Georges-Jean Arnaud - Haut-vol

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« — Si nous attendons la nuit, nous sommes perdus. Les rebelles sont des spécialistes de la jungle. Ils ne nous laisseront aucune chance.
Maung soupira :
— Que proposez-vous ?
— De rejoindre la piste. La mitrailleuse couvrira notre départ. Nous foncerons vers la route. C’est notre seule chance. »

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— Clifton, reste tranquille et ferme ta grande gueule si tu veux t’en sortir ! J’ai perdu mon œil au combat…

— On le dit ! articula difficilement son compagnon.

— Salaud !

Mais cette fois la main de Clifton happa le poignet de l’Allemand et le tordit. Ludwig dut pivoter sur lui-même, et d’une bourrade, l’Américain l’envoya contre la jeune femme. Marsch s’affala contre le siège, le visage décomposé, l’œil injecté de sang.

Il allait se ruer sur Clifton quand la voix calme de Sara l’immobilisa.

— Restez tranquille. Il a raison. Nous avons besoin de lui.

Clifton pilotait, un sourire goguenard sur les lèvres. Ludwig hésita puis renonça. Mais il savait qu’il tuerait Clifton. Il avait cru vivre aux côtés d’un ami pendant dix ans, et il découvrait un être inaccessible, méprisant.

— Vous pensez aux deux gardes ?

— Je vais voir.

Il arma son Colt et le glissa dans sa poche. Il entrouvrit lentement la porte de communication. Tamoï se penchait sur son collègue avec inquiétude. Il releva la tête et croisa le regard de Ludwig.

— Mon ami ne se sent pas bien, dit-il lentement.

— Le mal de l’air ?

Mais il restait à distance.

— Je ne crois pas, dit Tamoï. Il a bu tout le whisky que vous lui avez offert.

— Il n’a pas l’habitude ?

— Peut-être pas.

Le costaud sortit dans l’allée et s’avança sans aucune hâte vers Ludwig. Ce dernier sentit son front se couvrir de transpiration. Il avait la main dans sa poche, mais Tamoï avait la sienne sur la crosse de son arme.

— Je ne comprends pas bien, dit le Chinois. Pourrais-je voir mister Clifton ? C’est lui le chef de bord, n’est-ce pas ?

Marsch grimaça :

— Nous sommes à égalité tous les deux. De plus il pilote et ne peut pas être dérangé.

Tamoï doutait encore. Il n’était pas certain que ce soit l’absorption du whisky qui ait rendu son compagnon malade. Il ne liait pas cet incident avec le changement de direction. Ludwig songeait avec horreur que c’était la seule occasion que le destin lui laissait. Il devait abattre Tamoï maintenant, tant qu’il n’était certain de rien.

Tsin gémit. Il n’était pas complètement endormi et c’était ce qui laissait son compagnon dans l’embarras. Une perte de conscience soudaine l’aurait beaucoup plus alerté.

— Je vais lui tirer une balle à hauteur de la poitrine. Et puis je le pousserai vers la porte, pensa Ludwig. Je ne peux pas faire autrement. Lui me tirera dessus au moindre signe suspect, et je ne peux pas le provoquer à mains nues et l’assommer simplement.

Dans le poste de pilotage, la jeune femme surveillait Clifton. Sa main se crispait sur la crosse de l’automatique. Lui ne s’occupait que de son travail. Elle posait sur lui des yeux anxieux, appréhendant et souhaitant à la fois qu’il se retourne. Elle avait refermé la mallette aux liasses et l’avait déposée à côté d’elle. De sa main gauche elle prit le paquet de cigarettes qu’il lui avait donné au début du voyage et en prit une. Elle craqua une allumette. Il put voir la petite flamme naître et mourir au-delà du pare-brise, comme un signal amical.

Philip se retourna et lut une sorte de désespoir dans les yeux sombres de Sara.

— Ne craignez rien, je ne vais pas abandonner les commandes pour vous désarmer. Marsch est dans la carlingue ?

Il n’avait pu entendre leur conversation. Il ne savait pas que son compagnon était en train de se débarrasser des deux gardes.

— Il faut qu’il me donne le point.

Sara ne répondait pas. Une boule paralysait sa gorge. Philip lui jeta un dernier regard avant de reprendre sa position.

— Vous ne réussirez pas, dit-il d’une voix nette.

