Elle m’écoute en ouvrant de plus en plus grandement sa bouche, ses yeux et les orifices installés dans son slip.
— Il s’agit de miss Connie Vance, continué-je, demeurant au domaine « Le Bout de Monde », vous connaissez naturellement ?
La gentille postwoman acquiesce.
— Je la vois tous les jours, précise-t-elle, quand elle vient poster le courrier.
— Quel genre de personne est-ce ?
— Très jolie, très gentille.
— Mais encore ?
— Elle est anglaise, je crois.
— Nul n’est parfait, absous-je. Quoi d’autre ?
— C’est la secrétaire d’un diplomate étranger.
— Qui se nomme ?
— M. Konopoulos.
* * *
Et tu ferais quoi donc, toi, petit futé, à ma place ?
Eh bien, moi aussi, imagine.
Sans en changer un iota.
Mais avec la différence que je m’y prends autrement. Tu comprends ?
Ainsi donc, au lieu de téléphoner à la môme Connie pour tenter d’obtenir un rendez-vous, je demande carrément à parler à Son Excellence Konopoulos.
Il m’est répondu que ladite est à Lausanne pour la journée. La voix doit être celle de la secrétaire, vu qu’elle a un ravissant accent anglo-saxoche, et des vibrations à te court-circuiter la moelle épinière. Je réponds que merci bien, je rappellerai plus tard. Et je téléphonais à quel sujet ? m’est-il demandé. Pour lui parler de la piscine couverte que la municipalité de Bonraisin se propose de construire dans un avenir proche, ce qui nécessite des actionnaires, m’hâté-je d’expliquer. Je suis M. Alexandre Benoît, du Conseil Communal. On m’assure, sans grande chaleur, que je ferais mieux d’écrire, Son Excellence étant excrément occupée par l’étang qui coule.
Je déclare que c’est là une belle et bonne suggestion dont je ferai mon profit, et puis je raccroche.
La patronne de l’hôtel de ville [6] En Helvétie, l’hôtel de ville n’est pas la Mairie, mais un véritable hôtel-restaurant appartenant à la localité qui le met en gérance.
, une rondouillarde dame admirablement frisottée et corsetée par le tonnelier du pays, m’a déjà servi mes deux décis d’aigle. Le flacon est de forme gracieuse, le verre minuscule au point qu’il faut se garder de l’avaler quand on a le coup de coude trop fougueux, et le vin a la température idéale, à savoir pas trop frais.
Je le déguste, manière de m’éclaircir les idées. Mais ce qu’il y a de plus délectable pour moi, c’est cette amorce de succès. Ainsi donc, j’avais « su » juste. Konopoulos trempe bel et bien dans cette historiette ! Par quel bout ? Mystère.
Hans Nacht-Weiss travaillait pour lui puisque sa secrétaire lui poste des mandats ! Je brûle, néanmoins ma situasse est précaire, vu qu’on a dû découvrir le cadavre du tueur dans ma turne. Mes collègues suisses vont avoir tellement de trucs à me demander, de procès-verbaux à me faire signer, de confrontations à me faire subir, que je vais être indisponible pendant un sacré bout de moment… Il faut que j’aie une converse avec Marie-Marie, probable qu’elle a dû regagner l’hôtel. Je retourne au biniou-bouffeur de piécettes, près des gogues. Il te gobe la morfible en ponctuant ta mise d’un bruit péremptoire assez désagréable.
Je reconnais la voix bien équipée, harmonieuse et juste de mon hôtesse. Bien que Carnaval fût passé, je travestis la mienne. Demande après Marie-Marie, ma chère fiancée délectable, en empruntant un accent italien qui ferait chialer un morceau de Gorgonzola naturalisé français.
Moi qui m’attendais à de l’effervescence comme fond sonore, je ne perçois, au-delà du ton feutré de ma terlocutrice, que le murmure de la Radio Suisse-Romande qui est, j’empresse de le déclarer, de toute première qualité. Est-ce que, par grand miracle, on n’aurait pas encore trouvé l’occupant de ma salle de bains ?
— Elle est absente, répond la dame. Mais si vous le voulez, j’ai ici son oncle…
Allons, bon, elle me croit toujours dans ma chambre.
— Ce n’est pas la peine, bats-je en retraite, comme on dit dans les romans à prix fixes, T.T.C.
— Justement, ce monsieur est près de moi et insiste pour prendre la communication, fait-elle.
J’ahurise très parfaitement.
Bredouille un allô si ténu, si lumineux que j’aurais meilleur compte de te l’écrire halo, ainsi tu pourrais t’en confectionner une auréole.
