Ce fut au tour de Tomás de noter.
— Babak, c’est ça ? À 15 heures ?
— Oui. Il se leva, l’entrevue était terminée. Et faites attention.
— À quoi ?
— À la police secrète. Si elle vous découvre, vous êtes fichu.
Tomás rit jaune.
— Oui, je risque de finir mes jours derrière les barreaux, c’est ça ?
Bagheri ricana.
— Derrière les barreaux, vous plaisantez ? S’ils vous découvrent, vous serez torturé jusqu’à ce que vous ayez tout avoué, qu’est-ce que vous croyez ? Vous deviendrez bavard comme une pie ! Et savez-vous ce qui arrivera ensuite ?
— Non.
L’Iranien de la CIA appliqua son index sur le front.
— Bang ! Vous recevrez une balle dans la tête.
La silhouette élancée d’Ariana Pakravan surgit dans le restaurant de l’hôtel Simorgh au moment où Tomás croquait dans un toast chaud. Elle dressa le cou et tourna la tête, balayant l’assistance de ses yeux de biche, jusqu’à ce que son attention fût attirée par le signe de main que l’historien lui adressa du fond de la salle. Ariana s’approcha de la table et sourit.
— Bonjour, Tomás.
— Bonjour, Ariana. Il fit un geste vers le centre du restaurant, montrant la grande table où étaient servis les petits-déjeuners. Vous voulez prendre quelque chose ?
— Non, merci. C’est fait. Elle indiqua la porte d’un mouvement de la tête. On y va ?
— On va où ?
— Eh bien… au ministère.
— Pour y faire quoi ?
L’Iranienne sembla déconcertée.
— Travailler, je suppose.
— Mais vous ne me permettez pas d’accéder au manuscrit, argumenta-t-il. Si c’est pour étudier le papier que vous m’avez remis avec les énigmes, nous n’avons pas besoin de nous y rendre.
— Effectivement, vous avez raison, reconnut-elle, en prenant une chaise pour s’asseoir devant son interlocuteur. Pour déchiffrer ce texte, nous n’avons nullement besoin d’aller au ministère.
— Sans oublier que si j’allais au ministère je risquerais de tomber sur votre gorille.
— Ah, oui, Rahim. Que diable lui avez-vous fait ? lui demanda-t-elle, curieuse.
Tomás eut un éclat de rire.
— Rien, s’exclama-t-il. Je lui ai seulement dit au revoir au milieu de la rue.
— Vous savez qu’il n’était pas du tout content. À vrai dire, il était furieux contre vous et le chef furieux contre lui.
— J’imagine.
— Pourquoi vous êtes-vous enfui ?
— J’avais envie de me promener seul dans le souk. Vous n’allez pas me dire que c’est interdit ?
— Pas que je sache, non.
— Encore heureux, conclut-il. Quoi qu’il en soit, le mieux c’est que nous restions à l’hôtel. D’ailleurs, ce sera bien plus confortable ici, vous ne croyez pas ?
Ariana leva son sourcil gauche, l’air méfiant.
— Ça dépend du point de vue, répondit-elle, circonspecte. En fait, où voulez-vous travailler au juste ?
— Mais ici, dans l’hôtel, évidemment. Où voulez-vous que ce soit ?
— Très bien, mais je vous préviens que nous n’irons pas dans votre chambre, vous entendez ?
— Et pourquoi pas ?
La femme esquissa un sourire forcé.
— Très drôle, s’exclama-t-elle. Très spirituel, bravo. Elle se redressa, en tournant la tête vers la salle. Allons, sérieusement, où allons-nous travailler ?
— Pourquoi pas sur ces canapés là-bas près du bar ? suggéra-t-il, en indiquant vaguement l’endroit. Ils ont l’air d’être confortables.
— Très bien. Pendant que vous terminez votre petit-déjeuner, je vais téléphoner au ministère pour leur dire que vous préférez travailler à l’hôtel. Vous allez avoir besoin de moi, je suppose ?
Tomás lui fit un grand sourire.
