— Lève tes pattes, connasse! hurlé-je à la fille.
Là, elle est bichée au dépourvu. Si elle trimbale une arme, elle a dû la carrer dans sa culotte, car elle conserve les mains libres. Je bondis par-dessus mon canapé et fonce sur elle. Elle veut battre en retraite, mais c'est l'instant que choisit Heidi pour rouvrir la porte et, kif dans un sketch comique, la blonde se pète la frime contre le montant. Ça raisine! L'aveugle. Moi, no pitié: taquet au menton pour l'endormissement. C'est devenu rituel dans nos rangs. Le somnifère de poing. Tchloc! Une patate justement appliquée et «bonsoir les petits». Elle commence à en avoir l'habitude depuis notre coup de force au gymnase.
Jérémie va s'emparer d'un rouleau de corde que nous avions préparé sous un pouf. Il entreprend de saucissonner la coterie pendant que je vais mater les événements extérieurs.
De ce côté-ci, faut pas se plaindre: ça baigne! Et de la manière la plus simple qui soit. Figure-toi que le Dodu qui guignait depuis la charrette d'Heidi est descendu et qu'il s'approche de l'autre bagnole. Il tient sa brème à la main. Y a écrit «Police» dessus et ce mot est quasiment international. Excepté le japonais, le chinois, le sanscrit, le zanzibarien et le sourd-muet, il s'écrit presque partout de la même façon.
Avec autorité, il toque à la vitre du conducteur et plaque sa carte dessus. Puis il fait signe à l'autre de déhotter, ce que fait le gars sans défiance. Coup de tronche béruréen. Ecroulement. Sa Majesté vient pousser la porte enfermée tout en coltinant sa victime par le colback. Bientôt, nous opérons notre jonction au salon. Il a le chauffeur sur les épaules. S'en déleste d'un mouvement de meunier.
— Tu me feras un paquet de çu-là aussi, c'est pour offrir, dit-il à M. Blanc, lequel en terminait avec son propre client.
DESSINE-MOI UN PROJET DE FIN
POUR CE LIVRE
À LA MORDS-MOI LE NŒUD
Dans la vie, c'est toujours l'inattendu qui se produit. Et c'est à cause de cela qu'elle parvient à nous être supportable.
Ainsi, tu vois, dans ce coup de Trafalgar que nous opérons chez M eKarl Paulus, il existe un personnage que je n'ai point encore vu et à côté duquel je serais passé sans m'y attarder, nonobstant la môme Heidi. Il s'agit de la légitime du maître.
A ma demande, mes sbires l'ont neutralisée dans sa chambre, mais elle émet des plaintes qui attirent l'attention de notre nouvelle alliée. La veuve toute fraîche de Conrad va aux nouvelles, assiste la grosse dame impotente et revient beaucoup plus tard, alors que nous sommes en pleine conversation avec la dernière fille du fameux trio bulgare.
Cette dernière, c'est coriace et bouche cousue. Parler? Fume! Tout ce qu'elle m'apprend c'est qu'on a retrouvé le cadavre de la Swoboda sous le monceau de gravier. Un clodo a alerté les flics. Elle ne me révèle la chose que pour me traiter d'assassin. Sinon, elle joue le grand air de La Muette, ce qui me chagrine car des lueurs incertaines commencent à marquer l'horizon. Dans une plombe il fera jour. Nous devrons déguerpir et alors ce sera l'hallali! Puis la curée! Non seulement nous aurons les pandores sur les endosses mais, de surcroît, tout le Mitan viennois, mobilisé par M ePaulus. Cette nana, Béru a beau la houspiller selon ses méthodes éprouvées, elle reste claquemurée dans sa haine comme dans la plus inexpugnable des citadelles.
— Faut donc qu'j'vais la découper en morcifs? s'enrogne Pépère.
Je ne réponds rien. Je pense à Félix qui me paraît perdu à jamais pour nous, à Toinet qui roupille chez la môme Heidi, tout seulâbre, à la merci d'une intrusion de nos ennemis. Je pense à notre sécurité compromise. Je pense à m'man qui repose chastement dans son lit d'Abano en attendant l'heure de se faire tartiner de boue chaude. Et puis je pense à la vie dans son ensemble, grinçante et décevante mais, comme la démocratie, préférable à toute autre forme d'inexistence!