Une voix spongieuse, grasse comme le jus de cuisson de quinze andouillettes, grommelle :
— Ici, l’onc’ à ma nièce, qui c’est-il que c’est qui la d’mande, siouplaît ?
Sa Majesté !
— Toi, à Genève !
A l’audition de ma chère belle intonation virile et modulée de fréquence, il égosille :
— Ah ! bon, bravo, c’est tézigue ! Où qu’v’s’êtes, les deux ?
Je ne perds pas le moindre bout de temps en palabres.
— Affrète un bahut et viens me rejoindre à l’hôtel de ville de Bonraisin, dans le canton de Vaud ; ça urge !
Pas lui laisser le temps de rebuffer.
Je raccroche.
Faut-il qu’il ait pris un coup de sang, l’apôtre, pour ainsi sauter dans un avion et se pointer directo à la rescousse. L’honneur de sa nièce lui tient à cœur, faut croire ! Le Gravos interprétant les pères nobles, style Papa Duval, c’est pas déplaisant. En attendant, je me demande ce que maquille Marie-Marie. Pourquoi n’est-elle pas revenue à l’hôtel, ma drôlette ?
Je vais liquider mon vin blanc. Très fruité, léger. Un rêve. Propice à la réflexion. Je me récapitule un peu le toutim. Le costar géant dans une valtouze appartenant à Théodose Mamandhréou, lequel l’a probablement exécuté avant de l’être soi-même ! Marie-Marie et moi victimes d’un attentat au serpent-minute peu de temps après nous en être emparés. Notre agresseur piqué au vif par l’un des reptiles qu’il nous destinait. L’homme était à la solde de Son Excellence Konopoulos, puisqu’il percevait des mandats confortables postés par la secrétaire du diplomate. Lequel possède une samsonite rouge que j’ai cru reconnaître, mais qui, apparemment , ne contient que des flacons. Et le gars à l’imperméable blanc s’est sauvé sans attendre la valise au complet démesuré… Tu parles d’un imbroglio, mon neveu ! Des flashes se succèdent dans mon esprit.
Je suis dans un pot de miel époustouflant. Des reptiles droits sur leurs queues, composent des points d’interrogation vivants.
A quoi rime le vêtement non mettable (contrairement à ton épouse, j’en sais quelque chose !). On le destine à quel étrange usage ? Ça ne va pas être de la sucrette de découvrir les aboutissements, non plus que les tenants, de cette affaire.
La grosse taulière fait ronfler un percolateur qui aurait enchanté Denis Papin.
Et bon, figure-toi que la porte de l’auberge s’entrouvre et qu’une choucarde gonzesse blonde passe la tête par l’ouverture pour mater la salle. Me regarde avec une triste indifférence, regarde la patronne, puis une paire de clients ruraux qui se tiennent face à face, sans boire ni parler, manière d’économiser leurs sous et leur salive, et se retire en fermant la porte, la jolie môme ; ô combien je déplore, tant tellement je la trouve chouette au premier ras-bord.
Mon regard de veau suivant le passage d’un train le long de sa prairie l’accompagne, tout gluant de ce désir qui m’humecte complet dès qu’une jolie fille armée d’un beau cul et de loloches plaisantes me surgit dans la rétine. Je vois la fille regarder de gauche, de droite, puis tout droit, comme une qu’attend quelqu’un. Un quelqu’un qui ne se présente pas.
Elle chemine sur place, si je puis dire. Quatre pas par-ci, quatre autres par-là, retour. Paraît préoccupée et impatiente. Qu’au bout d’un long moment, tu sais quoi ? Je te donne Vincent, je te donne Emile : elle marche à ma voiture, qui est en fait celle de feu Nacht-Weiss, je te le réitère, oublieux comme te sachant, toi que voilà niant sans cesse. D’un geste délibéré, la sublime créature récréative ouvre la portière côté passager et prend place à bord pour attendre. Et moi, Santonio, je me mets à raisonner comme une formation d’instruments à percussion. Je me dis : la fille blonde a reconnu l’auto de Nacht-Weiss . Elle a pensé que son conducteur se trouvait au bistrot, voilà pourquoi elle est venue couler un z’œil céans. Ensuite, elle a décidé de l’attendre près du véhicule. Et comme il tarde (et tardera pas mal encore, me semble-t-il) elle est montée dans la tire pour ne pas se fatiguer. T’admets que c’est logique et cousu de fil noir, non ? Bon, alors je continue. Cette fille devrait être miss Connie Vance. Mon petit doigt qui me chuchote la chose et il n’a pas pour habitude de me bourrer le mou.
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