— Et qu’a-t-elle fait ?
— D’abord, rien de particulier. Des agents ont scellé le lieu et prélevé quelques échantillons. Ensuite, la police judiciaire est venue à plusieurs reprises et a posé beaucoup de questions, la plupart portant sur ce que le professeur conservait ici. Elle voulait savoir s’il possédait des objets de valeur. Mais ensuite les questions ont évolué et certaines m’ont paru bien étrange, je l’avoue.
— Comme par exemple ?
— La police voulait savoir si le professeur voyageait beaucoup et s’il connaissait des gens du Moyen-Orient.
— Et vous ? Qu’avez-vous répondu ?
— Qu’il était évident que le professeur voyageait. Il se rendait à des conférences et à des séminaires, contactait d’autres scientifiques… Bref, le train de vie normal pour quelqu’un qui se consacre à la recherche, j’imagine.
— Et il connaissait des gens du Moyen-Orient ?
Luís Rocha esquissa une moue.
— Il devait en connaître, je ne sais pas. Il parlait avec beaucoup de monde, vous savez.
Tomás tourna la tête et observa de nouveau les livres éparpillés. Il était évident que quelqu’un avait tout jeté à terre pour chercher on ne sait quoi. Ou plutôt Tomás le savait. Tomás Noronha le savait, Franck Bellamy le savait, et quelques rares personnes également. Les cambrioleurs étaient des hommes du Hezbollah et ils cherchaient Die Gottesformel , le vieux manuscrit qu’ils avaient fini par trouver quelque part dans ce bureau.
Remuant derrière Tomás, Luís pressa la poignée de la porte du milieu et l’ouvrit.
— Je vais aux toilettes, dit-il, en entrant dans l’étroite pièce ornée de carreaux en céramique blancs et bleus. Mettez-vous à l’aise.
Il referma la porte.
Momentanément seul, Tomás regarda une dernière fois le bureau vandalisé et fit demi-tour. Son attention fut attirée par la troisième porte au fond du couloir ; il allongea le bras et l’ouvrit. Un grand lit indiquait que c’était la chambre du professeur Siza.
Poussé par la curiosité, Tomás entra dans la pénombre et observa la chambre avec attention. Une odeur de renfermé planait dans l’air, à l’évidence la pièce n’avait pas été ouverte depuis plusieurs semaines, comme suspendue dans le temps, en attendant de reprendre vie. Les stores étaient baissés, créant une atmosphère paisible dans un silence reposant, un espace calme dans une lumière tamisée. À l’opposé du chaos qu’offrait le bureau, tout ici était soigneusement rangé, chaque objet se trouvait à sa place.
Une fine couche de poussière recouvrait les meubles, on aurait presque pu mesurer le temps écoulé avec l’épaisseur de la poussière accumulée. L’historien ouvrit un tiroir et vit un paquet de lettres et de cartes postales. Il prit celles du dessus et examina leur date ; elles étaient des derniers mois. Il supposa que celles en-dessous devaient être plus anciennes. Il regarda les lettres et chercha à les identifier. La plupart semblaient venir de l’université, notices de colloques, nouvelles éditoriales, demandes d’informations bibliographiques et autres références à caractère purement académique. Il aperçut, parmi les enveloppes, trois cartes postales et les examina distraitement. Deux étaient signées par des cousines, mais la troisième éveilla son attention. Il la regarda de chaque côté et sentit sa curiosité redoubler.
Le bruit métallique d’une clé tournant dans une serrure lui fit tourner la tête vers le couloir. C’était Luís qui ressortait des toilettes.
D’un geste rapide et discret, Tomás glissa cette troisième carte postale dans la poche de sa veste et prit un air innocent.
La première chose que Tomás fit en arrivant chez lui, fut de chercher un numéro dans le répertoire de son portable et de lancer l’appel.
— Greg Sullivan, j’écoute, annonça la voix nasillarde à l’autre bout de la ligne.
— Bonjour Greg. C’est Tomás Noronha.
