Je lui souris.
— Ne vous donnez pas cette peine, mon cher maître.
Je lui montre une minuscule paire de pinces logée dans le creux de ma main.
— Je viens de sectionner le fil de votre alarme.
Là, je marque un point, car il perd de son impassibilité.
— J'aime pouvoir discuter sans arrière-pensée avec un interlocuteur comme vous, maître Paulus.
Y a des gens, tu vois naître et croître la fureur sur leur visage comme tu vois arriver un orage tropical au-dessus de la mer. Ça s'assombrit, un souffle puissant agite leurs poils de nez et leurs yeux lancent des éclairs.
Dis, il va pas éclater? Son énorme bedaine paraît contenir des quintuplés arrivés à terme et qui se bousculent devant la chicane.
— Kurt! il glapit, tout en me désignant.
Le porte-coton bondit. Un vrai molosse dressé, les crocs crochetés. S'il te mord, faut que la viande soit arrachée, sinon il peut plus déplanter ses ratiches.
La vélocité du zig, Mamma mia! Il est déjà sur moi. Que juste j'ai eu le temps de virguler mes pinces coupantes dans le carreau de la fenêtre, histoire d'alerter Bérurier.
Déjà, le gorille m'a saisi les bras par-dessus le dossier de ma chaise et me les ramène en arrière au point de les faire craquer.
— Blanc! crié-je.
L'homme de main est un grand pro. C'est Çiva, ce type! Il a six bras! Déjà il m'a rousti mon feu, sans me lâcher d'un iota. J'ai l'impression d'être cimenté sur mon siège.
Le gros Paulus se lève.
— Ne le lâche pas! dit-il.
Il va à sa bibliothèque et fait pivoter un panneau de livres trop dorés pour être lus, dévoilant un réduit de deux mètres sur deux.
— Amène-le ici! enjoint-il.
L'homme à la frime implosée m'oblige à me lever par une double torsion de mes omoplates. Merde, qu'est-ce qu'ils branlent, mes potes! Ce serait le moment de jouer Ruy Blas pourtant! En avançant vers le réduit, je constate qu'il est capitonné, insonorisé et pourvu d'une banquette fixée au mur. Charmante oubliette. Elle doit servir à calmer les partenaires récalcitrants lorsque la discussion capote.
Il décroche son téléphone, pianote, attend peu et dit:
— Paulus! Venez prendre livraison d'un colis qui vous intéresse.
Puis il raccroche. Peu bavard pour un avocat! Nous sommes devant l'entrée du réduit. A ce moment précis, une voix qui a tendance à escamoter les «r» lance:
— Lâchez-le, sinon je fais une bêtise.
Quand je te dis qu'il escamote les «r»: on ne peut pas s'en apercevoir dans la phrase ci-dessus, mais ça donne en tout cas cette impression.
Jérémie vient d'entrer, tenant devant lui une jolie dame blonde par la taille. Il lui braque le canon de son feu sous le menton. Stupeur des deux Autrichiens.
— Je vous ai dit de le lâcher! réitère mon black pote.
— Laisse! fait Paulus à Kurt.
Ouf! j'ai les ailerons complètement paralysés.
Et puis voilà encore du nouveau! Un type en pyjama et robe de chambre surgit avec une pétoire qui a l'air d'être une réplique de cette fameuse grosse Bertha qui tirait sur Paris pendant la Quatorze. Il en pose le canon sur la nuque de Jérémie. Et il dit, en autrichien, mais mon pote comprend:
— Laisse tomber ton pistolet immédiatement, sinon y aura une flaque de sang sur le tapis de monsieur.
Et M. Blanc, amer, jette son flingue par terre. C'est le moment que met Béru à profit pour entrer à son tour dans la pièce qui se met à ressembler à une pièce de Feydeau. Lui, il pense pas, il cause pas, mais il cogne. Sa fameuse manchette de gladiateur de la Villette au cou du larbin pyjamé. Boum! au tas!
Mister Mastard s'empare des deux feux souillant le sol.
— J' croive qu' c' sera tout, annonce-t-il. Y a plus personne derrière moi.
Pour lors, je biche le flingue de mon gorille.
— Tu permets, Gras-Double?
Et je prie maître Paulus et son garde du corps d'entrer dans le réduit. Ensuite je fais pivoter le panneau. Un claquement sec se produit, qui marque la fermeture d'une serrure de haute technicité. Voilà mes deux ex-antagonistes à la niche.
