruit de course de hors-bord. Il se tient assis sur un coin de la malle d’osier. Et il a le front appuyé contre le mur.
— Il a profité de votre reliquat de chloroforme, l’excusé-je.
Elle fronce le nez, assez méprisante.
— Ensuite ? impitoyablé-je.
— Cette pauvre Virginie ! élude-t-elle.
Plus pauvre encore qu’elle ne se l’imagine ! Mais il sera temps de lui apprendre, après sa confession, la fin tragique de sa petite camarade.
— Qu’a-t-elle fait, cette pauvre Virginie ?
— Après l’incinération d’Alexandre, elle était joyeuse, vous entendez ? JOYEUSE ! Elle m’a dit que désormais il serait impossible de prouver quoi que ce soit, qu’elle était libre et qu’elle allait partir pour l’Allemagne de l’Est en compagnie de Hans Burger. Elle voulait emmener Puck avec elle. C’est alors que j’ai refusé. Vous comprenez, Puck, je n’ai que lui au monde. Depuis des années, je m’y suis attachée ! On s’attache bien à un chien ou à un chat !
Je donnerais tout ce que vous avez sur votre compte en banque pour savoir ce que c’est que ce damné Puck dont elle me rebat les étagères à mégots ! J’ai beau me poser des questions, je ne me fournis pas de réponse satisfaisante.
— Ben voyons, réponds-je à sa tirade. Vous lui avez donc dit que vous n’étiez pas d’accord ?
— Oui. Je lui ai signifié que tout était fini entre nous. Elle s’est mise dans une rage folle. Elle m’a dit qu’il ne fallait pas aller contre les décisions de Hans. Que lui-même avait des comptes à rendre à ses chefs et que, de gré ou de force, elle emmènerait Puck !
De belles larmes bien rondes coulent sur ses joues fanées.
— Et alors ? insisté-je encore, sans le moindre égard pour ce chagrin plein de noblesse et de dignité.
Impitoyable, votre San-A., mes poules bleues, lorsqu’il est à l’établi. Les larmes des dames ne l’émeuvent plus. Il ne pense qu’à son turf, San-Antonio. C’est un mordu du boulot bien fait. Il suit sa mission coûte que coûte. Sa devise ? « Jusqu’au bout ». Ou bien « Dieu et mon petit doigt » presque kif-kif la devise de la british family, mais qu’importe, malgré Jeanne d’Arc et le Marché commun, on l’aime bien, la famille anglaise. Depuis que nous avons expédié nos kings à nous chez saint Pierre ou chez Plumeau, elle est devenue la nôtre. On la suit partout : aux sacres de Westminster, au derby des psaumes, en vacances, en croisière, chez le photographe ou le gynécologue. On participe à ses soucis, à ses nuits de noces, à ses déboires matrimoniaux, à ses préoccupations domestiques. Quand la Queen renvoie sa cuisinière, ça fournit cinq colonnes à la une de nos hebdos. Quand le Prince change son secrétaire, idem. A ce titre-là, la France fait partie du Commonwealth à part entière, comme disent les journalistes sportifs.
— Et alors ? re-insisté-je.
— J’ai tenu bon.
— Bien qu’elle vous tînt ? insinué-je.
Elle agite ses ramasse-miettes artificiels.
— Oui.
— Que s’est-il passé ?
— Elle m’a téléphoné ce matin pour me dire qu’elle se résignait à me laisser Puck et que le coup était arrangé vis-à-vis de Hans. Néanmoins je me suis méfiée et j’ai caché Puck.
— Vous avez fort bien fait, l’interromps-je.
— Elle est venue me chercher. Elle était d’une gentillesse qui m’a rappelé son attitude d’avant Burger. La perfide ! Elle m’a dit qu’elle avait préparé une série de traitements pour Puck et qu’elle voulait me les remettre pour que je puisse le soigner pendant son absence… Nous sommes donc venues ici…
Un quadrimoteur à réaction cherche son terrain au-dessus de nos têtes. Renseignements pris, il ne s’agit que du Gros qui continue d’en concasser comme un sonneur.
— Et alors elle vous a chloroformée ?
— Je ne me souviens de rien. Elle m’expliquait des choses. Je ne pensais qu’à ce qu’elle me dirait. Et puis, oui : elle m’a appliqué brusquement un tampon sous le nez. J’étouffais. Tout s’est brouillé.
Ses larmes y vont d’une nouvelle tournée.
— Voici toute l’histoire, soupire-t-elle. Vous savez tout.
— Oh ! que non, dévoilé-je-mes-batteries-je. Par exemple, j’ignore ce que vous cachez et qui permettait à ces plaisantins d’avoir barre sur vous. J’ignore également qui est Puck et où vous l’avez mis ! Vous voyez, ça fait encore de la conversation en perspective !
Ses larmes se tarissent soudain comme le verbe d’un représentant de commerce venant de s’apercevoir qu’il cherchait à vendre des gants de boxe à un manchot.
— Ah ! vous… vous ne…
— Non, dear dame. Je ne sais pas. Alors procédons par ordre : qui est Puck ?
Je commence à me traiter de ramolli. C’est mauvais de rompre un charme brutalement. Monica était prise dans le ronron de sa confession. Elle s’embaumait toute seule en débitant son historiette. Et puis, v’là, je la descends en flammes dans le ciel plombé de la réalité. Du coup elle a une contraction cérébrale, comprenez-vous. Elle se reprend, la vioque. Elle sent d’instinct que des secrets, ça constitue une espèce de monnaie d’échange, fût-ce vis-à-vis d’un poulaga. Et elle devient avare des chiens, je veux dire des siens, voilà que je cause auvergnat sous le coup de l’émochion.
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