Gilles Legardinier - Une fois dans ma vie

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Trois femmes, trois âges, trois amies que les hasards de l’existence et les épreuves ont rapprochées dans un lieu comme aucun autre.
Trois façons d’aimer. Aucune ne semble conduire au bonheur.
Séparément, elles sont perdues. Ensemble, elles ont une chance.
Accrochées à leurs espoirs face aux tempêtes que leur réserve le destin, avec l’énergie et l’imagination propres à celles qui veulent s’en sortir, elles vont tenter le tout pour le tout. Personne ne dit que ça ne fera pas de dégâts…
Fidèle à son humanité et à son humour, grâce à son regard unique fait de sensibilité et d’un exceptionnel sens de l’observation de la nature humaine, Gilles Legardinier nous entraîne cette fois au cœur d’une troupe réjouissante, à la croisée des chemins. Auteur, scénariste, producteur et réalisateur, Gilles Legardinier s’est toujours attaché à faire naître des émotions qui se partagent. En quelques livres singuliers, alternant les genres avec un même talent, il s’est imposé comme un des auteurs français majeurs dont le succès dépasse très largement nos frontières.

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Quoi qu'il advienne, cette soirée a changé son destin.

Les mains se séparent, et Céline s'empresse de se réfugier auprès d'Anthony, qui se tient en retrait, pendant que Loïc accueille sa danseuse près de la porte.

Victor s'approche et se glisse derrière sa femme.

— C'est d'ici que tu as voulu en finir ?

— C'est d'ici que je me suis envolée.

Un souffle de vent les enveloppe.

— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

— On continue, Victor. On tient la place et on donne tout ce que l'on peut.

— Ai-je le droit de faire l'imbécile ?

— C'est essentiel. Je compte sur toi.

Il referme ses bras sur elle, niche son nez dans son cou et ferme les yeux.

FIN

Et pour finir…

Merci de m'avoir suivi jusqu'à ces pages. Heureux de vous y retrouver. Ce rendez-vous constitue pour moi un moment étrange, une sorte de faille temporelle pendant laquelle j'ai le droit de m'adresser à vous autrement, plus proche, sans aucun filtre. Une fenêtre rare, une fois par an — tout l'inverse d'une éclipse, plutôt un coin de ciel bleu dans une trouée nuageuse.

De ma modeste place, achever cette histoire restera un souvenir très particulier. Les derniers mots de la dernière scène, le matin très tôt, comme toujours, mais avec cette fois quelque chose d'encore plus fort. En fait, je n'ai jamais été aussi triste d'écrire le mot « Fin ». J'ai énormément aimé ce théâtre et tous ceux avec qui j'y ai vécu. J'espère que vous aussi.

Heureusement, le retour à la réalité se fait en votre compagnie. Donc, tout va bien.

Je souhaite dédier ce livre à ceux — musiciens, auteurs, réalisateurs, peintres, sculpteurs… — qui vivent pour partager des émotions, et à ceux qui ont envie de les recevoir. Je vous vois déjà sourire. Vous vous dites qu'en cumulant ces deux catégories, je touche la totalité de la population du monde. Détrompez-vous. Certains n'ont que faire de partager, et d'autres n'ont pas envie de ressentir. Observez autour de vous. Bien qu'étant théoriquement l'apanage de notre espèce, l'empathie et l'élan ne sont pas universels. C'est donc aux rêveurs que je rends un hommage affectueux, ainsi qu'à ceux qui les croient.

Dans une époque aussi troublée que la nôtre, alors que les repères se brouillent sans cesse, il est d'autant plus important de savoir pourquoi l'on fait les choses. Réduire l'écart entre le discours et l'acte. Découvrir qui l'on est vraiment et l'accepter. Trouver sa place. Je crois qu'il faut d'abord en passer par ces étapes cruciales avant de bénéficier d'une véritable liberté d'action. Pour ceux qui ont la chance d'y parvenir avant d'avoir épuisé leurs forces, vient ensuite le temps de l'action sincère, celle qui dépasse ce que l'on est pour aller vers ce que l'on croit. J'en suis là. Il m'aura fallu suivre un chemin tortueux, jalonné de rencontres merveilleuses ou douloureuses et de leçons du même genre, pour parvenir jusqu'à vous.

Je n'ai pas l'intention d'étaler ma vie, mais je souhaite vous confier une anecdote qui peut-être, soulèvera en vous les questions essentielles qu'elle réveille encore en moi. Dans le parcours du combattant qu'il nous faut tous suivre pour espérer nous sentir un jour en paix avec nous-mêmes, j'ai connu quelques étapes qui m'ont littéralement configuré, et si vous le permettez, j'aimerais vous confier la première de toutes.

J'avais à peine dix ans. J'habitais rue du Clos-Lacroix, et l'école primaire à laquelle je me rendais tous les jours se trouvait dans une rue parallèle située immédiatement derrière. Les deux voies étaient à l'époque reliées par une large bande de terrain en friche planté d'arbres fruitiers dont on se gavait au fil des saisons. Pour gagner du temps, je coupais souvent par ce raccourci secret auquel on accédait par le jardin de nos adorables voisins. C'était le territoire de notre petite bande, où les plus âgés d'entre nous ont construit des cabanes fabuleuses. Un monde en soi, dont personne ne réussissait jamais à nous déloger !