L'entrée de Heidi me réagit.
Elle m'adresse un geste d'appel. J'y réponds.
Au lieu de s'expliquer, elle me guide au sous-sol. On traverse une cave à vin, sublimement équipée et approvisionnée, avec un régulateur de température, des casiers de ciment étiquetés. Des noms français chantent de-ci, de-là. Noms de bordeaux, de bourgognes. Des rouges, des blancs. L'Alsace, la Touraine! Le Jura et son Château Chalon!
Elle traverse le vaste local. Vachement médiéval de tempérament, le maître raffole des portes secrètes, des parois pivotantes, des oubliettes en tout genre car, tout au bout, il y a un vieux pressoir de bois, très ancien. Quand tu tripatouilles au bon endroit, il s'écarte, laissant apparaître une ouverture. Par cette ouverture, on aperçoit une chambre des tortures telle qu'en rêvent les bourreaux nostalgiques du Moyen Age.
— Comment as-tu découvert cela? m'inquiété-je.
— M mePaulus. Elle hait son mari qui lui a fait subir les pires humiliations et m'a révélé l'existence de cette pièce.
J'entre pour un examen sommaire des lieux.
— Eh bien, voilà qui risque de faire avancer les choses, dis-je.
Nous voyez ci, accrochés, cinq, six… écrivait François Villon.
Note que ça ne ressemble pas au gibet de Montfaucon. Beaucoup plus moderne malgré ses archaïsmes. Néanmoins, ils sont là, accrochés, cinq… Pas six. Il y a M ePaulus, son gorille, la fille bulgare et ses deux sbires. Drôle de tableau, mon gars! Imagine que chacun des personnages que je viens de citer est suspendu par un pied. Une boucle d'acier enserre sa cheville. Un filin coulissant sur une poulie a permis de les haler, lequel filin est tiré grâce à un moteur électrique. Alors donc voici nos gens, la tête en bas, leurs cheveux touchant presque le sol.
Je prends la parole en chleuh:
— Le marché est simple! Je veux récupérer le vieil homme que vous avez kidnappé, puis embarqué pour une destination inconnue. S'il ne m'est pas rendu dans l'heure qui suit, nous vidons les lieux et prévenons la police et la presse. M ePaulus aura à leur expliquer comment il se fait qu'une salle de torture a été installée dans le sous-sol de sa maison et je crois, en outre, que sa digne épouse aura d'intéressantes révélations à faire. Nous assisterons à la fin d'une belle carrière. En outre, il sera fortement question d'un certain Bulgare.
Le sang commence à leur débouler dans le cigare. Je vais m'asseoir près de la gonzesse, à même le sol.
— Ecoutez, ma poule, lui fais-je. Vous ne me croirez probablement pas et cependant c'est la vérité que je vais vous dire. Une flopée de gens sont déjà morts à cause d'un stupide malentendu. Le vieux type ne sait rien de ce que vous croyez, et le médecin décédé près d'Atlanta ne savait rien non plus. Et moi je ne sais rien. Tout ce que j'ai compris, c'est qu'il se passe un coup foireux aux U.S.A. concernant le virus de la variole. Des innocents ont mis le nez dedans et ça s'est terminé en caca-boudin.
Et puis je me tais. Ne reste plus que d'attendre. Je prends mes troupes à l'écart.
— Jérémie et Heidi, fais-je, soyez gentils: allez réveiller Toinet et ramenez-le ici, car nous allons devoir déguerpir au petit matin. Toi, Béru explore les lieux et vois si tu trouves une idée pour nous permettre de quitter Vienne sans attirer l'attention.
— Et ta pomme, tu vas faire quoi t'est-ce? grogne le Mammouth.
— L'essentiel, réponds-je. Comme toujours!
C'est l'un des hommes de la fille qui s'affale le premier. Faut dire que l'instant est dramatique. Ces gens suspendus par un pinceau sont à bout de résistance. Ils poussent des plaintes déchirantes qu'heureusement l'insonorisation de la salle absorbe.
— Je ne peux plus! Par pitié! Par pitié! fait-il.
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