— Mais, madame, qui va coiffer tous ces gens ?
— Alexandre. Il arrivera à Nice par le dernier avion. Avec les plumes et quinze de ses assistants ! »
La Plage Sportive était bourrée d'éphèbes gracieux qui le dévisageaient avec intérêt. Alan prit Terry par la main et l'entraîna dans un coin plus tranquille, derrière le buffet.
« Écoute-moi bien, Terry… Tu vas rentrer chez toi… Je t'appelle un taxi, tu t'enfermes dans ta chambre et tu n'en bouges plus jusqu'à ce que je vienne te chercher ! »
Ses grands yeux gris reflétaient encore la panique des instants qu'elle venait de vivre.
« Tu m'entends, Terry ?
— Et toi ?
— Je crois savoir d'où vient le coup… J'ai besoin d'une certitude… Je règle l'affaire et je reviens !
— Quand ?
— Le plus vite possible, dans une heure ou deux. »
Il avait peur pour elle. Il ne fallait pas qu'on les voie davantage ensemble. Il avait songé à la cacher sur son bateau, mais les tueurs en connaissaient déjà peut-être l'existence. Il n'avait pas eu à réfléchir longtemps pour savoir qui les avait guidés : Hamilton Price-Lynch. Il se rappela ses menaces voilées lorsqu'il avait refusé d'entrer dans son jeu et fut submergé par le désir de lui serrer le cou, de lui taper la tête contre un mur jusqu'à ce qu'elle éclate !
« Ne bouge pas… »
Il se rendit au bar, demanda un taxi et revint la prendre dans ses bras. Elle tremblait.
« Ne t'inquiète pas. »
Elle s'accrocha à lui, ignorant les regards goguenards d'un groupe de jolis garçons fascinés par ce si bel homme qui perdait son temps avec une femme…
« Je t'aime, Terry… Je t'aime… » murmura-t-il dans ses cheveux.
Il fut abasourdi d'avoir prononcé ces mots malgré lui : il ne les avait jamais dits à personne.
« Alan… Alan… répondit-elle en écho… Je t'aime !…
— Hé, Monsieur ! Votre taxi !
— Va ! » dit Alan.
Une dernière pression de la main, un long regard craintif, étonné… Elle s'engagea sur l'escalier de bois conduisant de la plage à la Croisette.
Alan attendit quelques secondes, escalada les marches à son tour et partit au pas de charge vers le Majestic, les lèvres serrées sur sa rage contenue, le visage blême, les poings crispés.
« Ma clef ! aboya-t-il en direction du concierge.
— Un de vos amis vient de la prendre, monsieur.
— Comment ?
— M. Bannister, de New York. Nous avons tout fait pour l'en empêcher, mais il s'est mis en caleçon dans le hall.
— Bannister ! »
Les événements allaient si vite depuis quelques heures qu'il l'avait complètement oublié !
« Alan, où étiez-vous passé ? »
Sarah se collait contre lui, lui pétrissait le bras.
« Je vous cherche partout ! Je vous attends depuis une heure de l'après-midi. Vous m'avez posé un lapin ! »
Il dut se maîtriser pour ne pas hurler, se dégager avec douceur.
« Excusez-moi, Sarah, j'ai eu un empêchement… Désolé, il faut que je monte…
— Je vais avec vous !
— C'est impossible ! Un ami m'attend.
— Qu'il attende ! J'ai à vous parler !
— Sarah, vraiment, je ne peux pas !
— Alan, c'est très important !
— Plus tard, Sarah, tâchez de comprendre ! »
Il tourna les talons et se précipita vers les ascenseurs. Elle courut derrière lui. La cabine vomit trois énormes chiens tenus en laisse par une petite fille.
« C'est urgent, Alan ! Il s'agit de ma vie, de la vôtre !… »
Il se retrouva empêtré par la laisse, pris en sandwich par les chiens, Sarah et la petite fille. Au même instant, Marina, qui arrivait du Palm Beach, fit son entrée dans le hall. Abasourdie, elle reconnut Alan se débattant dans un tourbillon de molosses et de jupes. Sans même prendre le temps de se demander par quel miracle il se trouvait là, elle fonça vers lui, repérée elle-même par Arnold Hackett qui sortait du bar où il s'était morfondu pendant des heures à surveiller sa fenêtre. Oubliant son âge, sa dignité, sa position sociale et sa qualité d'homme marié respectable, il se rua à ses trousses.
