— C'était pas un marrant, ton Révérend !
— Aussi eut-il droit à une sacrée levée de boucliers, et Marie-Antoinette exigea du roi qu'il lui flanque ses huit jours !
« Parallèlement, notre brave Louis avait reçu la visite d'un dénommé Franklin, sujet américain, venu dans notre pays pour transmettre un S.O.S. car le télégraphe n'existait pas. En effet, les Ricains voulaient se débarrasser du joug anglais et ils comptaient sur nous pour leur prêter main-forte. Tout au long de notre histoire, quand un peuple quelconque a voulu chercher du rébecca aux rosbifs, c'est chez Durand qu'il est venu carillonner. Une fois de plus, on réagit bien et la France généreuse lève une armée commandée par La Fayette pour libérer le cher peuple amerlock. Le marquis s'acquitte magnifiquement de sa tâche et les English regagnent leur île. La nation américaine est née ! De là date cette indestructible amitié entre nos pays. Amitié qui survit envers et contre tout, malgré les dettes de guerre, de Gaulle et les films d'Hollywood.
« Mais si on arrange les affaires des autres, les nôtres carburent plutôt mochement. Marie-Antoinette, devant l'incapacité totale de son mari, gouverne. Elle est bête et coquette, elle fait du gâchis. On la surnomme Madame Déficit. Dans son genre elle réussit l'exploit de faire l'unanimité. Mais elle la fait contre elle ! Le peuple la hait ! Les seigneurs la détestent et organisent des machinations pour la discréditer ; telle par exemple l'affaire du Collier… »
Je m'interromps car le Gros vient de stopper son courant d'air à roulettes devant un immeuble neuf. Nous nous rendons chez un certain Bobichard. Il crèche au dixième étage dans un appartement panoramique d'où l'on a une vue imprenable sur les usines Renault et les gazomètres d'Issy-les-Moulineaux. Une bonne ravagée nous ouvre. Monsieur est en voyage. On s'en tamponne, vu que c'est le jeune homme de la maison que nous sommes venus vister. Il fait son gros dodo, le pauvre lapin. Je demande à la soubrette d'aller le réveiller. Pendant ce temps, nous poireautons dans un salon meublé uniquement avec des fauteuils de dentiste. C'est le nouveau style, le style Çanavéral. Le siège épouse la forme du corps. Tout est prévu, jusqu'à l'arrondi du bras pour tenir sa cigarette. Des mégotières sur tiges orientables poussent un peu partout sur la moquette, champ de tulipes lunaires. Sur une table roulante on voit encore, dans des assiettes, des reliquats de toasts et de petits fours. M'est avis qu'il y a eu java cette nuit dans la carrée. Béru, à bout de tentation, se lève et va rafler une poignée de toasts.
— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-il en me montrant sa provende.
— Des œufs de lump, mon chéri.
— Et c'est quoi, des œufs de lump ? s'inquiète le Vorace.
— Ce sont, lui expliqué-je, des plombs de chasse qui ont le goût de hareng et dont les bourgeois se servent pour faire des toasts au caviar.
Satisfait, il les croque à beaux chicots et, le groin plein, déclare en postillonnant ses plombs :
— Tu allais causer de l'affaire du Collier au moment où qu'on est arrivé. Vas-y pendant que notre ouistiti se fringue.
J'y consens.
— Une ténébreuse affaire, Gros. Les éléments ? Un collier appartenant à de célèbres joailliers parisiens et valant une fortune.
« Le cardinal de Rohan amoureux de la reine. Une femme cupide et intrigante : Madame de La Motte ! »
— Joli nom pour une gourgandine, apprécie le Goinfre au passage.
— Les joailliers avaient proposé le collier à la reine qui en avait très envie mais ne pouvait l'acheter, because les finances royales étaient raplaplas. Cela avait donné l'idée à la mère La Motte de placer un coup fourré de grande envergure. Elle connaissait l'amour du cardinal pour la souveraine. Amour impossible, Maire-Antoinette ne pouvant pas encadrer le prélat même quand il passait en lever de rideau à Notre-Dame. Elle fit croire à cette patate de Rohan qu'il pourrait s'embourber Madame Louis XVI s'il l'aidait à acheter le collier. Rohan, bon pigeon, marcha dans la combine, il négocia l'opération et avança le fric du premier versement. Dame La Motte bichait comme une poule devant la boîte à asticots d'un pêcheur endormi. Tu penses, elle avait le collier, sa fortune était faite !
