— Tu m'as déjà fait la même réflexion dans un autre bouquin, Gros, le sermonné-je, évite de te répéter, ça fait mauvais genre !
Le Triumphateur revient, superbe dans un costar en soie sauvage bleu ciel.
— Je tiens à vous prévenir, nous dit-il, que mon oncle est diplomate.
Il a repris du poil de la bébête, le boutonneux.
— Faut pas faire de complexe, le rassure Béru, le mien est garde-barrière et ça ne l'a pas empêché de faire huit gosses à sa femme malgré le passage des trains.
Puis admirant son petit suspect, il déclare :
— Ma parole, vous êtes beau comme la Belle Ferroviaire dont au sujet de laquelle Léonard Vingt-Six a peint la Joconde, mon petit Gars, s'embrouille l'Éduqué. Allez, en route. Il est loin, votre garage ?
— Au sous-sol.
Nous empruntons l'ascenseur. Tandis que cette magnifique réalisation des réputés Roux et Combaluzier nous fait perdre de l'altitude, Bobichard me dit :
— Mon oncle le diplomate est consul de France en Hollande !
— S'il aime les tulipes, fi ne pouvait pas souhaiter un meilleur poste, admets-je. Et puis les Hollandais sont des gens si merveilleux. Conquérir la mer, dites donc, c'est un exploit ! J'ai idée que le jour où ils voudront organiser les jeux olympiques de ski ils se fabriqueront un petit Mont-Blanc et qu'ils cultiveront l'edelweiss pour changer.
Écœuré et vaguement désemparé, le « petit gars » nous drive jusqu'à son box. Là, se trouve une jolie petite Triumph dernier cri.
En l'apercevant, Béruyéyé fait la grimace et me distille dans les écoutilles :
— Inscrivez pas de chance, Mec. Elle a pas de bandes blanches…
Pourtant il fait l'exploration du véhicule d'un air docte afin de sauver la face. Le petit crevard le mate d'un œil évasif. Sa Majesté regarde à l'arrière du véhicule et découvre — ô ironie — un bouquin d'Histoire consacré à la Révolution Française. Le hasard n'est pas croyable lorsqu'il se met à faire du zèle.
Radouci, le Mastar feuillette l'ouvrage.
— Vous vous intéressez à l'Histoire de France, mon petit gars ? questionna-t-il d'une voix aussi moite que la flanelle d'un terrassier.
— Je suis bien obligé, puisque je prépare une licence, riposte l'interpellé.
Bérurier approuve. Pour lui, l'affaire est classée : y a maldonne, un futur licencié d'histoire ne saurait être l'auteur d'un hold-up.
— C'est bien, déclare mon compère. Faut piocher dur, mon petit gars. L'Histoire, y a que ça. Quand on pense à tous ces potes en tas qui se sont succédé les uns derrière les autres à la suite pour édifier la France, on se sent tout petit petit.
Pendant que le Gravos vaporise ses compliments, je m'installe au volant et j'actionne le démarreur. Ça tourne rond. Gentil moulin. Mais voilà que le San-Antonio convalescent devient brusquement songeur.
— Jérôme, fais-je, vous n'avez pas utilisé votre voiture hier, dites-vous ?
— Non, elle n'a pas quitté son box.
— Quand l'avez-vous sortie pour la dernière fois ?
— Avant-hier.
— Sûr ?
— Absolument certain. Je vous le jure !
— Dis voir, Béru, il pleuvait hier en fin d'après-midi, n'est-ce pas ?
— A seaux ! affirme l'Enflure qui a de la mémoire et un sens hardi de la métamorphose.
— Et avant-hier ?
— Non ! Beau soleil… Un temps de printemps…
Je sors du véhicule et je marche sur le petit crevard en soie sauvage.
— Mon petit gars, parodiébérus-je. Vous avez sorti votre voiture hier. Pas la peine de nier !
— Je vous jure que non !
Le Mastar ne peut pas se contrôler. Son côté impulsif, c'est ce qui fait son efficacité. Il file une mandale bien à plat sur les joues boutonneuses de Jérôme.
— Jure pas quand on te le demande pas, mon petit gars ! avertit le Gros.