Entre-temps, les chiens traînaient joyeusement la petite fille allongée de tout son long sur le dallage de marbre, tandis que Marina et Hackett se cassaient le nez sur les portes d'acier qui se refermaient sur Alan et Sarah.
« Alan ! M'accorderez-vous au moins une seconde ?
— Non !
— Alan !
— Non, non, et non ! Fichez-moi la paix !
— Mufle ! Je parlerai quand même ! »
La petite fille avait joué avec tous les boutons d'étage. L'ascenseur s'arrêtait à chaque palier. Alan la maudit.
« Je vais vous épouser, vous m'entendez ? »
Alan s'appuya contre la cloison.
« Qu'est-ce que vous dites ?
— Vous et moi, on se marie ! »
Et comme il restait pétrifié, elle ajouta :
« Maman est au courant. »
Cinquième étage.
« Sarah, vous êtes complètement folle !
— Oui, de vous ! Vous n'aurez à vous occuper de rien ! Mes avocats établiront les contrats ! Nous passerons notre lune de miel où vous voudrez ! »
Sixième étage…
« Alan… Je sais que je suis impulsive… C'est la première fois que j'ai envie de me marier…
— Je refuse !
— Ce sera merveilleux…
— Jamais ! »
Septième étage. Les portes coulissèrent. Celles du deuxième ascenseur aussi, d'où jaillirent Arnold et Marina.
« Marina ! J'ai droit à des explications !
— Oh ! la barbe. Il faut toujours tout vous expliquer ! »
Elle se figea :
« Alan ! »
Les deux ascenseurs repartirent vers le rez-de-chaussée, les abandonnant tous quatre sur le palier.
« Marina ! s'écria Alan.
— Comment allez-vous, Sarah… lança courtoisement Arnold.
— Alan, qui est cette femme ? jeta Sarah.
— C'est Marina, s'affola Alan qui ne savait plus où donner de la tête.
— Bonjour, monsieur », dit avec froideur Arnold à Alan.
Marina se jeta au cou d'Alan et l'étreignit, oubliant dans sa surprise de le revoir à Cannes, qu'elle l'avait abandonné quelques jours plus tôt à New York.
« Mais qu'est-ce que tu fais là ? C'est incroyable ! Tu sais, avec Harry, c'est fini !
— Alan, je vous prie de me présenter, articula Sarah sur un ton glacial.
— Marina, voici Sarah… Sarah, Marina…
— D'où la connaissez-vous ? s'enquit Arnold Hackett avec méfiance.
— Tu l'entends, Alan ? » dit Marina.
Elle se retourna vers Hackett avec colère :
« Puisque vous voulez le savoir, on vivait ensemble !
— Alan, c'est vrai ? demanda Sarah.
— Écoutez !… dit Alan à la cantonade. Ecoutez-moi bien !… »
Il prit son souffle pour prononcer des paroles définitives. Elles lui firent défaut : c'était trop compliqué. Il gicla soudain dans le couloir et tambourina fébrilement à la porte de son appartement.
« Alan ! crièrent ensemble Marina et Sarah en s'élançant à sa poursuite.
— Samuel ! Ouvre-moi ! Ouvre ! cria Alan. C'est moi !
— On ne m'a jamais traitée comme ça, Alan ! glapit Sarah.
— Laissez-le tranquille, espèce de cinglée ! intervint Marina en tirant Sarah par la manche.
— Vous, fermez-la ! ne touchez pas à mon fiancé !
— Marina, tonna Hackett dont les nerfs craquaient, je vous somme de me dire…
— Foutez-moi la paix, vieux schnock ! »
La tête hébétée de Samuel Bannister se découpa dans l'encadrement de la porte. Il avait pour tout vêtement son caleçon et une chaussette, et ressemblait à un boxeur sonné à sa descente du ring. Alan le bouscula, suivi par tous les autres qui s'insultaient en essayant de l'agripper. Il reçut un choc : allongée et béate sur la moquette, entièrement nue, la duchesse de Saran, les cheveux en désordre, le corps bleui d'hématomes, les saluait de la tête avec la même infinie distinction que si elle eût été installée sur le trône de France pour donner audience à ses vassaux.
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