— Comment ça l’écho ? s’étonna l’étudiant à lunettes. Je croyais qu’il n’y avait pas de son dans l’espace…
— L’écho est une forme d’expression, bien entendu. Ce qu’ils ont capté, c’est la plus ancienne lumière qui soit arrivée jusqu’à nous, une lumière que le temps a transformé en micro-ondes. On les appelle des radiations cosmiques de fond et les mesures thermiques indiquent qu’elles avoisinent les trois degrés Kelvin, une valeur très proche de la prévision faite en 1948. Il fit un geste rapide de la main. N’avez-vous jamais allumé la télé sur une chaîne qui n’émet pas ? Que voyez-vous ?
— Un écran brouillé.
— Avec du bruit. On voit des petits points sautiller et on entend un grésillement irritant. Eh bien sachez qu’un pour cent de cet effet provient de cet écho. Il sourit. Donc, si un jour vous regardez la télévision et que rien ne vous intéresse, je vous suggère de chercher une chaîne sans programme et vous assisterez à la naissance de l’univers. C’est le meilleur reality-show qui soit.
— Cette éruption initiale est-elle démontrable mathématiquement ?
— Oui. D’ailleurs, Penrose et Hawking ont prouvé une série de théorèmes qui confirment que le Big Bang est inévitable, dès lors que la gravité parvient à être une force d’attraction dans les conditions extrêmes où s’est formé l’univers. Il indiqua d’un geste le tableau. Nous verrons ces théorèmes dans un prochain cours.
— Mais pouvez-vous, s’il vous plaît, nous expliquer un peu mieux ce qui s’est passé juste après le Big Bang. Les étoiles se sont formées, c’est ça ?
— Tout s’est passé voilà environ dix à vingt millions d’années, probablement quinze millions d’années. L’énergie était concentrée en un point et s’est dilatée en une gigantesque éruption. Il se tourna vers le tableau et inscrivit la célèbre équation d’Einstein.Comme, d’après cette équation, l’énergie équivaut à la masse, ce qui s’est passé, c’est que la matière a surgi de la transformation de l’énergie. Dès le premier instant, l’espace est apparu et s’est aussitôt dilaté. Or, comme l’espace est lié au temps, l’apparition de l’espace a automatiquement entraîné l’apparition du temps, qui s’est également dilaté. En ce premier instant est née une super-force, ainsi que toutes les lois qui nous gouvernent. La température était extrêmement élevée, quelques dizaines de milliards de millions de degrés. Cette super-force a commencé à se scinder en différentes forces. C’est le début des premières réactions nucléaires, qui ont créé les noyaux des éléments les plus légers, comme l’hydrogène et l’hélium, ou encore le lithium. En trois minutes est apparu quatre-vingt-dix-huit pour cent de la matière qui existe ou qui existera.
— Les atomes qui composent notre corps remontent à ce moment-là ?
— Oui. Quatre-vingt-dix-huit pour cent de la matière qui existe aujourd’hui s’est formée à partir de l’éruption d’énergie du Big Bang. Cela signifie que presque tous les atomes présents dans notre corps sont déjà passés par diverses étoiles et ont déjà occupé des milliards d’organismes différents avant d’arriver jusqu’à nous. Et nous avons tellement d’atomes que l’on peut estimer que chacun de nous en possède au moins un million ayant déjà appartenu à d’autres personnes qui ont vécu il y a très longtemps. Il leva un sourcil. Cela veut dire, mes chers amis, que chacun de nous est doté de nombreux atomes qui étaient présents dans les corps d’Abraham, de Moïse, de Jésus-Christ, de Bouddha ou de Mahomet. Un murmure parcourut l’amphithéâtre. Mais revenons au Big Bang, reprit Luís Rocha, couvrant de sa voix la rumeur étonnée qui s’élevait des rangs. Après l’éruption initiale, l’univers a commencé à s’organiser automatiquement en structures, obéissant aux lois créées dès les premiers instants. Avec le temps, les températures ont baissé jusqu’à atteindre un point critique où la super-force s’est désintégrée en quatre autres forces ; d’abord la force de gravité, puis la force forte, enfin la force électromagnétique et la force faible. La force de gravité a organisé la matière en groupes localisés. Au bout de deux cent millions d’années, les premières étoiles surgirent. Puis sont nés les systèmes planétaires, les galaxies et les groupes de galaxies. Les planètes étaient au départ des petits corps incandescents, semblables à de petites étoiles, qui gravitaient autour des étoiles. Ces corps se refroidirent jusqu’à se solidifier, comme ce fut le cas pour la terre. Il écarta les bras et sourit. Et nous voilà aujourd’hui ici.
