— Zamyad Shirazi ? interrompit Tomás. Vous êtes monsieur Zamyad Shirazi ?
L’homme s’inclina en un léger salut.
— Pour vous servir, votre excellence, répondit-il en écarquillant les yeux. Si vous cherchez un tapis persan, venez chez Shirazi ! En quoi puis-je vous aider ?
Tomás l’observa avec attention, cherchant à mesurer l’effet de ses paroles sur le commerçant.
— C’est un plaisir d’être en Iran, dit-il.
Le sourire s’évanouit et l’homme le regarda avec une certaine crainte.
— Comment ?
— C’est un plaisir d’être en Iran.
— Vous venez faire beaucoup d’achats ?
C’était le mot de passe. Tomás sourit et lui tendit la main.
— Je m’appelle Tomás. On m’a dit de venir ici.
L’œil inquiet, Zamyad Shirazi le salua précipitamment et se pencha dehors pour vérifier qu’il n’y avait aucun mouvement suspect dans la rue. Quelque peu rassuré, il ferma la porte de sa boutique et, avec des gestes furtifs, fit signe au visiteur de le suivre. Ils se rendirent au fond du local, où ils entrèrent dans un petit entrepôt encombré de tapis. Ils grimpèrent un escalier en colimaçon et le commerçant le fit entrer dans une pièce exiguë.
— Attendez ici, s’il vous plaît, dit-il.
Tomás s’installa sur un canapé et attendit. Il entendit Shirazi s’éloigner et, après un court silence, perçut le bruit d’un vieux téléphone sur lequel on composait un numéro. Il distingua aussitôt la voix lointaine du marchand qui s’adressait à quelqu’un en farsi, marquant de petites pauses pour écouter ce qu’on lui disait à l’autre bout du fil. La conversation ne dura que quelques instants. Après un prompt échange de paroles, le commerçant raccrocha et Tomás entendit des pas s’approcher, jusqu’à ce qu’il vit le visage bouffi de Shirazi apparaître à la porte.
— Il arrive, dit le marchand.
L’homme repartit par le même chemin qu’ils avaient emprunté. Tomás resta assis sur le canapé, les jambes croisés, attendant la suite des événements.
L’Iranien ressemblait à un boxeur. Il était grand, robuste, avec des arcades sourcilières saillantes et une moustache noire fournie, des poils abondants qui sortaient de son col ouvert et de ses petites oreilles. Il entra dans la pièce exiguë, avec l’air pressé de celui qui n’a pas de temps à perdre.
— Professeur Noronha ? demanda-t-il, en tendant son bras musclé.
— Oui, c’est moi.
Ils se serrèrent la main.
— Très heureux. Mon nom est Golbahar Bagheri. Je suis votre contact.
— Enchanté.
— Êtes-vous sûr de n’avoir été suivi par personne ?
— Oui, j’ai semé mon guide avant d’entrer dans le souk.
— Excellent, excellent, dit le colosse, en se frottant les mains. Langley me demande d’envoyer un rapport aujourd’hui même. Quelles sont les nouvelles ? Vous avez vu le document ?
— Oui, je l’ai vu ce matin.
— Est-il authentique ?
Tomás haussa les épaules.
— Ça, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il a l’air ancien, les pages sont jaunies, la couverture est dactylographiée et le reste manuscrit. Un griffonnage sur la première page paraît bien être la signature d’Einstein. Il semblerait que toutes les lignes du document soient également écrites de sa main, à l’exception d’un message chiffré à la dernière page. Les Iraniens pensent que ce message a été rédigé par la main du professeur Siza.
Bagheri sortit un calepin de sa poche et se mit à écrire dessus avec frénésie.
— Tout est manuscrit, hein ?
— Oui. Excepté la première page, bien sûr.
— Hum… Il porte la signature d’Einstein ?
— On dirait oui. Et les Iraniens affirment que cela a été confirmé par des tests de calligraphie.