Un jour, en sortant de l'école, j'allais m'y engager lorsqu'un copain m'a demandé s'il pouvait m'accompagner. Il ne l'avait jamais fait. Et même si nous nous entendions bien, il ne faisait pas partie du groupe pour qui ce territoire était un sanctuaire. Ma mère m'attendait. Je lui ai dit que je devais rentrer chez moi. Il m'a simplement répondu : « pas moi ». J'ai cru qu'il allait pleurer, debout dans la rue. À cet âge-là, pas question de laisser un pote chialer devant tout le monde, c'est une honte insupportable, une infamie que l'on doit éviter même à son pire ennemi. Je l'ai alors entraîné avec moi jusqu'au milieu de la jungle des cerisiers, pommiers et pruniers, et nous nous sommes assis sur un tronc abattu.

Quand il a été certain que personne ne pouvait plus nous voir, il s'est lâché et ses larmes ont coulé. Je n'avais jamais vu un copain pleurer ainsi — sauf Christophe lorsqu'il s'était pété la jambe en sautant du muret du préau juste après avoir hurlé : « J'ai embrassé Nathalie ! » En l'occurrence, mon camarade m'a raconté, en hoquetant, que chez lui la situation était intenable. Tous les soirs des cris, tous les soirs des portes qui claquent. Ses parents étaient sur le point de divorcer. À l'époque — voilà quarante ans — le mot nous faisait encore peur. Il était synonyme de catastrophe familiale. Mais ce n'était pas le pire : la veille, sa mère lui avait déclaré qu'il en était en grande partie responsable.

Depuis cette effroyable accusation, il était sous le choc, dévasté. Il s'en voulait à mort parce qu'à cet âge-là, on croit ce que disent les grands, surtout quand c'est votre mère. Alors il avait décidé de ne pas rentrer chez lui. Fuguer, fuir, ne pas faire de nouveaux dégâts et ne plus en subir. Sans savoir où aller. Le genre de plan qu'on se joue quand on a dix ans. Dans quel état faut-il être pour abandonner sa base ? Il n'avait sur lui qu'un billet de cinquante francs plié en quatre, mais il avait calculé qu'il pouvait tenir au moins un mois. Dans mon univers plutôt stable et bienveillant, ce qu'il affrontait a fait l'effet d'une bombe. J'ai été incapable d'avoir une réaction adaptée. J'étais juste bouleversé avec lui. Je lui ai proposé de venir chez moi.

Ma mère n'aimait pas quand je ramenais un copain à l'improviste mais cette fois-là, elle n'a rien dit. En voyant nos têtes, sans doute a-t-elle senti que ce coup-ci, c'était sérieux. Elle nous a préparé un goûter. Des tartines beurrées avec du chocolat Poulain saupoudré dessus. Il est resté une heure et demie. J'ai convaincu ma mère d'appeler la sienne pour lui dire que tout allait bien et lui épargner un retour sévère. Je lui ai offert deux petites voitures, une Simca verte et une Panhard noire. Et je l'ai raccompagné chez lui.

Je pense que cette nuit-là, j'ai aussi mal dormi que lui. J'étais inquiet de ce qu'il pouvait faire, mais je me suis aussi demandé ce que l'on éprouve lorsque ceux qui sont supposés vous défendre vous rendent responsable d'un drame. Et surtout, que devient-on lorsque son foyer s'écroule ? Comment survit-on à un séisme de magnitude 10 sur l'échelle d'un cœur de gosse ?

Cette journée a été le théâtre de deux situations inédites pour moi. C'était la première fois que je passais mon bras autour des épaules d'un mec qui pleure. On ne fait pas ça facilement à dix ans. Et c'est cette nuit-là que je me suis juré de me demander chaque soir ce que je fais là, pourquoi j'y vis et pour qui j'ai envie d'y rester. Je le fais toujours.

Je ne peux pas vous donner le prénom de mon copain, parce qu'aujourd'hui, il va bien. Il a une vie épanouie en famille et je ne veux pas le gêner. On se voit moins, mais il y a un truc à part entre nous. Nous devions avoir trente ans lorsque nous en avons reparlé pour la première fois. C'est lui qui s'est assis à côté de moi, dehors, sur un banc et plus sur un tronc, au soir du mariage d'un ami commun. Il m'a fait remarquer qu'on avait parcouru un sacré bout de chemin depuis ce jour-là. J'ai osé lui demander pourquoi c'était à moi qu'il avait choisi de se confier. Il m'a répondu : « Je n'en sais rien. Je n'ai pas réfléchi. Je t'aimais bien, tu faisais tout le temps le pitre, mais au moment où je me suis dit que je ne reverrais peut-être jamais notre village, ni l'école, tu es le seul à qui j'ai eu le courage de dire au revoir. »

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