Je savais où le trouver. Je me suis rendu chez lui. Il habitait à Brixton. Un ivrogne m’a guidé jusqu’à sa piaule. Il logeait sous le toit d’un petit immeuble de deux étages dans Brixton Road, à l’intersection d’Angell Road.
J’avais les nerfs à vif. Un coup d’épaule m’a suffi pour ouvrir la porte d’entrée. J’ai monté l’escalier à toute vitesse et j’ai tambouriné à sa porte. Je savais qu’il était armé, comme la plupart des dealers, et je ne voulais pas prendre de risque.
Il est venu ouvrir. Il était torse nu. Il avait passé en hâte une paire de jeans. Sa peau ruisselait. Il avait le regard lointain des types en plein trip. Il tenait son flingue dans sa main.
Il m’a demandé ce que je voulais. Je voulais savoir où était Mary. J’ai lu la réponse dans ses yeux. Il a senti le danger. Il a tenté de refermer, mais j’ai pesé de tout mon poids sur la porte. Je l’ai ouverte à la volée et me suis précipité dans la chambre, Gab sur mes talons. Il hurlait, me sommait de m’arrêter, me menaçait de tirer.
Mary était allongée sur un matelas, au fond de la pièce. Une couverture élimée ne cachait rien de sa nudité. Elle semblait endormie, mais ses yeux étaient ouverts et elle me fixait sans me voir.
L’image de Floriane meurtrie entre ses deux violeurs m’a sauté au visage.
J’ai fait volte-face et je me suis dirigé vers Gab.
Il a pointé l’arme sur moi.
Le coup est parti. J’ai senti la balle me perforer l’épaule. J’ai continué à marcher sur lui. Il n’a pas eu le temps de tirer une seconde fois. Je lui ai arraché l’arme des mains. Je l’ai empoigné par les cheveux. J’ai projeté son visage contre la table. Je voyais rouge. Je l’ai remis debout. Toujours en l’agrippant par les cheveux, j’ai frappé une nouvelle fois son visage contre le mur. Et une fois encore. J’entendais ses os craquer, je voyais ses chairs se déchirer, mes mains étaient rouges de son sang.
Quand j’ai arrêté de le frapper, il n’était qu’une masse inerte entre mes mains. Je n’ai pas compris que je l’avais tué. Mon épaule ne me faisait pas souffrir, le sang coulait et ma chemise était trempée.
Mary était debout et regardait la scène.
Elle s’est avancée, nue, au milieu de la pièce. Elle marchait comme un automate, le regard absent. Elle m’a dévisagé, a posé les yeux sur le corps de Gab qui gisait à mes pieds. Elle était au bout du chemin, à la frontière de la folie.
Elle s’est soudain rendu compte de ce qui se passait. Ses yeux se sont agrandis, elle a posé les mains sur sa bouche.
C’est la dernière image que je garde d’elle.
Le bruit de la détonation avait alerté le voisinage, le hurlement des sirènes s’intensifiait. Brixton était un quartier mal famé et les flics intervenaient rapidement.
Je maudissais Mary. Je la maudissais de m’avoir trahi. Je la maudissais de m’avoir amené à commettre l’irréparable. Je la maudissais et je me maudissais. J’ignorais que la meth que j’avais dans le sang était en grande partie responsable de mon accès incontrôlé d’agressivité.
Malgré mon ressentiment, j’aurais dû l’envelopper dans une couverture, la charger sur mon épaule et l’emmener loin de là. J’aurais dû lui épargner la souffrance, le harcèlement, les vexations.
Ma colère et ma peur l’ont emporté sur ma raison. J’ai paniqué et j’ai pris mes jambes à mon cou.
