— Oui. Elle révèle le but de l’existence de la vie.
L’historien examina à nouveau le message.
— Mais comment le savez-vous ?
— C’est le professeur Siza qui me l’a dit.
— Le professeur Siza connaissait le secret ?
— Le professeur Siza connaissait la piste conduisant au secret. Il m’a dit qu’Einstein lui avait confié que ce message crypté contenait l’ endgame de l’univers.
— L’ endgame ?
— C’est une expression très courante en Amérique. Elle signifie l’objectif final d’un jeu.
Tomás secoua la tête, s’efforçant de comprendre ce que Luís lui révélait.
— Excusez-moi, je ne comprends pas, s’exclama-t-il. Où voulez-vous en venir ?
Le physicien fit un large geste.
— Regardez tout ce qui nous entoure, dit-il. Ici, sur cette planète, il y a partout de la vie. Dans les plaines et sur les montagnes, dans les océans et dans les fleuves, et même sous la terre. Où que nous nous tournions, nous trouvons de la vie. Et pourtant, nous savons que tout cela est éphémère, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, nous mourrons tous.
— Ce n’est pas ça, corrigea Luís Rocha. Lorsque je dis que tout est éphémère, je veux dire que tout est condamné à disparaître. La période où la vie est possible dans l’univers est très limitée.
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire que rien n’est éternel. Je veux dire que cette période fertile en vie n’est qu’un court épisode dans l’histoire de l’univers.
— Un court épisode ? Je ne comprends pas…
— Eh bien, la vie sur la terre dépend de l’activité du soleil. Or, le soleil ne va pas exister éternellement. S’il était un homme, il aurait déjà plus de quarante ans, ce qui signifie qu’il a probablement déjà dépassé la moitié de son existence. Chaque jour, notre étoile devient plus brillante, réchauffant graduellement notre planète jusqu’au moment où elle détruira toute la biosphère, ce qui devrait se produire dans mille millions d’années. Comme si cela ne suffisait pas, d’ici quatre ou cinq mille millions d’années, tout le combustible qui alimente l’activité solaire sera épuisé. Le noyau, dans un effort désespéré pour maintenir sa production d’énergie, devra se rétracter jusqu’à ce que les effets quantiques finissent par le déstabiliser. À ce moment-là, le soleil gonflera tant qu’il se transformera en une étoile géante rouge, dont la surface croissante engloutira les planètes avoisinantes.
— Quelle horreur !
— En effet, dit le physicien. Mais vaut mieux se faire à l’idée. Tout va plutôt mal se terminer. La terre elle-même finira par être engloutie par le soleil, noyée dans cette fournaise infernale. Et, quand tout le combustible solaire sera consumé, la pression interne chutera et le soleil se rétrécira jusqu’à atteindre la taille actuelle de la terre, en se refroidissant comme une naine noire. Le même processus s’opérera dans les étoiles qui se trouvent dans le ciel. Une à une, elles gonfleront et s’éteindront, certaines en se rétractant jusqu’à devenir des naines, d’autres en explosant en supernovas.
— Mais d’autres étoiles peuvent aussi naître, non ?
— Certes, de nouvelles étoiles vont naître. Le problème, c’est qu’il en naîtra de moins en moins, car les éléments qui les composent sont en voie de disparition, l’hydrogène primordial s’épuise et des gaz commencent à se dissiper. Le pire, c’est que dans quelques milliers de millions d’années, les étoiles cesseront de naître. Il n’y aura plus que des funérailles galactiques. Avec la mort graduelle des étoiles, les galaxies deviendront toujours plus sombres, jusqu’au jour où toutes s’éteindront et où l’univers se transformera en un immense cimetière, plein de trous noirs. Mais même les trous noirs finiront par disparaître, avec le retour complet de la matière à l’état d’énergie. À un stade très avancé, seuls subsisteront quelques radiations.