— Parce qu'elle l'avait pas refilé à Marie-en-toilette ?
— T'es louf, Gros ! Tes rouages se coincent ou quoi ? Je t'explique que c'était un monstrueux coup d'arnaque.
— Et comment ça s'est terminé ?
— Mochement. A la seconde traite, les bijoutiers qui ne voyaient rien venir sont allés faire du circus chez le cardinal. La pauvre Éminence en a eu sa calotte qui a failli prendre feu. Elle n'avait plus un kopek et ne s'était pas fait la Majesté, triste bilan ! Flairant du louche, les marchands de cailloux ont couru chez le roi. Loulou a ordonné une enquête et Madame de La Motte a été arrêtée. Seulement, au cours du procès, pas folle, elle a chiqué à la ténébreuse. Le côté « je sais ce que je sais », tu mords le cinoche ? Le peuple s'est mis à chuchoter que la reine était bel et bien mouillée dans ce coup-là et ça n'a pas réparé le standing en haillons de l'Autrichienne.
Un lavedu en robe de chambre mauve, entre, sourcils froncés. C'est un jeunot d'une dix-neuvaine d'années, avec le teint blafard, des boutons éclairés au néon plein le menton, et la coupe de cheveux Beatles.
Il nous enveloppe d'un regard aussi sombre qu'un enterrement.
— Messieurs ? grince-t-il.
Comme c'est au Gravos de jouer, je lui laisse prendre l'initiative des opérations. Sa majesté finit l'ultime petit four du plateau, sort sa carte de flic en la décorant au passage de crème chantilly et annonce :
— Inspecteur principal Bérurier, et voici mon adjoint, le commissaire San-Antonio.
Un peu insolite comme présentation. Pourtant le dénommé Bobichard Jérôme n'y prend pas garde.
— La police ! se récrie-t-il, comme dans les romans de Madame Lacrima Christie.
— Textuel ! riposte le Gros. Vous avez bien une Triomphe rouge, mon petit gars ?
— Oui, mais…
— Faites pas le mouton, mon petit gars, et causez-nous plutôt de votre emploi du temps d'hier.
Béru s'épanouit. Il aime jouer les grands inquisiteurs devant moi. Il croit m'épater et il se dilate comme le bœuf qui se prenait pour une grenouille.
— Mais, re-bêle et se rebelle le Jérôme Bobichard, je me demande de quel droit vous…
— Vous demandez rien, mon petit gars, ça risquerait de vous faire chauffer le ciboulot. Contentez-vous de répondre à mes questions. Qu'avez-vous maquillé hier, disons entre quatre et six heures ?
— J'étais au cinéma.
— Et votre bagnole, mon petit gars, elle y était aussi ?
— Je ne me suis pas servi de ma voiture hier ! déclare avec vigueur le fils à son papa.
Ça me fait tiquer. Pourquoi le jeune homme a-t-il affirmé cela aussi précipitamment ? Et surtout avec tant de force ?
— On peut la voir, cette chignole, mon petit gars ? s'enquiert le Monumental d'une voix faussement doucereuse…
— Mais, oui…, bredouille Jérôme Bobichard. Si vous me permettez de passer un costume, je vais vous conduire jusqu'à mon garage.
Le Gros permet. Lorsque le garçon est sorti, il me pousse du coude.
— J'ai le renifleur en effervescence, San-A ! me confie le Sagace.
« Ce jeunot ne m'a pas l'air franco. C'est le genre zoisif qui se passe des crèmes de beauté sur la vitrine et qui se parfume à la Fougère ou au Sirop des Vosges. Je m'ai laissé dire que dans la haute, ils prennent des bains de nouilles pour s'adoucir la peau. Tu crois que c'est vrai ? »
— Sans doute, le satisfais-je.
— Je me demande bien comment qu'ils font pour vider la baignoire ?
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