Le physicien sourit.
— Les scientifiques ont découvert qu’à mesure qu’augmentait la température, l’énergie s’unifiait et les structures complexes subatomiques se brisaient, révélant des structures simples. Sous une chaleur très intense, les forces se simplifient et se fondent, dégageant ainsi la super-force. Dans ces circonstances, il serait possible de concevoir une équation mathématique fondamentale. Il s’agirait d’une équation capable d’expliquer le comportement et la structure de toute la matière et capable aussi de décrire tout ce qui arrive. Il écarta les mains comme s’il venait d’exécuter un tour de magie. Une telle équation serait la formule maîtresse de l’univers.
— La formule maîtresse ?
— Oui, confirma Luís Rocha. Certains l’appellent la formule de Dieu.
La matinée s’avançait et Tomás, peut-être pour la vingtième fois en moins d’une heure, contempla la feuille de papier et imagina une nouvelle stratégie pour percer le mystère. Mais l’énigme ne bronchait pas, il eut même l’impression que ces treize lettres et ce point d’exclamation se moquaient de ses efforts.
Il remua la tête, plongé dans le problème. Il lui semblait évident que chaque ligne renvoyait à un chiffrage différent, sans être sûr que la première en soit vraiment un. Les mots anglais See sign signifiaient « voyez le signe ». Il s’agissait probablement d’une indication laissée par Einstein, faisant référence à quelque signe présent dans le manuscrit. Le problème est que Tomás, n’ayant pu lire le document, n’avait aucun moyen de le vérifier. Y avait-il quelque signe mystérieux caché dans le texte original ?
Le cryptologue secoua la tête.
Il lui était sans doute impossible de déterminer une telle chose sans accéder au manuscrit. Tomás avait beau tourner et retourner le problème, il aboutissait toujours à la même conclusion : il lui fallait vraiment lire le document pour y chercher les pistes cachées, creuser le texte pour y trouver le signe auquel Einstein faisait allusion. See sign. Voyez le signe. Mais quel signe ?
Il s’adossa à la chaise de la cuisine et posa son crayon. Avec un soupir résigné, Tomás renonça pour le moment à comprendre cette première ligne ; ne pouvant accéder au manuscrit, toute tentative d’interpréter ces deux mots semblait vouée au fiasco. Il se leva, agacé, alla prendre du jus d’orange dans le réfrigérateur et retourna sur sa chaise. Il sentait une impatience diffuse lui brûler les entrailles.
Il posa à nouveau ses yeux sur la feuille et se concentra sur la seconde ligne. À première vue, ce message était sans doute chiffré selon un système de substitution. Il semblait évident que les lettres originales avaient été remplacées par d’autres, selon un ordre prédéterminé par une clé. S’il trouvait cette clé, il découvrirait le code. Le problème était de comprendre quelle clé Einstein avait utilisée pour coder cette ligne.
Il parcourut plusieurs fois les lettres de la seconde ligne, convaincu d’être devant un système de substitution, et se mit à considérer diverses hypothèses. S’il s’agissait d’une substitution monoalphabétique, ce serait relativement simple à démêler. Mais si c’était une substitution polyalphabétique, recourant à deux ou plusieurs alphabets chiffrés, l’opération serait nettement plus compliquée. Ce pouvait être aussi une substitution polycentrique, un procédé où des groupes de lettres étaient intégralement remplacés par d’autres groupes. Ou alors, cauchemar des cauchemars, il s’agissait d’une substitution fractionnelle, où l’alphabet codé était lui-même codé.
Il pressentait les difficultés à venir. Néanmoins, l’option la plus logique restait la substitution monoalphabétique, et il décida de commencer par cette hypothèse. Face à un tel système, il était parfaitement conscient que la clé de substitution n’avait pu être choisie au hasard. Ce pouvait être, par exemple, l’alphabet de César, l’un des plus anciens alphabets chiffrés de l’histoire, utilisé par Jules César dans ses intrigues de palais et ses campagnes militaires. Si c’était le cas, il lui suffirait de modifier le point initial de l’alphabet normal et il trouverait la solution.
La sonnette de l’entrée retentit à cet instant.
Madame Noronha sortit du salon, où elle faisait du rangement, et se précipita vers la porte.
— Voilà, voilà, marmonna-t-elle. Elle décrocha le combiné. Qui est-ce ? Qui ? Ah, un moment. Elle regarda son fils. C’est le professeur Rocha. Il t’attend en bas.
— Dis-lui que j’arrive, s’exclama Tomás.
Il ressentit presque une satisfaction de devoir interrompre l’épuisant travail qui l’avait occupé toute la matinée sans porter ses fruits. Il plia la feuille où était notée la formule et alla dans sa chambre chercher sa veste.
Ils se garèrent à l’ombre d’un chêne. En sortant de la voiture, Tomás contempla la petite maison qui était cachée derrière un mur et des arbustes, le long de la paisible avenue Dias da Silva, là où résidaient la plupart des professeurs de l’université. La maison avait un air accueillant, même s’il était manifeste qu’il lui manquait un jardinier, la verdure envahissait les zones de passages jusqu’au porche devant la porte.
— Alors c’est ici qu’habitait le professeur Siza ? demanda Tomás, promenant le regard sur la façade de la maison.
— Oui, c’est ici.
L’historien regarda son collègue.
— Ça doit être dur pour vous de revenir ici ?
Luís Rocha observa la maison et respira profondément.
— Évidemment.
— Je suis désolé de vous avoir demandé ce service, dit Tomás. Mais il me paraît important de voir le lieu où tout s’est passé.
Ils franchirent la grille et se dirigèrent vers la porte. Le physicien sortit une clé de sa poche et l’introduisit dans la serrure, jusqu’à ce que la porte s’ouvre dans un léger craquement. Il fit signe à Tomás d’entrer et lui emboîta le pas.
Un silence presque absolu les accueillit. Le petit vestibule était dallé, avec une porte à gauche donnant sur le salon et une autre à droite vers la cuisine, d’où parvenait le ronronnement d’un réfrigérateur encore branché.
— Mais tout ici paraît parfaitement en ordre.
— Attendez de voir le bureau, observa Luís Rocha, en passant devant pour s’engager dans le petit couloir en face. Vous voulez voir ? Venez.
Au fond du couloir se trouvaient trois portes. Le physicien ouvrit celle de gauche, montrant l’entrée protégée par un ruban de police, et il fit signe à Tomás de regarder.
— Diable, s’exclama l’historien.
Un amas de livres, de papiers et de chemises recouvrait le sol dans un chaos indescriptible, tandis que les étagères aux murs étaient presque vides, occupées seulement par un ou deux volumes qui avaient résisté à la tempête.
— Vous avez vu ça ? demanda le physicien.
Tomás ne parvenait pas à détourner les yeux de cet amoncellement de livres et de documents.
— C’est vous qui avez découvert cette pagaille ?
— Oui, confirma Luís. J’avais convenu avec le professeur Siza de venir ici pour vérifier des calculs qu’il avait faits sur les conséquences d’une hypothétique altération de la masse des électrons. Le professeur ne s’était pas rendu à un cours quelques jours avant, mais ça ne m’a pas inquiété car je le savais un peu distrait. Mais quand je suis arrivé devant le portail, j’ai vu que la porte était entrouverte. J’ai trouvé ça bizarre et je suis entré. J’ai appelé le professeur mais personne ne répondait. Je suis venu voir dans son bureau et j’ai découvert ce chambardement, dit-il en pointant le sol. J’ai aussitôt pensé qu’il s’agissait d’un cambriolage et j’ai appelé la police.
Читать дальше