— Diable, s’exclama Tomás, l’air accablé. L’avenir s’annonce sombre.
— Très sombre, concéda Luis Rocha. Ce qui remet fortement en cause le principe anthropique, vous ne pensez pas ?
— Évidemment. Si l’univers est voué à mourir de cette façon, quel est le but de la vie ? Pour quelle raison Dieu a-t-il réglé la Création de l’univers pour permettre la naissance de la vie s’il projetait de la détruire aussitôt après ? Quel est l’objectif final ?
— C’est précisément ce qu’a pensé le professeur Siza. Pourquoi créer la vie si l’idée est de l’anéantir juste après ? Pourquoi tant de travail pour un produit si éphémère ? Quel est, en fin de compte, l’ endgame ?
— Effectivement, voilà un problème sans solution.
— Non, dit le physicien. Au contraire, il a une solution.
Tomás ouvrit grand les yeux.
— Quoi ? s’étonna-t-il. Il a une solution ?
— Oui, le professeur Siza a découvert la solution.
— Eh bien, racontez-moi ça ! s’exclama l’historien, impatient. Ne me faites pas languir !
— La solution s’appelle le principe anthropique final et repose sur l’idée qu’il serait absurde que l’univers soit organisé de façon à permettre l’apparition de la vie pour ensuite s’éteindre de cette manière. Le principe anthropique final postule que l’univers est réglé pour provoquer la naissance de la vie. Mais pas de n’importe quelle vie. Il s’agit de la vie intelligente. Et, une fois apparue, la vie intelligente ne disparaîtra jamais plus.
— La vie intelligente ne disparaîtra jamais plus ?
— Oui.
— Mais… Comment est-ce possible ? Ne venez-vous pas de dire que la terre sera détruite ?
— Oui, bien entendu. C’est inévitable.
— Alors comment pourrait-elle ne jamais disparaître ?
— Il nous faudra quitter la terre, c’est évident.
— Quitter la terre ? Tomás eut un éclat de rire. Excusez-moi, mais là, vous versez dans la mauvaise science-fiction.
— Vous croyez ? Pourtant, certains physiciens commencent à envisager sérieusement ce scénario…
Le sourire de l’historien s’évanouit.
— Sérieusement ?
— Bien sûr. La terre n’a pas d’avenir, elle est condamnée à périr.
— Et où irons-nous ?
— Vers d’autres étoiles, naturellement.
Tomás secoua la tête, interloqué.
— Excusez-moi, mais, même si c’est le cas, qu’est que ça résout ?
— Ça me paraît évident. Si nous partons vers d’autres étoiles, nous échapperons à l’inévitable destruction de la terre.
— Mais à quoi cela nous avancerait-il ? Toutes les étoiles ne vont-elles pas disparaître ? Toutes les galaxies ne vont-elles pas s’éteindre ? Tout l’univers ne va-t-il pas mourir ? Même si nous parvenions à quitter la terre, nous ne ferions que reculer l’échéance ? Dans ces conditions, comment peut-on postuler que la vie intelligente ne disparaîtra jamais ?
Luís Rocha promena le regard sur l’autel maniériste de la chapelle, mais son esprit se trouvait loin de là, plongé dans le labyrinthe de ses pensées.
— L’étude de la survie et du comportement de la vie dans un futur lointain est récemment devenue une nouvelle branche de la physique, dit-il sur le ton neutre propre aux exposés académiques. Les recherches autour de cette question ont commencé avec la publication en 1979 d’un article signé par Freeman Dyson, intitulé Time without end : Physics and Biology in an Open Universe . Dyson esquissa là un premier système, très incomplet, qui allait être reformulé par d’autres scientifiques s’intéressant à la même question, notamment Steve Frautschi, lequel publia un autre texte scientifique sur le même sujet dans la revue Science en 1982. Suivirent d’autres nouvelles études autour du problème, toutes reposant sur les lois de la physique et sur la théorie des ordinateurs.
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