— Ah ! Tomás. Comment ça va ?
— Très bien, merci.
— J’ai entendu dire que vous n’avez pas eu la vie facile à Téhéran.
— Oui, c’était compliqué.
— Mais vous vous en êtes sorti comme un professionnel !
— N’exagérons rien…
— Sérieusement ! Un de ces jours vous m’aborderez avec un accent très british et vous me direz : mon nom est Noronha. Tomás Noronha ! dit-il en riant. Un vrai James Bond !
— Arrêtez de vous payer ma tête.
— Pas du tout, je suis fier de vous, vous savez ? Vous êtes un sacré bonhomme !
— Allons, arrêtez les fleurs. Tomás se racla la gorge, avant d’aller droit au sujet qui motivait son appel. Greg, j’aurais besoin que vous me rendiez un service.
— Avec grand plaisir, je vous écoute.
— Je voudrais que vous appeliez vos amis à Langley pour qu’ils demandent à Frank Bellamy de me rappeler d’urgence.
— Pardon ?
— Il faudrait que Frank Bellamy me rappelle d’urgence.
Il y eut un court silence à l’autre bout de la ligne.
— Écoutez, Tomás, monsieur Bellamy n’est pas n’importe qui, dit Greg sur un ton soudainement respectueux. C’est l’un des quatre directeurs de la CIA, ayant directement accès au bureau ovale de la Maison Blanche. Ce n’est pas les gens qui décident de lui parler, vous comprenez ? C’est lui qui décide de leur parler.
— Oui, j’ai compris, répliqua Tomás. Mais j’ai aussi compris que si quelqu’un d’aussi important est venu une fois à Lisbonne pour me parler et m’a téléphoné deux fois par la suite, c’est parce qu’il considère que je suis engagé dans une affaire cruciale pour l’agence. Si tel est le cas, il sera certainement disposé à m’appeler dès qu’il saura que j’ai quelque chose à lui dire.
— ….
— Et vous avez quelque chose à lui dire ?
— Évidemment.
Greg soupira.
— OK, Tomás. J’espère que vous savez ce que vous faites. Monsieur Bellamy n’est pas quelqu’un avec qui on plaisante. Il hésita, comme s’il donnait à un condamné une dernière chance de se repentir. Vous voulez vraiment que j’appelle Langley ?
— Téléphonez.
— OK.
Il sortit de la poche de sa veste la carte postale qu’il avait dérobée dans la chambre du professeur Siza et l’examina avec attention. L’adresse de l’expéditeur n’était pas mentionnée. La carte postale présentait un court message à l’écriture soignée, aux lignes bien droites, comme si l’esthétique valait autant que le contenu.
Mon cher ami,
Quel plaisir de recevoir de vos nouvelles.
Votre découverte me remplit de curiosité.
Le grand jour serait-il enfin arrivé ?
Retrouvez-moi dans le monastère.
Affectueusement,
Tenzing Thubten
Il lut plusieurs fois les courtes lignes écrites sur la carte postale. Il n’avait pas besoin d’être très intuitif pour comprendre que ce message levait un coin du voile, tout en masquant l’essentiel sous de subtils sous-entendus. Qui était ce Tenzing Thubten ? S’il donnait du « mon cher ami » au professeur Siza, c’est sans doute qu’il le connaissait bien. Mais d’où ? Si Thubten disait « quel plaisir de recevoir de vos nouvelles », c’est parce que le professeur Siza avait pris l’initiative de le contacter. Si l’expéditeur indiquait que « votre découverte me remplit de curiosité », c’est parce que le professeur Siza lui avait communiqué le fait. Et si Thubten se demandait si « le grand jour était enfin arrivé », c’est parce que cette découverte, quelle qu’elle soit, allait probablement déclencher un événement attendu par tous deux depuis longtemps. Mais quel est le sens caché de ces phrases ? s’interrogea Tomás. Son portable sonna.
— Bonjour Tomás, murmura l’inimitable voix rauque. On m’a dit que vous vouliez me parler.
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