Béru exulte. Parade devant le gars Jérémie.
— Qui est-ce qui l'aurait eu dans les miches sans l'intervenance du gars Bérurier, Niacouais? Le mec qu' j' viens d'allonger, y t' filochait l' train depuis l'escadrin, et toi, bonne pomme, trop occupé à serrer la gonzesse, tu ne t'apercevais de rien, Dégourdi sans maïs!
Je tends l'oreille pour m'assurer que les deux prisonniers ne font pas de ramdam. Mais le réduit est si parfaitement insonorisé qu'ils pourraient y tirer un feu d'artifice et y organiser un défilé de majorettes sans qu'on en perçoive le moindre écho depuis le burlingue.
Une qui est dépassée par les événements, c'est la brave Heidi. Elle se croit dans un film ricain, la mère!
— Selon toi, murmuré-je, à qui a-t-il téléphoné?
Elle hausse les épaules.
— A l'équipe des Bulgares? insisté-je.
— Il me semble, en effet, ne disconvient-elle pas.
— Donc, ils vont s'amener ici. Ce qui fait que, comme je souhaitais les rencontrer, je vais être comblé. En tout cas, je te remercie pour ton comportement: tu as été réglo.
— Je trouve qu'avec vous autres, la vie est plus marrante, répond simplement la douce enfant.
Je flatte sa croupe et m'approche de la dame blonde que ceinturait M. Blanc. Beau châssis, pouliche de race. Une dénoyauteuse de burnes patentée! Comment qu'elle doit lui faire gicler la cervelle, au cher maître!
— Elle écoutait depuis la porte de sa chambre, m'explique Jérémie. Je l'ai ceinturée par surprise.
— Il va falloir la neutraliser, ainsi que le téméraire endormi par le Gros. Et puis veiller à ce que les autres occupantes de cette crèche se tiennent peinardes. Allons, les mecs, grouillons, j'attends du monde!
— Les voilà! annonce M. Blanc, embusqué derrière une fenêtre éteinte.
Noir dans le noir, il fliquerait l'Homme invisible pour peu que celui-ci eût gardé son préservatif.
— Tu es sûr?
— Complètement: la bagnole vient de s'arrêter devant la maison.
— Combien sont-ils?
— Trois: une fille et deux types.
— Ils se présentent ici à trois?
— Non: un des gars reste au volant.
— Parfait! Mettons-nous en place.
Et c'est le branle-moi le con bas, comme dit Béru!
Tout se joue sur la confiance que je place en Heidi. Faut être gonflé pour lui laisser la bride sur le coup après ses arnaques préalables; mais il semblerait que nos séances amoureuses, au Gravos et à moi, l'aient complètement gagnée à notre valeureuse cause. J'ai idée que si on parvient à s'arracher à cette gadoue, il faudra que nous l'emmenions avec nous, car elle risquerait de ne jamais devenir centenaire dans son bled!
Elle descend répondre au discret coup de sonnette. Avec Jérémie, on s'accroupit chacun derrière les deux canapés du salon, tenant notre feu par le canon pour n'utiliser que sa chère crosse contondante.
Si Heidi nous bite, on l'aura dans l'oigne, ainsi planqués. Sinon, tout devrait se passer comme dans un conte de Nous Deux.
Quant à Béru, une fois encore il est «d'extérieur» car j'ai prévu la probabilité que l'un des arrivants reste dans la bagnole.
La porte s'ouvre. J'entends Heidi saluer les arrivants brièvement.
— Monsieur, madame…
Puis elle ajoute:
— Si vous voulez bien me suivre.
Nul chuchotement, tout s'enchaîne rapidos. Des pas qui se rapprochent. La porte du salon s'ouvre, Heidi actionne un commutateurs.
— Si vous voulez vous asseoir, maître Paulus vient tout de suite!
Je lis les ombres sur la moquette. L'homme se laisse choir pile devant Jérémie. La gonzesse, surexcitée sans doute, est restée debout et se déplace dans la pièce, cette conne! Elle examine les tableautins Dix-septième accrochés aux murs. La voilà qui va contourner le canapé et m'apercevoir. Jérémie a-t-il réalisé? Oui, j'espère. Faut qu'il se paie le mec dare-dare! Il est fabule, ce Noir, car il lit mes pensées, je te jure! Je perçois un coup sec, qui sonne le creux. Alors je bondis, revolver au poing (je l'ai repris par le bon bout).
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