— Incroyable.
Ariana but une gorgée de jus d’orange.
— Ce que vous ignorez peut-être, c’est qu’il y a non pas une, mais deux théories de la relativité.
— Deux ?
— Oui. Einstein présenta sa théorie de la relativité restreinte en 1905, où il explique une série de phénomènes physiques, mais pas la gravité. Le problème est que la relativité restreinte remettait en cause la description classique de la gravité. Newton croyait qu’une altération soudaine de la masse impliquait une altération tout aussi soudaine de la force de gravité. Mais c’est impossible, car cela supposerait qu’il existe quelque chose de plus rapide que la vitesse de la lumière. Imaginons que le soleil explose à cet instant précis. La relativité restreinte prévoit qu’un tel événement ne sera perçu sur terre que huit minutes après, c’est-à-dire le temps que la lumière franchisse la distance entre le soleil et la terre. Newton, lui, croyait que l’effet serait concomitant. Au moment précis où le soleil exploserait, la terre en subirait l’impact. Or ceci est impossible, puisque rien ne se déplace plus vite que la lumière. Pour apporter une solution à ce problème et à d’autres, Einstein a exposé en 1915 sa théorie de la relativité générale, qui a résolu la question de la gravité en établissant que l’espace était courbe. Plus un objet a de masse, plus l’espace qui l’entoure est courbe et, par conséquent, plus la force de gravité qu’il exerce est grande. Par exemple, le soleil exerce plus de force de gravité sur un objet que la terre, de par sa masse importante, vous comprenez ?
— Hum… pas très bien. L’espace se courbe ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ariana écarta les bras.
— Supposons, Tomás, que l’espace soit un drap étendu dans l’air entre nous deux. Imaginez que nous posions un ballon de foot au centre. Que se passe-t-il ? Le drap se courbe autour du ballon, n’est-ce pas ? Et si je lance une bille sur le drap, elle va être attirée par le ballon de foot. La même chose se passe dans l’univers. Le soleil est si grand qu’il courbe l’espace autour de lui. Si un objet extérieur s’en approche lentement, il se heurtera au soleil. Si un objet s’en approche à une certaine vitesse, comme la terre, il se mettra à tourner autour du soleil, sans buter dessus ni s’en éloigner. Et si un objet se déplace à très grande vitesse, comme un photon de lumière, sa trajectoire à l’approche du soleil se courbera légèrement mais il réussira à s’éloigner et à poursuivre sa route. Au fond, voilà ce que dit la théorie de la relativité générale. Tous les objets distordent l’espace autour d’eux. Comme l’espace et le temps sont deux faces d’une même médaille, un peu comme l’énergie et la matière, cela signifie que les objets distordent aussi le temps. Plus un objet aura de masse, plus le temps sera lent près de lui.
— Tout cela est très étrange, observa Tomás. Mais quel est le rapport avec le manuscrit d’Einstein ?
— Aucun peut-être, je ne sais pas. Mais il est important que vous compreniez que le manuscrit a été rédigé par Einstein au moment où il tentait d’établir une théorie du tout.
— Ah, oui. C’est encore une théorie d’Einstein ?
— Oui.
— Les deux théories de la relativité n’étaient donc pas suffisantes ?
— Einstein a d’abord cru que oui, mais, soudain, il est tombé sur la théorie quantique. Savez-vous ce qu’est la théorie quantique ? demanda Ariana en penchant la tête comme elle le faisait souvent.
— Eh bien… j’en ai déjà entendu parler, oui, mais pour ce qui est des détails… ça laisse à désirer.
Ariana rit.
— Ne soyez pas complexé, s’exclama-t-elle. Même certains scientifiques qui ont développé la théorie quantique n’ont jamais réussi à très bien la comprendre.
— Ah, bon. Me voilà plus rassuré.
