— Je vois.
— L’existence même des étoiles dotées d’une structure semblable à celle du soleil, permettant la vie, résulte d’un nouveau coup de chance. Il dessina une étoile sur une page vierge. Regardez, la structure d’une étoile repose sur un délicat équilibre intérieur. Si l’irradiation de chaleur est trop forte, l’astre se transformera en une étoile bleue géante, et si elle trop faible, celui-ci se réduira à une minuscule étoile rouge. L’une sera excessivement chaude et l’autre excessivement froide, et aucune d’elles n’aura probablement de planètes. Mais la majorité des étoiles, y compris le soleil, se situent entre ces deux extrêmes, et le plus extraordinaire, c’est que les valeurs correspondant à ces extrêmes sont hautement probables, mais ne se sont pas concrétisées. Au lieu de ça, la relation des forces et la relation des masses des particules présentent une valeur qui semble calculée pour que la plupart des étoiles se situent dans cet étroit espace entre les deux extrêmes, permettant ainsi qu’existent et que prédominent des étoiles comme le soleil. Il suffirait que la valeur de la gravité, de la force électromagnétique ou de la relation de masses entre l’électron et le proton soit légèrement modifiée pour que l’univers qui nous entoure devienne impossible.
— C’est incroyable, commenta Tomás, en secouant la tête. Je n’avais aucune idée de tout cela.
Luís Rocha feuilleta à nouveau les pages de notes.
— Après avoir analysé les conditions initiales de l’univers, le professeur Siza a consacré son attention aux microparticules. Il s’arrêta sur une autre page pleine d’équation. Par exemple, il s’est mis à étudier deux importantes constantes de la nature, en particulier cette fameuse proportion des masses des électrons et des protons, appelée « constante beta », et la force d’interaction électromagnétique, appelée « constante de la structure fine », ou « alpha ». Il a donc modifié leurs valeurs puis a calculé les conséquences de cette modification. Savez-vous ce qu’il a découvert ?
— Je vous écoute.
— S’il se produisait une augmentation imperceptible de beta, les structures moléculaires ordonnées cesseraient aussitôt d’être possibles, étant donné que c’est la valeur actuelle de beta qui détermine les positions bien définies et stables des noyaux des atomes et qui oblige les électrons à se mouvoir selon des trajectoires bien précises autour de ces noyaux. Si la valeur de beta changeait légèrement, les électrons seraient pris d’une telle agitation qu’ils empêcheraient la réalisation de processus très précis, comme la reproduction de l’ADN. D’autre part, c’est l’actuelle valeur de beta qui, en corrélation avec alpha, produit au centre des étoiles suffisamment de chaleur pour générer des réactions nucléaires. Si beta excédait de 0,005 la valeur du carré d’alpha, il n’y aurait pas d’étoiles. Et sans étoiles, pas de soleil. Et sans soleil, pas de terre ni de vie.
— Mais les marges sont donc si étroites ?
— Infiniment étroites. Et ce n’est pas tout.
— Dites-moi.
— Eh bien, si alpha augmentait d’à peine quatre pour cent, le carbone ne pourrait plus être produit dans les étoiles. S’il n’augmentait que de 0,1 %, il n’y aurait plus de fusions dans les étoiles. Et sans carbone ni fusion stellaire, il n’y aurait plus de vie. Autrement dit, pour que l’univers puisse créer la vie, il est indispensable que la valeur de la constante de la structure fine soit exactement ce qu’elle est. Ni plus, ni moins.
Le physicien repéra une autre page de notes.
— Le professeur Siza a également analysé la force nucléaire forte, celle qui provoque les fusions nucléaires dans les étoiles et dans les bombes à hydrogène. Il a fait les calculs et a découvert que si la force forte n’avait augmenté que de quatre pour cent, lors des phases initiales après le Big Bang, l’hydrogène de tout l’univers aurait brûlé trop rapidement, pour se convertir en hélium 2. Cela aurait été un désastre, car les étoiles auraient vite épuisé leur combustible et certaines se seraient transformées en trous noirs avant même que n’existent les conditions pour créer la vie. D’un autre côté, si la force forte se réduisait de dix pour cent, cela affecterait à tel point les atomes qu’ils empêcheraient la formation d’éléments plus lourds que l’hydrogène. Or, sans ces éléments plus lourds, dont le carbone, il n’y a plus de vie. Il tapota du doigt ces calculs. Autrement dit, le professeur Siza a établi que la valeur de la force forte ne disposait que d’une infime marge pour créer les conditions propres à la vie et, comme par miracle, c’est précisément dans cette infime marge que se situe la force forte.
— C’est incroyable, murmura Tomás, en se frottant distraitement le menton. Incroyable.
Luís Rocha tourna d’autres pages bourrées d’insondables équations.
— Du reste, la conversion de l’hydrogène en hélium, cruciale pour la vie, est un processus qui requiert une extrême précision. La transformation doit obéir à un taux exact de sept millième de sa masse par rapport à l’énergie. Si celui-ci baissait d’une seule fraction, la transformation ne se produirait plus et l’univers se réduirait à de l’hydrogène. Si le taux augmentait d’une seule fraction, l’hydrogène s’épuiserait rapidement dans tout l’univers. Il nota les valeurs.
0,006 % — seulement de l’hydrogène
0,008 % — hydrogène épuisé
Autrement dit, pour que la vie existe, il est nécessaire que le taux de conversion de l’hydrogène en hélium se situe exactement dans cet intervalle. Or, quelle coïncidence : c’est justement là qu’il se situe !
— Encore un coup de chance…
— Un coup de chance ? dit en riant le physicien. C’est plus qu’un coup de chance. C’est le jackpot des jackpots ! Il feuilleta les notes de son maître. Prenons maintenant le carbone. Pour diverses raisons, le carbone est l’élément sur lequel repose la vie. Sans lui, l’élaboration de la vie spontanée est impossible, étant donné que seul cet élément est suffisamment flexible pour former les longues et complexes chaînes nécessaires aux processus vitaux. Aucun autre élément ne peut le faire. Le problème, c’est que la formation du carbone n’est possible que par un concours de circonstances extraordinaires. Il se frotta le menton, réfléchissant au moyen d’expliquer le processus. Pour former le carbone, il faut que le béryl radioactif absorbe un noyau d’hélium. Cela semble simple. Le problème est que le temps de vie du béryl radioactif se réduit à une insignifiante fraction de seconde. Il griffonna la valeur.
0,0000000000000001 seconde
Vous voyez ? Le béryl radioactif ne dure que cet instant.
Tomás tenta de se représenter la durée de ce micro millième de seconde.
— Mais ce n’est rien, observa-t-il. Rien de rien.
— Effectivement. Et pourtant, c’est au cours de cet instant infiniment court que le noyau du béryl radioactif doit localiser, heurter et absorber un noyau d’hélium, créant ainsi le carbone. Mais, pour que cela puisse se faire en un temps aussi bref, il faut que les énergies de ces noyaux soient exactement identiques au moment de leur collision. Or, nouvelle surprise, elles le sont précisément ! Il fit un clin d’œil. Encore le gros lot ! S’il y avait eu la moindre différence, même la plus infime, le carbone n’aurait jamais pu se former. Mais, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, il n’y a aucune différence. Grâce à un coup du sort inespéré, l’énergie des constituants nucléaires des étoiles se situe au point précis qui permet leur fusion.
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