L’homme sembla pris de panique.
— Je t’ai dit que ça resterait entre nous. Tu me fais confiance ?
L’homme cligna des yeux, détourna le regard et se perdit dans l’écran de télévision.
Dominique patienta.
Après quelques minutes, il sembla s’apaiser.
Dominique l’interpella.
— Tu veux bien me parler ?
D’un clignement, l’homme marqua son assentiment.
Dominique se leva, ouvrit l’armoire, prit l’abécédaire et le posa sur le lit, face à l’homme.
Il proposa la série de chiffres, mais X Midi ne répondit pas.
— Tu ne connais pas le numéro, c’est ça ?
L’homme approuva.
— Dans ce cas, donne-moi le nom.
L’homme ouvrit grand les yeux et se mit à transpirer.
Dominique fit mine de ne pas y prêter attention et entama la série de voyelles. Il poursuivit avec la série de consonnes, mais X Midi ne l’arrêta pas.
— Tu veux réfléchir ? Attendre quelques jours ? Être sûr de mon amitié ?
L’homme semblait hésiter.
— Tu veux que je recommence ?
Il exprima son accord.
Dominique reprit les séries.
À chaque lettre, l’homme semblait se creuser les méninges, comme s’il craignait de se tromper ou s’il éprouvait des difficultés à se remémorer le nom qu’il épelait.
L’exercice prit plus d’une demi-heure et permit d’identifier cinq lettres.
O-D-I–L-E.
X Midi transpirait abondamment. L’effort de concentration qu’il avait fourni l’avait épuisé.
Dominique lui épongea le front.
Il tenait le prénom, mais il lui manquait le nom de famille. Il n’insista pas, ce serait un coup de malchance s’il y avait plusieurs Odile enterrées dans cette pelouse.
— J’irai là-bas cet après-midi.
L’homme continuait à fixer l’abécédaire.
— Tu veux ajouter quelque chose ?
X Midi était épuisé, mais il acquiesça.
La première lettre fut un F.
La seconde un L.
Dominique interrompit l’exercice.
— Tu veux que je lui apporte des fleurs ?
L’homme referma les yeux.
Si j’avais eu un ami tel que lui, ma vie aurait sans doute été différente. J’avais besoin de structure, d’encadrement. Mes idées n’étaient pas toujours claires et je ne savais pas les exprimer. J’avais besoin d’un guide, de quelqu’un pour m’écouter, me comprendre, me conseiller.
Bien sûr, il y a eu Birkin.
Il m’a aidé à sortir de là.
Avec le temps, je ne sais si je dois le remercier ou le blâmer.
Birkin n’était qu’un pauvre fou.
Michael Stern dut patienter jusqu’au mercredi 20 décembre pour pouvoir se rendre à Londres.
Ce jour-là, Lord George Brown, le ministre des Affaires étrangères, de retour de la réunion des Six à Bruxelles, informait la Chambre des Communes de la marche à suivre par le gouvernement.
Les affaires de politique extérieure n’étaient pas la spécialité de Stern, mais comme aucun journaliste du Belfast Telegraph ne s’était porté volontaire pour faire ce déplacement, il s’était proposé pour couvrir l’événement.
À son retour de Berlin, fin novembre, il avait eu une vive altercation avec sa femme qui lui reprochait de négliger sa vie de famille et de dilapider leurs économies pour financer une enquête que son rédacteur en chef n’avait pas approuvée. Pour éviter une nouvelle dispute, il lui avait promis de laisser tomber l’affaire.
Il avait laissé passer quelques jours et avait repris ses investigations dans la plus grande discrétion.
Début décembre, il avait eu un nouveau contact avec Nick Kohn, le chroniqueur musical londonien, et lui avait demandé de glaner des renseignements sur un groupe anglais qui avait joué à Berlin en début d’année. L’ensemble s’appelait les Frames et la chanteuse qui les accompagnait répondait au prénom de Mary. Il voulait également savoir s’il connaissait un batteur d’origine canadienne dénommé Jacques Berger.
Avant de conclure l’appel, il l’avait prié de traiter sa requête avec la plus grande confidentialité, ce que Kohn avait accepté.
Une semaine plus tard, Kohn l’avait rappelé.
Il n’avait eu aucun mal à obtenir les informations demandées. Les Frames étaient un groupe de pop-rock constitué de cinq Anglais ; quatre musiciens et une chanteuse. Hormis cette dernière qui s’appelait Mary Ann McGregor, le line-up avait souvent changé. Le groupe avait été dissous à son retour de Berlin et une nouvelle formation était née peu de temps après, Mary and The Gouvernants. Le cœur du groupe était constitué de la chanteuse et d’un guitariste des ex Frames.
Un batteur, le dénommé Jacques Berger, un bassiste et un guitariste anglais avaient été engagés dans la foulée.
Le groupe était prometteur, mais un fait divers avait mis fin à leur ascension. En juin, le batteur avait grièvement blessé un petit dealer de Brixton. Depuis, l’homme était en fuite. La chanteuse, présente au moment de l’agression, avait été traumatisée. Elle avait été soignée pour une sorte de dépression nerveuse, mais en était sortie et s’était remise à chanter.
Depuis, elle s’était assagie, avait changé son répertoire et son nom d’artiste. Elle se faisait maintenant appeler Mary Hunter. Il était possible de la voir au Dorchester, un hôtel de luxe situé sur Park Lane.
Elle y officiait sept jours sur sept et était chargée de charmer les touristes fortunés et les hommes d’affaires pendant la happy hour. Deux fois par semaine, elle chantait en fin de soirée au Village, un bar de Soho où elle retrouvait Bob Hawkins, l’ancien guitariste des Frames et des Gouvernants.
Stern remercia Kohn pour ces informations.
Il était satisfait d’avoir réussi à remonter la piste de Berger, cet exploit flattait sa fibre journalistique, mais à présent qu’il approchait du but, l’homme était en fuite, et personne ne savait où il se trouvait.
Le 20 décembre, après avoir mené quelques interviews en rapport avec sa mission, Stern se rendit au Dorchester.
Mary Hunter était une frêle jeune femme au teint pâle. Elle était vêtue d’une longue robe noire qui semblait ne pas lui appartenir. Elle ne portait aucun bijou et n’était pas maquillée.
Stern fut instantanément séduit par sa voix. Dès qu’elle entamait les premières notes d’une chanson, elle exerçait une véritable fascination sur le public.
À l’inverse de ce qu’il avait l’habitude de voir dans ce genre d’endroit, les clients s’arrêtaient de boire et de parler pour l’écouter.
Le pianiste qui l’accompagnait en faisait des tonnes, il grimaçait, agitait les bras en tous sens et considérait que les applaudissements lui étaient destinés.
Lorsque le tour de chant prit fin, Stern apostropha Mary et lui demanda s’il pouvait lui parler. Elle eut un mouvement de recul en voyant ce petit homme insignifiant qui l’interpellait en grimaçant. Il lui expliqua qu’il était journaliste et qu’il réalisait une enquête sur une série d’événements qui s’étaient produits en mars dernier à Berlin, au moment où elle y était avec son ancien groupe.
Elle accepta à contrecœur de lui parler et proposa d’aller autre part. Stern sortit du bar et l’attendit à l’entrée de l’hôtel. Elle revint quelques minutes plus tard, habillée d’un jeans et d’un gros pull en laine. Cette tenue la rendait plus insignifiante encore. Stern constata qu’elle était atteinte d’un léger strabisme.
Ils se rendirent dans un pub proche de l’hôtel où elle répondit de manière laconique à ses questions.
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