— Bon, très bien. Comme vous voudrez.
Tomás soupira et regarda de nouveau le poème.
— Pour tout vous dire, je ne vois pas comment je pourrais décoder ça sans avoir la moindre idée du sujet du manuscrit d’Einstein, commenta-t-il, avec un dernier espoir de convaincre l’Iranienne. Dites, vous ne pourriez pas m’en parler ne serait-ce qu’un petit peu ? Rien qu’une petite piste.
Ariana regarda autour d’elle, paniquée.
— Tomás, je ne peux pas…
— Rien qu’une idée.
— Non.
— Écoutez, si vous ne me dites rien, nous ne pourrons pas avancer. J’ai besoin que vous me donniez une direction.
L’Iranienne l’observa avec intensité, indécise quant à la marche à suivre. Pouvait-elle lui révéler quelque chose ? Si oui, que lui révéler ? Quelles en seraient les conséquences ? Elle examina la question durant quelques secondes et prit finalement une décision.
— Je ne vais pas vous révéler le contenu du manuscrit parce que cela mettrait non seulement en danger la sécurité nationale de l’Iran, mais aussi la vôtre et la mienne, dit-elle à voix basse. La seule chose que je peux vous dire, c’est que nous sommes nous-mêmes intrigués par le document et croyons que seul le déchiffrage des messages nous permettra de tout comprendre.
— Vous êtes intrigués, c’est bien ça ?
— Oui.
— Pourquoi ?
Ariana eut un geste d’impatience.
— Je ne peux pas vous le dire. Peut-être même que je vous en ai déjà trop dit.
— Mais qu’a-t-il de si intrigant ?
— Je vous répète que je ne peux pas vous le dire. Tout ce que je peux faire, c’est vous parler du contexte dans lequel Einstein a rédigé son manuscrit. Ça vous intéresse ?
Tomás hésita.
— Eh bien… oui, pourquoi pas ? Vous pensez que ça peut m’aider ?
— Je l’ignore. Peut-être pas.
— Ou peut-être que oui, qui sait ? L’historien se décida enfin. Très bien, je vous écoute.
Ariana se cala dans le canapé, cherchant à rassembler ses idées.
— Dites-moi, Tomás, vous vous y connaissez en physique ?
Le Portugais rit.
— Peu, dit-il. Comme vous le savez, je suis historien et cryptologue, mon domaine de recherche n’est pas vraiment la physique. C’est mon père qui est mathématicien et qui s’intéresse à ces domaines, il a d’ailleurs consacré toute sa vie aux équations et aux théorèmes. Mais pas moi, je préfère de loin les hiéroglyphes et les écritures hébraïques et araméennes, j’aime l’odeur poussiéreuse des bibliothèques et les relents de moisi exhalés par les vieux manuscrits et les anciens papyrus. Voilà mon univers.
— Je sais tout ça. Mais ce que je voudrais savoir, c’est si vous êtes au courant de la recherche fondamentale de la physique actuelle.
— Je n’en ai pas la moindre idée.
— Vous n’avez jamais entendu parler de la théorie du tout ?
— Non.
L’Iranienne passa ses mains dans ses beaux cheveux noirs, réfléchissant au meilleur moyen de lui expliquer la chose.
— Voyons voir, savez-vous au moins ce qu’est la théorie de la relativité ?
— Bien sûr. C’est élémentaire.
— Disons que la recherche de la théorie du tout a commencé avec la théorie de la relativité. Jusqu’à Einstein, la physique reposait sur le travail de Newton, qui rendait parfaitement compte du fonctionnement mécanique de l’univers tel qu’il est perçu par les êtres humains. Mais il y avait deux problèmes liés à la lumière qu’on ne parvenait pas à résoudre. L’un était de savoir pour quelle raison un objet soumis à la chaleur émet de la lumière, et l’autre était de comprendre la valeur constante de la vitesse de la lumière.
— Je suppose que c’est Einstein qui a mis en lumière le problème de la lumière, plaisanta Tomás.
— Exactement. Einstein exposa en 1905 sa théorie de la relativité restreinte, dans laquelle il établit un lien entre l’espace et le temps, en disant qu’ils sont tous les deux relatifs. Par exemple, le temps change parce qu’il y a un mouvement dans l’espace. L’unique chose qui n’est pas relative, mais absolue, c’est la vitesse de la lumière. Il a découvert qu’à des vitesses assez proches de la lumière, le temps ralentit et les distances se contractent.
— Ça, je le sais.
— Tant mieux, ça nous fera gagner du temps. La question est que, si tout est relatif, excepté la vitesse de la lumière, alors même la masse et l’énergie sont relatives. Plus encore que relatives, la masse et l’énergie sont les deux faces d’une même médaille.
— N’est-ce pas là la fameuse équation ?
Ariana griffonna l’équation sur une feuille de brouillon. — Oui. L’énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré.
— Si ma mémoire est bonne, il s’agit de l’équation qui est à l’origine des bombes atomiques.
— Exact. Comme vous le savez, la vitesse de la lumière est énorme. Le carré de la vitesse de la lumière est un nombre si élevé qu’il implique qu’une minuscule portion de la masse contienne une terrible quantité d’énergie. Par exemple, vous, vous pesez dans les quatre-vingts kilos ?
— Plus ou moins.
— Cela signifie que votre corps contient assez de matière chargée d’énergie pour fournir en électricité une petite ville pendant tout une semaine. L’unique difficulté, c’est de transformer cette matière en énergie.
— Cela est-il lié à la force forte qui maintient en place le noyau des atomes ?
L’Iranienne pencha la tête et leva un sourcil.
— Vous en savez des choses pour un ignorant en physique…
— J’ai dû lire ça quelque part.
— Bien. Retenez donc l’idée que l’énergie et la masse sont les deux faces d’une même médaille. Cela signifie qu’une chose peut se transformer en l’autre, autrement dit, on peut convertir l’énergie en matière ou la matière en énergie.
— Vous voulez dire qu’il est possible de faire une pierre à partir de l’énergie ?
— Oui, théoriquement, c’est possible, bien que la transformation de l’énergie en masse soit quelque chose que normalement nous ne puissions observer. Mais cela arrive. Par exemple, si un objet se rapproche de la vitesse de la lumière, le temps se contracte et sa masse augmente. Dans cette situation, l’énergie du mouvement se change en masse.
— L’a-t-on déjà observé ?
— Oui. Dans l’accélérateur de particules du CERN, en Suisse. Les électrons ont été soumis à une telle vitesse d’accélération que leur masse a augmenté quarante mille fois. On a même des photos des traces laissées par les chocs des protons, c’est vous dire.
— Fichtre !
— D’ailleurs, c’est pour ça qu’aucun objet ne peut atteindre la vitesse de la lumière. S’il le faisait, sa masse augmenterait infiniment, ce qui requérait une énergie infinie pour mettre cet objet en mouvement. Or, c’est impossible. C’est pourquoi on dit que la vitesse de la lumière est la vitesse limite de l’univers. Rien ne peut l’égaler, car, si un corps l’égalait, sa masse se multiplierait à l’infini.
— Mais de quoi est faite la lumière ?
— De particules appelées photons.
— Et ces particules n’augmentent pas leur masse en se déplaçant à la vitesse de la lumière ?
— Justement. Les photons sont des particules sans masse, ils se trouvent à l’état d’énergie pure et ne subissent pas le passage du temps. Comme ils se meuvent à la vitesse de la lumière, pour eux l’univers est intemporel. Du point de vue des photons, l’univers naît, croît et meurt dans le même instant.
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