— Pourquoi ?

— Parce que je m’y opposerai. Le général Nangiang arrivera à Bangkok. Je connais Ludwig. Il ne vous sera pas d’un grand secours.

Puis il reprit :

— Je n’essaie pas de vous désunir. Vous constaterez rapidement vous-même que vous avez misé sur un mauvais cheval.

Enfin elle put parler.

— Cet argent ne vous intéresse pas ?

— L’argent m’intéresse, mais le général doit arriver à Bangkok, c’est tout ce que je sais. Je recevrai vingt mille dollars pour cela, et c’est un bon prix.

— Vous ne comprenez pas pourquoi je fais ça ?

— Si. On a dû vous dire que, pour vivre dans le sud asiatique, il fallait énormément d’argent, et vous vous êtes hypnotisée sur cette mise en garde. Mais il y a beaucoup de femmes aussi jolies que vous qui vivent heureuses et avec peu d’argent.

Ce fut comme s’il l’avait blessée. Elle se rebiffa.

— Je ne sais pas ce que c’est que le bonheur. On ne m’a pas donné l’occasion d’en connaître la moindre parcelle. Ma mère ne vivait que pour ses souvenirs, dans l’affolement que lui donnait le nouveau régime. Le bonheur c’était de trouver quelques épluchures de plus que la veille, et des brindilles pour les faire cuire. Parce que ma mère avait été aisée sous l’ancien ordre, elle n’avait plus le droit de manger. Et comme ses parents avaient jugé bon de lui mutiler les pieds pour en faire une fille de bonne famille, elle n’avait plus que moi pour vivre. Et tous les jours, c’était un peu plus difficile, et j’attendais avec angoisse le moment où, à bout de souffle, elle mourrait.

Il ne comprenait pas tout, mais les mots le frappaient.

— La chance a voulu que le général se réfugie dans le même village que moi, à Palawbum. Vous ne vouliez pas que je la laisse passer, quand ce délégué chinois est venu me rendre visite un soir ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?

— La même chose certainement, murmura-t-il.

Il avait cette mallette pleine de moitiés de billets. Slade m’a certifié qu’ils étaient authentiques. Je lui ai remis cinq mille dollars et je lui enverrai le reste quand je le pourrai.

Clifton resta silencieux. Il se demanda ce que devenait Marsch.

Ce dernier, appuyé contre la porte, sentait que Tamoï se rapprochait lentement de lui. Le garde ne voulait pas tirer, de crainte d’alerter Clifton. Il ignorait que ce dernier était lui-même sous la menace d’une arme.

Marsch appelait à son aide tous ses désirs de meurtre. Combien de fois avait-il senti l’envie de tuer lui monter au cerveau, exorbiter son œil unique ? Et là, il ne pouvait tirer sur cet homme jaune, qui le regardait avec cette même envie dans le regard.

— Il vaudrait mieux appeler mister Clifton, dit encore Tamoï. Il pourra peut-être quelque chose pour mon camarade.

— Je peux l’examiner, dit Marsch d’une voix étranglée.

Tamoï hocha la tête d’un air dubitatif. L’Allemand fit un pas en avant, puis deux. L’homme recula à son tour. Ils se rapprochèrent de Tsin et du général. Celui-ci avait les yeux ouverts et les regardait.

Marsch tira son arme et appuya deux fois sur la détente. Tamoï, surpris, lâcha son arme, porta une main à sa poitrine, tomba lourdement. Du pied, l’Allemand expédia au loin l’énorme revolver.

Le Chinois n’était pas mort. Il roula brusquement en avant, encercla les jambes de Ludwig qui se cramponna à un fauteuil. Prenant son arme par le canon, il l’abattit sur la nuque épaisse de Tamoï. Il dut recommencer pour que le Chinois lâchât enfin prise.

L’Allemand haletait et son visage était mouillé de transpiration. Il s’essuya de sa manche, glissa son pistolet dans sa poche, croisa le regard du général. Nangiang le considérait avec surprise. Il ne comprenait certainement pas ce qui venait de se passer.

Titubant un peu, Ludwig alla chercher les courroies de cuir servant à arrimer les caisses dans la soute. Il revint attacher Tsin qui dormait profondément depuis quelques minutes. Il le fit tomber dans la travée et le laissa là.

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