« Dites-leur que j'ai la migraine.
— Alors qu'ils seront vos voisins de table ?
— La vie est courte, c'est l'été, on s'en fiche ! plaida di Sogno. Hubert, voulez-vous que je me charge d'arranger les choses ? Je leur expliquerai que vous étiez déjà mes invités de longue date. Ils comprendront !
— Écoutez, Cesare, dit le duc. Je veux bien, mais à une condition : vous êtes tous mes invités !
— Jamais ! Je crois que je préférerais encore me priver du plaisir de vous avoir à ma table !
— Ce que vous pouvez être vieux jeu, Hubert ! Quelle importance, qui paie ? L'essentiel, c'est d'être ensemble et de s'amuser !
— La duchesse a raison, dit Cesare. Vous me donnez le feu vert pour les Signorelli ?
— Oui, oui, oui ! » lança Mandy.
Elle se mit debout et s'installa sous la douche. Nue. Par délicatesse vis-à-vis du duc, Cesare détourna les yeux.
« D'accord, s'inclina Hubert de Saran. Mais, ajouta-t-il en baissant la voix, donnez-moi votre parole que vous me laisserez l'addition ?
— Je n'ai aucune parole, dit Cesare en riant.
— Cesare, promis ?
— Ce soir, neuf heures trente ! Je vous attendrai dans le hall d'entrée. Bye, bye, Mandy ! »
Il sortit sans se retourner. Elle n'était pas son type. Chaque fois qu'ils avaient fait l'amour, il s'était senti déposséder de ses prérogatives de mâle. En outre, cogner sur une femme le fatiguait. Il était pour la douceur, la volupté, l'abandon. Il passa derrière le plongeoir, salua de la main une multitude de gens qu'il connaissait, traversa la terrasse du bar et fonça sur la table où déjeunaient Betty Grone et le gigantesque Honor Larsen…
« Loup grillé de la Méditerranée. Il vient de Dieppe. Enfin, il transite par Dieppe, mais il arrive directement de Dakar par bateaux frigorifiques. Comment allez-vous ? »
Il embrassa Betty sur le front, chipa une olive, but une gorgée de champagne dans son verre et tendit la main à Larsen.
« Je jure que tout ce que je viens de vous dire est faux. D'ailleurs, tout est faux ici. Certains jours, il m'arrive de me demander si moi-même je suis vrai ! Betty, bien entendu, tu es à ma table ce soir ! Ne discute même pas ! Mes autres invités n'ont accepté de venir que parce qu'ils savaient que tu serais là avec Honor ! Le duc et la duchesse de Saran, Lou Goldman, Arnold Hackett, Hamilton Price-Lynch, leurs femmes et tutti quanti !… Comment te sens-tu, chérie ? »
Betty échangea rapidement en anglais quelques mots avec Larsen.
« Il veut bien venir, dit-elle à Cesare, à condition qu'il paie. Il vous invite tous.
— Pas question, c'est pour moi ! »
Elle lui jeta un regard appuyé d'une moue.
« N'en fais pas trop, Cesare…
— Pas du tout ! Dis-lui que…
— Laisse courir ! On se retrouve ici ?
— Hall du Beach, neuf heures trente ! Ça va ?
— Une dernière chose, Cesare… dit-elle d'une voix glaciale. Au cas où la Fischler aurait le culot de se montrer ce soir, je te préviens que je fais un scandale !
— Moi aussi ! » approuva-t-il avec vigueur.
La situation se présentait bien : tout le monde voulait payer ! Une dernière olive, un morceau de loup piqué du bout de la fourchette dans l'assiette de Betty…
« A ce soir !
— Très, très sympathique… dit Honor à Betty dès qu'il eut tourné les talons. C'est un bon ami à vous ?
— Nous fréquentons les mêmes endroits. Pas toujours les mêmes gens. Il m'amuse.
— Vous pensez que je dois accepter son prix ?
— C'est une promotion flatteuse, Honor ! »
Une heure plus tôt, elle avait vu le prince Hadad enlacer le type que Nadia avait dragué la veille au casino.
« Honor, vous voyez ce garçon, là-bas, étendu sur le lit… A gauche de la brune en vert… Vous allez l'inviter à notre table pour le gala.