— Et comment ! J’ai besoin d’une muse qui m’inspire.
Ariana roula des yeux et secoua la tête.
— Allons, dites-moi. Vous avez besoin de moi oui ou non ?
— Vous connaissez l’allemand ?
— Oui.
— Alors j’ai besoin de vous, évidemment. Mon allemand est encore un peu sommaire et il me faut un petit coup de main.
— Mais vous pensez que l’allemand peut vous aider à déchiffrer les énigmes ?
Tomás haussa les épaules.
— Très franchement, je ne sais pas. Le fait est que quasiment tout le manuscrit est rédigé en allemand, il faut donc admettre la possibilité que les messages codés soient dans la même langue, non ?
— Très bien, dit-elle, en se tournant pour s’éloigner. Alors je vais prévenir que je reste ici pour travailler avec vous.
— Merci.
Le bar ne dégageait pas une ambiance de bar. L’absence d’alcool sur les étagères et la lumière matinale donnaient au lieu un côté coffee-shop, d’autant que tous les deux commandèrent au serveur un thé vert. Ils s’assirent sur le large canapé, côte à côte, et Tomás disposa sur la table basse des feuilles de brouillon A4, afin de tester diverses hypothèses. Il sortit la feuille pliée de sa poche et contempla les énigmes.
— Voyons voir, commença Tomás, en s’efforçant de prendre de l’élan pour le dur travail intellectuel qui l’attendait. Il y a là une chose qui me paraît évidente. Il tourna la feuille vers Ariana. Regardez si vous pouvez la repérer.
L’Iranienne examina les énigmes.
— Je ne vois absolument rien, dit-elle enfin.
— Il s’agit de la chose suivante, reprit l’historien. Commençons par la seconde énigme. À première vue, il n’y a pas de doute qu’on se trouve devant un message chiffré. Il désigna l’ensemble des caractères. Observez ceci. Vous voyez ? Ce n’est pas un code. C’est un chiffre.
— Quelle est la différence ?
— Le code implique une substitution des mots ou des phrases. Le chiffre renvoie à une substitution des caractères. Par exemple, s’il est convenu entre nous que vous vous appeliez Renarde, c’est un code. J’ai remplacé le nom Ariana par le nom de code Renarde, vous comprenez ?
— Oui.
— Mais s’il est convenu entre nous que je permute les a avec les i, alors, écrivant Iraini, je mentionne en fait votre nom Ariana. J’ai seulement interverti les caractères. C’est un chiffre.
— J’ai compris.
— Si l’on regarde ces énigmes, la seconde est à l’évidence un message chiffré. Ça va être difficile de le déchiffrer. Mieux vaut le laisser de côté pour l’instant.
— Alors vous préférez vous concentrer sur la seconde énigme ?
— Oui. Le poème sera peut-être plus facile.
— Vous pensez qu’il s’agit d’un code ?
— Je crois, répondit-il tout en se frottant le menton. D’abord, observez le ton général du poème. Qu’en dites-vous ? Quel sentiment dégage-t-il ?
Ariana se concentra sur les quatre vers.
— Terra if fin, de terrors tight, Sabbath fore, Christ nite , lut-elle à voix haute. Je ne sais pas. Quelque chose de… sombre, ténébreux, terrible.
— Catastrophiste ?
— Oui, un peu.
— Évidemment que c’est catastrophiste. Regardez bien le premier vers, que suggère-t-il ?
— Le sens m’échappe. Que veut dire Terra ?
— C’est un mot latin, également employé en portugais. Il signifie la terre, notre planète. Et fin est le mot français pour end . Ce premier vers semble évoquer l’idée de l’apocalypse, la fin des temps, la destruction de la terre… Quel est le sujet du manuscrit d’Einstein ?
— Je ne peux pas vous le dire.
— Écoutez, le sujet peut être décisif pour l’interprétation de ce poème. Y a-t-il quelque chose dans le texte manuscrit qui suggère une grande catastrophe, une grave menace pour la vie sur terre ?
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