— Le problème est le suivant. La physique de Newton est valable pour expliquer notre monde quotidien. Quand ils construisent des ponts ou qu’ils mettent un satellite en orbite autour de la terre, les ingénieurs recourent à la physique de Newton et de Maxwell. Les limites de cette physique classique n’apparaissent que lorsqu’on se penche sur des aspects qui ne font pas partie de notre expérience commune, comme par exemple les vitesses extrêmes ou l’univers des particules. Pour traiter du problème des grandes masses et des grandes vitesses, on se réfère aux deux théories de la relativité conçues par Einstein. Et, pour étudier le monde des particules, c’est la théorie quantique.
— Donc, la relativité c’est pour les grands objets et la quantique pour les petits.
— C’est ça. Il faut toutefois souligner que le monde des microparticules présente des manifestations macroscopiques, ça va de soi.
— Bien sûr. Mais qui a développé la quantique ?
— La théorie quantique est née en 1900, lors d’une séance de travail de Max Planck sur la lumière émise par les corps chauds. Elle a été ensuite développée par Niels Bohr, qui a conçu le modèle théorique des atomes le plus connu, celui où les électrons gravitent autour du noyau de la même façon que les planètes tournent autour du soleil.
— Tout ça est connu.
— C’est vrai. Mais ce qui l’est moins, ce sont les comportements excentriques des particules. Par exemple, certains physiciens sont arrivés à la conclusion que les particules subatomiques peuvent quitter un état d’énergie A pour un état d’énergie B, sans passer par une transition entre les deux.
— Sans passer par une transition entre les deux états ? Comment ça ?
— C’est très étrange et controversé. On appelle ça un saut quantique. C’est comme lorsqu’on monte les marches d’un escalier. On passe d’une marche à l’autre sans gravir de marche intermédiaire. Il n’y a pas de demi-marche. On saute de l’une à l’autre. D’aucuns prétendent que, dans le monde quantique, les choses se déroulent de la même façon au niveau de l’énergie. On passe d’un état à l’autre sans traverser de stade intermédiaire.
— Mais c’est très bizarre.
— Très. Nous savons que les microparticules font des bonds. Cela est admis. Il en est même certains qui pensent que, dans le monde subatomique, l’espace cesse d’être continu et devient granuleux. On y fait donc des bonds sans passer par un état intermédiaire… Je dois dire que je n’y crois guère et que je n’ai jamais trouvé une preuve ou un indice qui le prouverait.
— Vraiment, cette idée est… étrange.
Ariana leva l’index.
— Il y a plus. On a découvert que la matière se manifeste à la fois par des particules et par des ondes. Tout comme l’espace et le temps, ou l’énergie et la masse, sont les deux faces d’une même médaille, les ondes et les particules sont les deux faces de la matière. Le problème s’est posé quand il a fallu transformer tout ceci en une mécanique.
— Une mécanique ?
— Oui, la physique a une mécanique, qui sert à prévoir les comportements de la matière. Dans les cas de la physique classique et de la relativité, la mécanique est déterministe. Si, par exemple, nous savons où se trouve la lune, dans quelle direction et à quelle vitesse elle se déplace, nous serons capable d’en déduire son évolution passée et future. Si la lune se déplace vers la gauche à mille kilomètres à l’heure, elle sera dans une heure à mille kilomètres vers la gauche. Voilà ce qu’est la mécanique. On peut prévoir l’évolution des objets, dès lors qu’on connaît leur position et vitesse respectives. Rien de plus simple. Mais, dans le monde quantique, on a découvert que les choses fonctionnaient d’une autre manière. Lorsqu’on connaît la position précise d’une particule, on ne parvient pas à mesurer sa vitesse exacte. Et quand on connaît sa vitesse exacte, on ne parvient pas à définir sa position précise. Cela s’appelle le principe d’incertitude, une idée qui a été formulée en 1927 par Werner Heisenberg. Le principe d’incertitude établit qu’on peut déterminer avec précision la vitesse ou la position d’une particule, mais jamais les deux à la fois.
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