— Vous le connaissez ? s'étonna Larsen.
— Pas du tout. Il est l'ami intime du prince Hadad. Il traite des affaires énormes avec le Moyen-Orient. C'est à vous que je pense, Honor. »
Larsen posa sa serviette — entre ses mains, un mouchoir de poche — redressa sa carcasse impressionnante et baisa le bout des doigts de Betty.
« Betty, vous pensez à tout ! J'y vais. »
Nager lui avait fait du bien, mais Alan se sentait accablé par une immense fatigue. S'il restait au Beach une minute de plus, il allait s'endormir et ne plus se réveiller avant huit jours. Il s'assit péniblement, s'empara de sa serviette et s'apprêtait à se diriger vers le vestiaire où l'attendaient les vêtements apportés par Norbert, quand une ombre colossale lui barra le passage.
« Honor Larsen, dit Larsen en lui saisissant la main.
— Alan Pope », répondit-il machinalement.
Il essaya de dégager sa main : peine perdue.
« Nous avons un ami commun, Hadad. Assisterez-vous au gala ce soir ?
— Non. Je dois me coucher.
— Personne ne se couche sur la Côte, monsieur Pope ! On y meurt debout ! Ou alors, si on s'allonge, c'est pour faire l'amour ! »
Enchanté par sa propre boutade, il éclata d'un rire tonitruant.
« Voulez-vous me faire le plaisir d'être mon invité ?
— Honor, présentez-nous, je vous prie… »
Alan découvrit avec stupeur une splendide créature rousse.
« Alan Pope, dit Honor. Miss Betty Grone. »
Elle était vêtue d'une espèce de sari parme moulant ses formes parfaites. Alan n'avait jamais rien vu de comparable à ses immenses yeux verts. Peut-être les yeux violets de Nadia ?
« Je tiens à ce que vous soyez des nôtres, dit-elle en dardant sur lui un regard intense.
— Je voudrais bien… Malheureusement…
— Nous serons avec des amis très amusants. Ne me refusez pas ce plaisir ! Vous verrez, il y aura de très jolies femmes ! Où êtes-vous descendu ?
— Majestic.
— Préférez-vous que mon chauffeur vous prenne ?
— Non, non…
— Alors, disons dans le hall du Beach, vers les neuf heures et demie. Je peux compter sur vous ?
— Je disais justement… à monsieur… balbutia Alan…
— C'est entendu, monsieur Pope. Rendez-vous ici même. Honor et moi serons enchantés de vous compter parmi nos invités. Vous venez, Honor ?… »
Titubant, Alan se demanda si tous ces gens étaient tous fous : à New York, on le flanquait à la porte. A Cannes, on se battait pour l'avoir !
Marina s'amusait comme une enfant. Elle désignait un objet du doigt, les vendeurs se précipitaient et l'emballaient. Sous les ordres de Khalil, deux gorilles le passaient au chauffeur qui l'enfermait dans le coffre de la Cadillac noire. Un vrai conte de fées ! Marina se fichait éperdument d'avoir des robes ou de posséder quoi que ce soit. Ce qui l'éblouissait, c'était d'être le centre. Chaque fois qu'elle avait choisi une robe, Khalil lui avait suggéré d'en prendre quelques-unes de plus. Elle n'en avait nul besoin, elle ne les mettrait jamais, mais il était fascinant de se les faire offrir. Tous les grands couturiers de la Croisette l'avaient traitée comme si elle eût été la reine d'Angleterre.
Maintenant, chez Van Cleef, elle ne savait pas prendre. Le directeur faisait défiler devant elle des écrins contenant des joyaux dont elle ignorait l'usage autant que le prix.
« Regardez la beauté de ce collier de diamants, madame… Les pierres sont d'une pureté ! Vous avez les boucles d'oreilles assorties… »
Marina fit la moue. Elle était assise sur un fauteuil Louis XV d'un bleu turquoise passé, à peu près de la même couleur que ses jeans ornés de rapiéçages divers. Elle n'avait pas quitté son vieux chapeau de paille à fleurs.
L'entourant en hémicycle, l'état-major de la maison, attentif, prévenant, réagissait au moindre de ses clins d'œil.
« Vous n'avez pas quelque chose de plus marrant ?
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