Tomás garda un air perplexe.
— Je trouve tout cela extraordinaire, commenta-t-il. J’ignorais qu’une nouvelle branche de la physique se consacrait à la subsistance de la vie dans un futur lointain. Je ne vois même pas comment c’est possible, étant donné l’effroyable scénario que vous m’avez tracé sur l’inévitable mort des étoiles et des galaxies. Comment la vie pourrait-elle subsister dans ces circonstances ?
— Voulez-vous que je vous l’explique ?
— S’il vous plaît. Je vous écoute.
— Je m’en tiendrai aux grandes lignes, d’accord ? Les détails sont trop techniques et me semblent inutiles à notre conversation.
— Très bien.
— La première phase est déjà amorcée. Il s’agit du développement de l’intelligence artificielle. Il est vrai que notre civilisation n’en est qu’à ses premiers pas dans le domaine de l’informatique, mais l’évolution est très rapide et il est possible qu’un jour nous soyons capable de développer une technologie aussi intelligente que nous, voire plus. D’ailleurs, au rythme actuel de l’évolution, les calculs montrent que les ordinateurs atteindront le niveau humain de gestion et d’intégration des données dans un siècle tout au plus. Le jour où ils atteindront notre niveau, les ordinateurs acquerront une conscience, comme du reste le suggère le test de Turing, dont vous avez peut-être entendu déjà parler.
— Par mon père, oui.
— Donc, les ingénieurs prévoient que non seulement nous développerons des ordinateurs aussi intelligents que nous, mais aussi des robots qui seront des constructeurs universaux. Savez-vous ce que sont des constructeurs universaux ?
— Non…
— Les constructeurs universaux sont des engins capables de construire tout ce qui peut l’être. Par exemple, les machines qui fabriquent les voitures à la chaîne dans les usines ne sont pas des constructeurs universaux, car elles ne peuvent fabriquer que des voitures. Mais les êtres humains, eux, sont des constructeurs universaux, puisqu’ils sont capables de tout construire. Or, les scientifiques tiennent pour acquis la possibilité de concevoir une machine qui soit un constructeur universel. Le mathématicien Von Neumann a déjà montré comment ces constructeurs pouvaient être créés et la NASA affirme qu’il suffirait de quelques dizaines d’années pour les fabriquer, dès lors que les financements seraient assurés, bien entendu.
— Mais à quoi serviraient ces… constructeurs universaux ? À économiser de la main-d’œuvre ?
Luís Rocha fit une courte pause.
— Ils serviraient à garantir la survie de la civilisation.
Son interlocuteur fronça les sourcils, surpris.
— Ah oui ?
— N’oubliez pas que la terre est condamnée à mourir. Dans mille millions d’années, l’augmentation de l’activité solaire détruira toute la biosphère. Mais le principe anthropique final établit que l’intelligence, étant une fois apparue, ne pourra jamais disparaître de l’univers. Par conséquent, l’intelligence sur terre n’aura pas d’autre choix : il lui faudra quitter son berceau et partir à la conquête des étoiles. Les instruments de cette conquête seront les ordinateurs et les constructeurs universaux. Il semble inévitable que, dans un lointain avenir, les êtres humains devront envoyer des constructeurs universaux informatisés vers les étoiles les plus proches. Ces constructeurs universaux auront des instructions spécifiques pour coloniser de nouveaux systèmes solaires et pour y fabriquer de nouveaux constructeurs universaux, lesquels, à leur tour, iront explorer les étoiles suivantes, dans un processus en croissance exponentielle. Cela commencera bien sûr par l’exploration des étoiles les plus proches, comme Alpha du Centaure, puis graduellement vers les étoiles suivantes, respectivement Tau Cetu, Epsilon Eridani, Procyon et Syrius dans une seconde étape.
— C’est possible ?
— Quelques scientifiques disent que oui. Le processus sera très long évidemment. Quelques milliers d’années. Mais, si c’est très long à échelle humaine, cela ne l’est pas à l’échelle universelle.
— Et combien peuvent coûter toutes ces choses ? J’imagine que ce doit être une fortune…
— Oh, même pas, s’exclama le physicien. Les coûts seraient relativement bas. Car il suffirait de fabriquer quatre ou cinq de ces constructeurs universaux, guère plus. Car une fois parvenu dans un système solaire, le constructeur universel chercherait des planètes ou des astéroïdes où il pourrait extraire les métaux et toute la matière première dont il aurait besoin. Le robot se mettra à coloniser ce système et à le peupler de vies artificielles préprogrammées par nous ou même de vies humaines puisqu’il sera possible de leur transmettre notre code génétique pour se reproduire dans des conditions bien déterminées. En outre, le robot aura également pour mission de fabriquer de nouveaux constructeurs universaux, qu’ils enverront vers les étoiles suivantes. Peu à peu, le processus de colonisation des étoiles s’accélérera car il y aura toujours plus de constructeurs universaux. Même si la civilisation originelle disparaît, suite à un quelconque cataclysme, cette civilisation continuera à se répandre d’une manière autonome dans la galaxie, grâce aux constructeurs universaux et à leur programme automatique de colonisation.
— Mais quel sera le but de tout cela ?
— Eh bien, le premier objectif sera d’explorer. Nous voulons apprendre des choses sur l’univers, un peu comme les explorations que nous faisons sur la lune et sur les planètes du système solaire. Ensuite, à mesure que la terre deviendra toujours plus inhabitable, la priorité sera de trouver des planètes vers lesquelles on pourra transférer la vie.
— Transférer la vie ? Un peu comme s’il s’agissait d’une arche de Noé galactique ?
— C’est cela.
Tomás remua sur le banc de la chapelle.
— Mais ne pensez-vous pas que tout cela a des airs de science-fiction plutôt fantaisiste ?
— Oui, j’admets que oui. Il est normal que tout ça paraisse fantaisiste. Mais, quand les choses s’aggraveront sur terre, avec l’augmentation de l’activité solaire et la dégradation de la biosphère, je vous assure qu’à ce moment-là le problème se posera très sérieusement, vous entendez ? Ce qui nous paraît aujourd’hui de la science-fiction deviendra demain la réalité.
L’historien considéra l’idée.
— Oui, vous avez peut-être raison.
— Avec la prolifération exponentielle des constructeurs universaux, toute notre galaxie finira par être colonisée. Depuis une petite planète périphérique, l’intelligence se répandra dans toute la voix lactée.
— Et ainsi la vie échappera donc à l’inévitable destruction de la terre.
— Je n’ai pas dit ça. J’ai dit que l’intelligence se répandrait dans la galaxie.
— N’est-ce pas la même chose ?
— Pas nécessairement. La nature ne parvient à créer l’intelligence que lors de circonstances exceptionnelles impliquant les atomes de carbone, dont la complexe organisation permet la vie. Mais le carbone ne prédomine qu’à l’état solide dans une étrange marge thermique. Nous, êtres humains, commençons à développer une autre forme de vie à travers d’autres atomes, comme le silicium, par exemple. Ce que les constructeurs universaux vont répandre dans la galaxie, ce sera l’intelligence artificielle contenue dans les chips de leurs ordinateurs. Il n’est pas sûr que la vie, basée sur les atomes de carbone, soit capable de survivre à des voyages de milliers d’années parmi les étoiles. Ce n’est peut-être pas impossible, mais c’est loin d’être certain, vous comprenez ? Notre seule certitude c’est que l’intelligence artificielle sera capable de le faire.
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