J’ai erré dans les rues jusqu’à l’aube. Je longeais les façades, je me terrais dans leur ombre. J’étais déboussolé. Je pleurais, j’étais ivre de rage. La douleur s’était éveillée et mon épaule me faisait souffrir. La Pervitine continuait à agir. J’étais survolté, j’avais la haine à fleur de peau. Je voulais m’attaquer aux ivrognes que je croisais. Je devais me maîtriser pour ne pas les saisir au collet et les rouer de coups, comme je l’avais fait avec Gab.
Le soleil s’est levé tôt. Le solstice d’été approchait. J’ai pris le métro et je suis allé chez Brian. Je savais qu’il disposait d’une pharmacie complète chez lui. J’ai sonné. Il est venu à la porte, mais n’a pas voulu me laisser entrer. J’ai forcé le passage, je l’ai empoigné par le col de son peignoir et l’ai contraint à descendre à la cave.
Il couinait comme un rat, implorait ma pitié. J’ai exigé qu’il ouvre le coffre-fort dissimulé à l’arrière du bar, derrière le miroir. J’ai pris l’argent qu’il contenait. Brian s’est mis à pleurnicher, il tremblait, bavait et s’était pissé dessus. J’ai pris une bouteille et l’ai frappé sur le sommet du crâne. Il s’est effondré comme une masse.
Je suis monté à l’étage. Je me suis soigné d’une main, comme je le pouvais. La balle était entrée à hauteur de la tête de l’humérus, mais n’était pas ressortie. J’ai vidé un flacon de poudre antiseptique dans la plaie et posé un bandage. Chaque mouvement me faisait gémir de douleur.
Je me suis ensuite mis à la recherche de dope et de vêtements. J’ai avalé des dizaines de pilules et empaqueté quelques affaires qui se trouvaient dans une chambre inoccupée. Avant de m’en aller, je suis redescendu à la cave. Brian était toujours inanimé, mais son cœur battait et il respirait. Il avait les yeux révulsés et du sang sur le visage.
Un nouvel accès de colère m’a submergé. À coups de pied, de genou et de coude, j’ai détruit les guitares, la batterie et les amplis. De ma main valide, je me suis emparé des bouteilles alignées sur les étagères et les ai projetées à travers la pièce, saccageant tout ce que je pouvais.
Quand je suis remonté, quelques types se tenaient en haut des marches, le visage chiffonné de sommeil, les yeux agrandis de stupeur. Ils se sont gardés de descendre ou de m’adresser le moindre mot.
En milieu de matinée, j’ai fait irruption dans le restaurant de Clerkenwell Road. Il venait d’ouvrir. Je n’ai pas commandé le plat du jour. J’ai lancé le mot de passe au serveur qui venait à ma rencontre en lui précisant qu’il s’agissait d’une urgence.
Il m’a conduit dans l’arrière-salle où trois hommes attablés lisaient le journal. J’ai mis mes pièces d’identité et une liasse de billets sur la table. J’ai déclaré qu’il me fallait de nouveaux papiers avant la tombée de la nuit. J’ai posé un second tas de billets à côté du premier et leur ai demandé de me trouver un médecin pour extraire la balle que j’avais dans l’épaule.
Ils ont vu que j’étais déterminé et n’ont pas essayé de négocier. L’un des hommes s’est levé, a empoché l’argent et m’a demandé de repasser vers minuit.
J’ai quitté le restaurant et je me suis rendu dans plusieurs pharmacies pour me procurer des antiseptiques, des antidouleurs et des boîtes de bandages. Je me suis réfugié dans le métro durant le reste de la journée. J’en sortais de temps à autre pour pénétrer dans un bar et changer mes pansements aux toilettes.
La plaie cessait peu à peu de saigner, mais la douleur restait vive et je craignais que la blessure ne s’infecte.
En début de soirée, j’ai téléphoné à Birkin. La police avait débarqué chez le disquaire et avait interrogé tout le monde. Les flics connaissaient mon identité, celle qui figurait sur mes faux papiers. Birkin ne savait pas ce qui s’était passé et n’avait pas de nouvelles de Mary.
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