— Mais vous partez vraiment ? demanda une étudiante, déconcertée.
— Oui, rétorqua-t-il devant la porte. Puisque vous semblez satisfaits par la réponse d’un univers éternel…
— Mais est-il possible de démontrer le contraire ?
— Ah ! s’exclama Luís Rocha, comme s’il entendait enfin un argument valable pour continuer le cours. Voilà une question intéressante. Il fit demi-tour et regagna son bureau, où il éparpilla de nouveau ses notes. Le cours n’est donc pas terminé. Il reste un petit détail à régler. Est-il possible de démontrer que l’univers n’est pas éternel ? En réalité, cette question renvoie à un problème crucial : le fait que les observations contredisent la théorie. Il se frotta les mains. Quelqu’un sait-il de quelles contradictions il s’agit ? Personne ne répondit. La première contradiction apparaît dans la Bible, même si elle n’a guère de valeur au regard de la physique, bien entendu. Mais c’est une curiosité qui mérite le détour. Selon l’Ancien Testament, Dieu créa l’univers dans une explosion de lumière. Cette explication reste le modèle de référence pour les religions judaïque, chrétienne et musulmane, bien qu’elle ait été fortement remise en question par la science. Après tout, la Bible n’est pas un texte scientifique, n’est-ce pas ? La thèse de l’univers éternel devint ainsi l’explication la plus vraisemblable pour les raisons que je vous ai indiquées. Il fit un geste théâtral. Mais, au XIX esiècle, on fit une découverte d’une haute importance, l’une des plus grandes jamais réalisées par la science, une révélation qui vint mettre en cause l’idée d’un univers d’une durée infinie. Il balaya du regard l’auditoire. Quelqu’un connaît-il cette découverte ?
Tous restèrent silencieux.
Le professeur prit un marqueur noir et inscrivit une équation au tableau.
— Qui peut me dire ce que c’est ?
Les étudiants fixèrent le tableau.
— N’est-ce pas la deuxième loi de thermodynamique ? demanda l’un d’eux, un garçon maigre à lunettes et aux cheveux en bataille, l’un des plus brillants du cursus.
— Tout à fait, s’exclama Luís Rocha. La deuxième loi de thermodynamique. Il désigna chacun des éléments de l’équation inscrite sur le tableau. Le triangle signifie variation, « S », entropie, « > » représente, comme vous le savez, le concept de plus grand, et « 0 », c’est bien sûr zéro. Autrement dit, cette équation postule que la variation de l’entropie de l’univers est toujours supérieure à zéro. Il frappa le tableau de son marqueur. La deuxième loi de thermodynamique. Il s’adressa à l’étudiant qui avait donné la réponse. Qui l’a formulée ?
— Clausius, professeur. En 1861, je crois.
— Rudolf Julius Emmanuel Clausius, déclama le professeur, entrant clairement dans le vif du sujet. Clausius avait auparavant formulé la loi de conservation de l’énergie, affirmant que l’énergie de l’univers est une éternelle constante, ne pouvant jamais être créée ni détruite, mais seulement transformée. Ensuite, il décida de proposer le concept d’entropie, qui englobe toutes les formes d’énergies et de température, croyant qu’elle aussi était une éternelle constante. L’univers étant éternel, l’énergie devait être éternelle et l’entropie également. Mais, après avoir effectué des mesures, il découvrit, stupéfait, que les déperditions de chaleur d’une machine excédaient toujours la transformation de la chaleur en énergie, provoquant une dégradation. Refusant d’accepter ce résultat, il se mit à mesurer les processus naturels, le corps humain inclus, et parvint à la conclusion que le phénomène se vérifiait dans tous les domaines. Après de nombreux tests, il dut se rendre à l’évidence. L’entropie n’était pas une constante, ou plutôt elle ne faisait qu’augmenter. Sans cesse. Ainsi naquit la deuxième loi de thermodynamique. Clausius détecta l’existence de cette loi dans le comportement thermique, mais le concept d’entropie s’étendit rapidement à tous les phénomènes naturels. On comprit que l’entropie existait dans tout l’univers. Il fixa du regard les étudiants. Quelle est la conséquence de cette découverte ?
— Les choses vieillissent, répondit l’étudiant à lunettes.
— Les choses vieillissent, confirma le professeur. La deuxième loi de thermodynamique vint prouver trois choses. Il leva trois doigts. La première c’est que, si les choses vieillissent, alors il y a un point dans le temps où elles mourront. Cela arrivera quand l’entropie atteindra son point maximum, au moment où la température se dispersera uniformément dans l’univers. La seconde est qu’il existe une flèche du temps. Autrement dit, l’univers et son histoire peuvent être déterminés depuis toujours, mais leur évolution s’effectuera constamment du passé vers le futur. Cette loi implique que tout a évolué avec le temps. La troisième chose prouvée par la deuxième loi de thermodynamique est que, puisque tout vieillit, il y a eu un moment où tout était jeune. Mieux encore, il y a eu un moment où l’entropie était à son minimum. Le moment de la naissance. Il marqua une pause dramatique. Clausius a démontré qu’il y a eu une naissance de l’univers.
— Vous voulez dire que déjà au XIX esiècle on savait que l’univers n’était pas éternel ?
— Absolument. Lorsque la deuxième loi de thermodynamique a été formulée et démontrée, les scientifiques comprirent que l’idée d’un univers éternel était incompatible avec l’existence de processus physiques irréversibles. L’univers évolue vers un état d’équilibre thermodynamique, où les zones chaudes et froides tendent à s’effacer au profit d’une température constante générale, ce qui implique une entropie totale, ou un maximum de désordre. En clair, l’univers évolue d’un ordre complet vers un désordre total. Et cette découverte entraîna l’apparition de nouveaux indices. Quelqu’un connaît-il le paradoxe d’Olbers ? Personne ne répondit. Le paradoxe d’Olbers est lié à l’obscurité du ciel. Si l’univers est infini et éternel, alors il ne peut y avoir d’obscurité la nuit, puisque le ciel doit être inondé par la lumière provenant d’un nombre infini d’étoiles. Mais l’obscurité existe, ce qui est un paradoxe. Ce paradoxe ne peut être résolu que si l’on attribue un âge à l’univers, postulant ainsi que la Terre reçoit uniquement la lumière qui a eu le temps de voyager jusqu’à elle depuis la naissance de l’univers. C’est la seule explication pour justifier le fait qu’il existe de l’obscurité la nuit.
— Donc, il y a vraiment eu un point Alpha ? demanda un étudiant.
— Exact. Mais il y avait un autre problème à résoudre, lié à la gravité. Les scientifiques pensaient que l’univers, étant éternel, était également statique, et c’est sur ce postulat que repose toute la physique de Newton. Newton lui-même, d’ailleurs, avait comprit que sa loi de la gravité, qui établit que toute la matière attire la matière, avait pour ultime conséquence que l’univers était amalgamé en une grande masse. La matière attire la matière. Et, pourtant, quand on regarde le ciel, on s’aperçoit que ce n’est pas ainsi que les choses se passent. La matière est distribuée. Comment expliquer ce phénomène ?
— N’est-ce pas Newton qui a recouru à la notion d’infini ?
— Oui. Selon Newton, c’est le fait que l’univers soit infini qui empêche la matière de s’amalgamer complètement. Mais la vraie réponse a été donnée par Hubble.
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