Je l’ai remercié, lui ai dit adieu et j’ai raccroché.
Le soir même, j’avais mes nouveaux papiers. Je m’appelais à présent René Schnegg, citoyen français, né à Colmar le 31 juillet 1945.
Ils avaient également trouvé quelqu’un pour me soigner, un vétérinaire d’une soixantaine d’années dont le nez rubicond en disait long sur sa dépendance à l’alcool. Il a chaussé une paire de lunettes surmontée d’une lampe frontale, m’a administré une anesthésie locale et m’a charcuté l’épaule. Les trois Italiens observaient la scène en grimaçant.
Il est parvenu à extraire la balle et a recousu la plaie. Le projectile avait endommagé l’articulation et il émettait des réserves quant à une guérison complète sans une solide rééducation. Selon lui, je garderais une gêne dans certains mouvements.
J’étais loin d’imaginer que son pronostic se vérifierait et que plus jamais je ne pourrais jouer de la batterie.
Les Italiens avaient dû être satisfaits de la somme d’argent que je leur avais donnée, ils m’ont hébergé dans une chambre spartiate située à l’étage du restaurant.
Je me suis tourné et retourné sur le lit grinçant sans pouvoir trouver le sommeil.
Le lendemain matin, j’ai pris le premier train pour Glasgow. L’aéroport de Londres était sûrement sous surveillance et je me serais fait alpaguer si j’y avais mis les pieds.
Je comptais prendre un vol à destination de San Francisco en aménageant quelques étapes pour brouiller les pistes. Ma nouvelle identité diminuait le risque de me voir arrêté, mais j’étais à présent recherché pour meurtre et je devais faire preuve de la plus grande prudence.
Arrivé à Glasgow, je me suis rendu en taxi à l’aéroport de Prestwick. Dans le hall, une plaque commémorative relatait que l’aéroport était le seul lieu britannique dans lequel Elvis Presley avait posé les pieds, en 1960.
J’ai acheté un billet pour Genève. Le vol ne partait qu’en fin d’après-midi. Je me suis allongé dans un coin du hall où j’ai tenté en vain de m’endormir.
Je tremblais de fièvre, une douleur aigüe et lancinante me traversait l’épaule.
À mon arrivée à Genève, je me suis rendu au guichet de la Pan Am pour acheter un billet pour New York. Mon regard a été attiré par une affiche qui représentait un saxophoniste en gros plan. Elle annonçait un festival de jazz qui débutait la semaine suivante à Montreux.
J’ai changé mes plans et j’ai pris le train pour Montreux. Deux heures plus tard, je suis arrivé à destination. Je suis descendu du train.
J’étais seul sur le quai.
Ce n’est qu’à ce moment que j’ai pris conscience que j’avais tout perdu en l’espace de quelques heures, la femme que j’aimais, mon meilleur ami, mon identité et ma dignité.
65
L’homme referma les yeux
Dominique mit près d’un mois pour parvenir à déchiffrer l’énigme que X Midi lui avait posée.
CEM XL .
Sans un coup de pouce du hasard, il n’y serait sans doute jamais arrivé.
Il s’était tout d’abord cassé les dents sur les trois premières lettres, pensant qu’il s’agissait d’une abréviation. Il avait parcouru des dizaines d’annuaires dans le but de trouver à quel sigle ces lettres correspondaient.
Selon le type de publication, il s’agissait d’un cours élémentaire moyen, d’un chef d’état-major, d’une entreprise spécialisée en technologies microondes appliquées ou d’un algorithme de classification automatique.
Quant au XL , il était persuadé que ces lettres signifiaient Extra Large, au sens propre ou au sens figuré.
C’est lors d’une séance de soins avec l’une de ses patientes qu’il se rendit compte que ces dernières lettres pouvaient avoir une autre signification.
Lorsqu’il interrogea la femme sur son âge, son parcours et ses origines, celle-ci lui répondit qu’elle était née à Ixelles et qu’elle y avait passé la plus grande partie de sa vie.
Dans un premier temps, il ne prêta pas attention à cette information et n’établit pas de lien. Ce n’est qu’à la fin de la séance que l’information frappa son esprit et qu’il demanda à la femme de répéter le nom de sa commune d’origine.
Après s’être exécutée, elle lui apprit qu’Ixelles était l’une des dix-neuf communes bruxelloises et que ce nom était régulièrement écrit à l’aide des simples lettres XL , y compris dans certains documents officiels.
L’espace d’un instant, il crut détenir la solution. X Midi souhaitait qu’il consulte une carte d’état-major de la commune d’Ixelles et A20P7 , les données qui étaient inscrites sur sa main, représentaient les coordonnées UTM, les lettres et les chiffres qui, disposés en abscisses et ordonnées, permettaient de situer un emplacement précis sur une carte.
Il se mit à la recherche d’une carte détaillée de la commune d’Ixelles, mais dut rapidement déchanter. Non seulement il ne fut pas en mesure de se procurer une carte d’état-major ou une carte topographique d’Ixelles, mais de plus, la combinaison A20P7 ne correspondait à aucune donnée UTM ou GPS.
Il en fut de même lorsqu’il consulta le plan De Rouck, le guide que tous les Bruxellois promenaient dans le vide-poche de leur voiture avant l’apparition du GPS.
Le second éclaircissement lui fut livré de manière tout aussi impromptue, en marge d’un décès qui était survenu à la clinique.
Il se trouvait au secrétariat au moment où l’entreprise de pompes funèbres se présenta pour enlever le corps. Les documents relatifs au transfert des restes mortels ainsi que le certificat d’acceptation par la commune de destination étaient accompagnés d’un papier qui précisait le lieu de la sépulture :
CIMETIÈRE DE VERREWINKEL,
125 avenue de la Chênaie, 1180 Bruxelles
Allée 9, Pelouse 16, Emplacement 53
Depuis le temps que la combinaison A20P7 tournait dans sa tête, il se penchait sur tous les types de coordonnées qui associaient des lettres et des chiffres pour en étudier la construction.
La vue du document le fit bondir.
X Midi lui avait indiqué l’emplacement d’une tombe.
Le A et le P correspondaient. Cette hypothèse donnait également un sens à CEM. L’homme parlait anglais. Au vu de son état de confusion et de la difficulté qu’il éprouvait à utiliser l’abécédaire, il avait dû confondre cimetière avec son équivalent anglais cemetery , ce qui expliquait également les raisons pour lesquelles il n’avait pas complété le mot.
À la fin de son service, Dominique lança un appel téléphonique au cimetière d’Ixelles. La préposée lui confirma qu’il existait, non pas une allée, mais une avenue 20 et une pelouse 7. Cette zone était située dans la partie est du cimetière, non loin du chemin de fer, et renfermait une centaine de tombes.
Le lendemain, Dominique se présenta chez X Midi sans lui servir ses facéties habituelles.
Il s’assit sur le lit sans un mot et attendit que l’homme accroche son regard.
— Bonjour, mon ami.
L’homme l’examina avec curiosité.
— Tu aimerais que j’aille faire un tour sur la pelouse 7 située dans l’avenue 20, au cimetière d’Ixelles ?
Il lut dans les yeux de l’homme le même appel de détresse qu’il y avait décelé quand il lui avait donné le message.
— Tu veux que j’y aille, c’est ça ?
L’homme acquiesça.
— Je vais y aller, mon ami, mais il y a une centaine de tombes là-bas et il me manque le numéro de l’emplacement.
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