— Vous ont-ils révélé où se trouvait le manuscrit pendant tout ce temps ?
— Non.
— Et le contenu ?
— Presque tout est en allemand. Sur la page de couverture figure le titre, Die Gottesformel , suivi d’un poème, dont l’origine et le sens échappent aux Iraniens, et, dessous, ce qui semble être la signature d’Einstein.
— Hum, murmura de nouveau Bagheri tandis qu’il écrivait, la langue pendue au coin des lèvres. Et le reste ?
— Le reste se réduit à vingt et quelques pages rédigées en allemand à l’encre noire. Il s’agit d’un texte dense, bourré d’équations étranges, comme on en voit sur le tableau d’un cours de mathématiques à l’université.
— Que dit le texte ?
— Je ne sais pas. Je ne connais pas bien l’allemand et puis c’est écrit à la main, la calligraphie rend la lecture difficile. De toute façon, ils ne m’ont pas laissé le temps de le lire, pas plus qu’ils n’ont accepté de m’en révéler le sujet, question de sécurité nationale.
Bagheri s’arrêta de griffonner et le fixa quelques instants.
— La sécurité nationale, hein ?
— Oui, c’est ce qu’ils ont dit.
L’Iranien se remit à prendre des notes, d’une main toujours aussi fébrile.
— Avez-vous eu le temps de relever quelques détails concernant le type du projet nucléaire décrit ?
— Non.
— Pas même une allusion à l’uranium ou au plutonium ?
— Rien du tout.
— Quand vous y retournerez, pourrez-vous vérifier cette information ?
— Écoutez, ils ne me laisseront pas regarder à nouveau le manuscrit. Ils me l’ont juste montré pour que je me fasse une idée générale du texte, mais ils m’ont dit que, pour des raisons de sécurité nationale, je ne pourrai plus le consulter.
— Pas même une fois ?
— Pas même une seule fois.
— Alors comment veulent-ils que vous fassiez votre travail ?
— Ils m’ont recopié le passage codé sur une feuille. Il faut que je travaille à partir de ça.
— Ils vous ont recopié le passage codé ?
— Oui. C’est une formule manuscrite sur la dernière page. Et j’ai aussi le poème de la première page. Voulez-vous les voir ?
— Oui, oui. Montrez-moi.
Tomás tira de sa poche une feuille pliée en quatre. Il la déplia et montra les lignes que Jalili avait recopiées au stylo noir à partir de l’original d’Einstein.
— Voici.
— Qu’est-ce que c’est ?
— La première partie est le poème, la seconde est le message chiffré.
L’Iranien prit la feuille et copia le texte sur son calepin.
— Rien d’autre ?
— Non, rien de plus.
— Et le professeur Siza ? Vous en avez parlé ?
— Pas vraiment. Ils ont seulement laissé entendre qu’il n’était pas accessible.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Je ne sais pas. Ils se sont montrés très réticents à ce sujet et ont refusé de m’en dire plus. Voulez-vous que je leur repose la question ?
Bagheri secoua la tête tout en écrivant.
— Non, il ne vaut mieux pas. Cela pourrait éveiller des soupçons inutiles. S’ils ne veulent pas en parler, ils ne vous diront rien, j’imagine ?
— Il me semble aussi.
Le colosse iranien finit de prendre des notes, rangea son calepin, et fixa du regard le visiteur.
— Bien, je vais transmettre tout ça à Langley. Là-bas, à cette heure, le jour se lève, dit-il en consultant sa montre. Ils ne verront le rapport que dans la matinée, quand il fera nuit ici, et il leur faudra ensuite l’analyser. Je suppose que je ne recevrai une réponse avec des instructions que demain matin. Nous allons opérer de la manière suivante. Demain, à 15 heures, adressez-vous au portier de l’hôtel et dites-lui que vous attendez le taxi de Babak. Vous avez compris ? Le taxi de Babak.
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