Puis, à moi, du ton blasé qu'il sait prendre pour se faire expliquer ce que son cerveau microscopique ne lui permet pas de concevoir :
— T'as des indices, Mec ?
— Yes, Monsieur l'inspecteur principal. Lorsque j'ai mis le contact, l'essuie-glaces de l'auto s'est déclenché, car il était resté branché. Conclusion, le jeune daim que voilà est entré dans son garage alors qu'il pleuvait à tout va et il a coupé le contact avant de stopper les essuie-glaces.
Je me penche à l'avant de la voiture, de manière à amener mon regard investigateur (mais néanmoins velouté, surtout lorsqu'il vagabonde dans le corsage d'une dame) au niveau de la carrosserie.
— Tu ne vois pas, ces deux traînées rectilignes sur la carrosserie, Béru ? Afin de déguiser un peu sa tire, Monsieur y avait collé deux bandes de papier adhésif. Pas bête comme détail. Ça frappe l'œil du témoin éventuel. Mais il a eu beau passer l'éponge sur son capot, la colle du papier a laissé des traces.
Il bondit sur le flageolant Bobichard et le soulève par les revers de son fragile costar.
— Espèce de petit gredin ! aboie le Molosse. Au lieu de préparer sa patente d'histoire, ça veut jouer les truands ! T'as pas honte… dis, voyou ?
Une heure plus tard nous sommes de retour à la Grande carrée. Le petit minable ne veut pas reconnaître les faits malgré les indices accablants.
— Laisse-moi le travailler au corps, me dit le Gros. Je lui ferai cracher le bidule et faudra bien qu'il me cause de l'endroit où qu'il a planqué le fric.
Je laisse ces messieurs en tête à tête et je descends déjeuner au troquet du coin où Pinaud est en train de faire une partie de dames avec un collègue de la Mondaine. Poignées de phalanges. Comment-ça-va-pas-mal-et-toi d'usage.
Tandis que les acharnés du pion se mijotent des coups vicieux et qu'on me mijote une blanquette de veau à l'ancienne, je pense à ce bêta de Bobichard. Qu'est-ce qui lui a pris de faire du hold-up, à ce garnement ? Une histoire de bergère, sans doute ? C'est toujours pour des femmes que les gars font des bêtises. Ils veulent tous leur conquérir le monde. Et quand ils le leur apportent, bien empaqueté avec une ficelle dorée, ces dames leur font la gueule parce qu'elles eussent préféré n'importe quoi d'autre, à condition que ça vienne de chez Hermès. Alors, toujours vaillants, les bonshommes repartent. Cette fois, c'est la lune qu'ils décrochent. Ils la passent à la peau de chamois pour qu'elle brille bien. Mais au bout d'un jour les bonnes femmes blasées la jettent à la poubelle. Vous n'avez pas remarqué ? C'est fou ce qu'on peut trouver comme lunes encaustiquées dans les poubelles ! Des lunes qui n'ont même jamais servi et qui ont l'air, ma foi, aussi c… que les hommes !
— Vous avez l'air tout triste, monsieur le commissaire, observe finement la serveuse en m'apportant mon picotin.
Je lui pince les fesses, comme il se doit, afin de ne pas la désobliger.
— On croit que les gens sont tristes alors qu'ils ne sont qu'hépatiques la plupart du temps, lui dis-je.
Elle acquiesce et s'en va. Je chipote un brin. Mais l'appétit n'est pas au rendez-vous. J'ai peur que le Gros ne passageatabasse trop son jeune client. Il a l'habitude, de pratiquer des durs, Béru, des vrais coriaces qui encaissent les gnons en rigolant. Faudrait pas qu'il m'esquinte ce bébé-rose délinquant. C'est pas son tonton consul qui m'inquiète, à Jérôme, c'est sa fragilité.
Je remonte dans les austères locaux de la Poule. Parvenu à mon étage, j'entends effectivement des bruits de tartes, ponctués de gémissements.
— Tu vas causer, oui ! brame le Monstrueux. Cause tout de suite, sinon je remets le couvert !
Je m'avance, j'entrouve sans bruit la porte du burlingue et je coule un œil dans la pièce. Béru, en bras de polo, est assis sur le bureau, sa toque de fourrure rejetée en arrière, tandis que son « client » est recroquevillé dans le fauteuil des interrogatoires.
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