— Vous venez de dire que les planètes ressemblaient à de petites étoiles qui ont fini par se solidifier. Cela veut-il dire que le soleil finira aussi par se solidifier ?
Luís Rocha esquissa une grimace.
— Voilà une sombre question qui va nous gâcher la matinée !
Un rire agita les rangs.
— Mais cela va-t-il arriver ? insista l’étudiante.
— C’est toujours agréable de parler de la naissance, vous avez remarqué ? Qui n’aime pas voir des enfants naître ? Il agita la main. Alors que parler de la mort… c’est autre chose. Mais pour répondre à votre question, oui, le soleil va mourir. D’ailleurs, c’est d’abord la terre qui va mourir, puis ce sera le soleil, puis la galaxie et enfin l’univers. Telle est la conséquence inévitable de la deuxième loi de thermodynamique. L’univers évolue vers l’entropie totale. Il fit un geste théâtral. Tout ce qui naît est voué à mourir. Ce qui nous amène directement du point Alpha au point Oméga.
— La fin de l’univers.
— Oui, la fin de l’univers. Tout indique que seules deux possibilités s’offrent à nous. Il s’approcha du tableau et griffonna une ligne en anglais.
La première est appelée Big Freeze, ou grande glaciation. Il s’agit de la dernière conséquence de la deuxième loi de thermodynamique et de l’expansion éternelle de l’univers. Avec l’augmentation de l’entropie, les rayonnements s’affaiblissent graduellement jusqu’à créer une température uniforme dans toutes les régions de l’espace, transformant l’univers en un immense cimetière galactique glacé.
— Ce n’est pas pour demain, j’espère ? plaisanta un étudiant.
Des rires fusèrent dans les rangs.
— On estime que cela se produira dans quelques cent millions d’années au minimum. Un tic nerveux agita de nouveau son visage. Je sais qu’un tel nombre ne vous dit pas grand-chose, c’est pourquoi je vous propose une comparaison. Imaginez que l’univers soit un homme qui mourra à 120 ans. On peut alors dire que le soleil serait apparu quand l’univers avait 10 ans et qu’aujourd’hui celui-ci aurait 15 ans. Cela signifierait donc qu’il lui resterait cent cinq ans à vivre. C’est déjà bien, non ? L’auditoire acquiesça et Luís Rocha se tourna de nouveau vers le tableau. Bien, voyons maintenant la seconde possibilité du point Oméga. Il nota une nouvelle phrase au marqueur noir sur la surface lisse du tableau.
La seconde possibilité est celle du Big Crunch, ou grand écrasement, annonça-t-il, en regardant à nouveau les étudiants. L’expansion de l’univers diminue et arrive à un point où elle s’arrête, pour commencer ensuite à se contracter. Il ouvrit grand ses bras, comme s’il tenait un gigantesque ballon qui grossirait, s’arrêterait et rétrécirait. Sous l’effet de la gravité, l’espace, le temps et la matière se mettront à converger jusqu’à s’écraser en un point infini d’énergie. Ses mains se rejoignirent. Le Big Crunch c’est, si vous voulez, le Big Bang à l’envers.
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